Les derniers événements entourant la commission d’enquête sur l’industrie de la construction, présidée par la juge France Charbonneau, ont levé un autre coin du voile sur le vaste réseau de corruption existant entre les firmes d’ingénierie, les entreprises privées de construction, le gouvernement du Québec, la bureaucratie syndicale et le crime organisé.
À la rentrée parlementaire, le chef libéral Philippe Couillard a dû admettre que l’Unité permanente anti-collusion, liée à la Sécurité du Québec, avait mené une perquisition au siège social du Parti libéral du Québec (PLQ) à Montréal au cours de l’été dans le cadre d’une enquête sur le financement politique illégal. Plus récemment, Couillard et la directrice générale du PLQ, Marie-Ève Ringuette, ont chacun été interrogés par des policiers de la SQ dans le cadre de cette enquête.
À ce point-ci, les témoignages entendus à la commission touchent principalement les partis politiques municipaux et les libéraux du Québec, mais il est de plus en plus évident que la collusion et la corruption sont présentes à tous les niveaux de gouvernements, y compris au niveau fédéral.
Cela dit, la commission est une création de la classe dirigeante. Si le Parti libéral, au pouvoir entre 2003 et 2012, a longtemps retardé sa tenue pour ne pas voir exposées ses activités de financement illégal, des sections importantes de l'élite s'en servent pour encourager les idées populistes de droite hostiles à toute forme de dépenses publiques.
Les derniers témoignages entendus devant la commission vont certainement prolonger la crise qui sévit au sein de l’establishment municipal. On sait maintenant qu’entre 2004 et 2008, un système de collusion existait non seulement à Montréal et à Laval, mais aussi à Québec et à Gatineau. Essentiellement, toutes les grandes villes du Québec ont été, et demeurent, gangrénées par la fraude et la corruption.
À l’hiver 2012, les maires de Montréal puis de Laval, les première et troisième villes en importance du Québec, ont été forcés de démissionner en raison de leur implication dans le système de collusion. Le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, ainsi que d’autres hauts placés de son administration font maintenant face à des accusations de gangstérisme. De plus, le maire par intérim de Montréal, Michael Applebaum, a dû quitter ses fonctions pour faire face à 14 chefs d’accusation pour complot, fraude et corruption – mais non sans avoir obtenu une prime de départ de 268.000 $ pour «années passées dans l'administration municipale».
La ville de Montréal, qui s’était engagée à écarter toute entreprise impliquée dans la collusion et qui en a déjà placé 26 sur sa liste noire, peine aujourd'hui à trouver des entreprises à qui offrir des contrats.
D’importantes firmes de génie-conseil sont au cœur du système de collusion, ayant régulièrement offert des dons secrets aux partis politiques pour s’assurer de remporter les contrats de construction. Rosaire Sauriol, un ancien vice-président démissionnaire de la firme d’ingénierie Dessau a récemment reconnu devant la commission qu'il avait offert 900.000 dollars à Bernard Trépanier, le collecteur de fonds d’Union Montréal, le parti de l’ancien maire Gérald Tremblay.
La firme de génie-conseil renommée SNC-Lavalin, véritable fleuron du Québec Inc, est aussi impliqué dans la corruption au niveau municipal et provincial. Yves Cadotte, un ancien vice-président de l’entreprise a reconnu avoir donné une somme de 125.000 dollars à Bernard Trépanier. Au printemps dernier, Cadotte a reconnu que de 1998 à 2010, SNC-Lavalin a contribué 569.925 dollars à la caisse du PLQ et 476.945 dollars à la caisse du Parti québécois à travers l’utilisation de prête-noms. Plus tôt cette année, des hauts dirigeants de la compagnie ont été accusés d'avoir versé des pots-de-vin totalisant plusieurs millions de dollars lors de la construction du méga centre hospitalier de langue anglaise de Montréal.
Certaines informations sur la collusion au niveau fédéral commencent à voir le jour. Rosaire Sauriol a acquiescé lorsque les commissaires lui ont demandé s’il avait organisé le même genre de collecte de fonds pour les partis fédéraux. Aussi, selon un document interne du ministère des Travaux publics obtenu par La Presse, des dizaines de firmes nommées à la commission Charbonneau obtiennent des centaines de millions de dollars en contrats du gouvernement fédéral et facturent des dizaines de millions en «extra». Selon un témoin, d’importants contrats d’infrastructure, dans lesquels des milliards de dollars ont été investis par le gouvernement fédéral depuis 2006, auraient aussi été illégalement octroyés.
C'est avec dégoût et colère que la population prend connaissance de l’ampleur de la criminalité dans l'industrie de la construction. Toutefois, dans un contexte où les syndicats subordonnent politiquement la classe ouvrière à l'ordre existant, des sections importantes de l’élite dirigeante utilisent les médias pour manipuler cette crise dans leur intérêt. Elles veulent faire croire que la corruption découle de la gestion publique des ressources et que la solution est moins d'impôt sur la richesse et plus de place au marché.
En fait, les privatisations et les déréglementations menées par les gouvernements péquistes et libéraux successifs au cours des dernières décennies sont la cause fondamentale de la corruption endémique qui règne au sein des gouvernements, tant municipaux que provinciaux, et des liens incestueux qu'ils entretiennent avec les grandes firmes de construction.
Depuis des années, l’élite dirigeante pousse pour que l’État soit réduit en exhortant les divers gouvernements à sabrer massivement dans les dépenses sociales et à éliminer la réglementation, qu’elle voit comme une entrave à ses profits. Dans ce contexte, la corruption et la fraude au sein de la classe dirigeante ne peuvent aller qu’en s’intensifiant.
La juge Charbonneau a affirmé que la Commission d’enquête se pencherait, au cours de l’automne, sur la collusion entre les syndicats et le crime organisé. Bien que ces liens existent, la véritable cible de l’attaque sur les syndicats, ce sont les travailleurs de la construction.
L’élite dirigeante et les médias ont déjà utilisé la soi-disant «violence» des syndicats sur les chantiers de construction pour renforcer le pouvoir du patronat. La loi 30, entrée en vigueur au début de septembre, vise notamment à réduire le poids de la bureaucratie syndicale en abolissant son rôle de pourvoyeur de main-d’œuvre sur les chantiers de construction et en transmettant cette tâche à la Commission de la construction du Québec (CCQ), un organisme où l'influence gouvernementale et patronale est prédominante. Les employeurs auront ainsi un plus grand contrôle sur l’embauche et les conditions de travail.
En juin dernier, les patrons de l’industrie de la construction et l'élite politique québécoise ont imposé des concessions majeures aux travailleurs de la construction en se servant d'une loi spéciale pour les intimider et les diviser.
Voir aussi:
Le gouvernement du Québec criminalise la grève de la construction
[3 juillet 2013]