Le scandale de l’écoute du téléphone portable de la chancelière Angela Merkel par l’Agence de sécurité américaine (NSA) a escaladé ce week-end au fur et à mesure qu’apparaissaient de nombreux articles documentant le caractère omniprésent de l’espionnage américain de l’Allemagne et d’autres alliés américains en Europe. Berlin a envoyé une délégation de responsables du renseignement allemand afin de discuter cette semaine de ces divulgations avec leurs homologues américains.
Des documents de la NSA, obtenus par le magazine d’information Der Spiegel, montrent que la NSA avait mis Merkel sur écoute depuis 2002 alors qu’elle était présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Les documents confirment que cette surveillance s’est poursuivie pendant plus d’une décennie, et au moins jusqu’à la visite du président américain Barack Obama à Berlin en juin 2013.
Un article paru dans le journal à scandale Bild a révélé en outre qu’Obama avait été informé en 2010 par le directeur de la NSA, Keith Alexander, de ce qu’on espionnait Merkel. Cet espionnage a néanmoins continué pendant trois ans.
Ceci montre que les garanties données personnellement par Obama à Merkel lors d’un appel téléphonique passé mercredi dernier étaient des mensonges. Comme cela fut rapporté, Obama a dit n’absolument rien savoir de cette surveillance et qu’il y aurait mis fin s’il en avait eu connaissance.
En fait, selon la radio Deutsche Welle, les rapports de la NSA sur son espionnage de Merkel étaient envoyés directement à la Maison Blanche. Deutsche Welle cite aussi des sources de Bild indiquant que la NSA avait commencé en 2002 à espionner non seulement Merkel, mais aussi son prédécesseur immédiat, le chancelier Gerhard Schröder, au moment où il s’était prononcé contre la politique guerrière américaine qui avait mené à l’invasion de l’Irak en 2003.
L’espionnage avait été effectué par le centre d’écoute Special Collection Service (SCS) qui est géré conjointement par la CIA et la NSA. Le SCS compte 80 bureaux sur le plan international, dont 19 dans des villes européennes, y compris Paris, Rome, Madrid, Prague et Genève. En Allemagne même, le SCS dispose de bases à Berlin et à Francfort.
Les agents américains ont été en mesure de surveiller toutes les communications sans fils du gouvernement allemand depuis le quatrième étage de l’ambassade américaine qui est située au centre de Berlin près de la Porte de Brandebourg. Le journaliste d’investigation, Duncan Campbell, qui avait dévoilé le premier en 1999 l’existence du réseau d’espionnage Echelon en Europe, avait dit à Der Spiegel que les ambassades américaines effectuaient une surveillance électronique à partir des toits et grâce à un matériel diélectrique spécialement conçu. Ceci permettait même aux plus faibles signaux radio de traverser le toit pour être enregistré.
Ces révélations ont fait éclater les mensonges avec lesquels les responsables américains et européens ont réagi à la divulgation de l’espionnage de la NSA par le lanceur d’alerte Edward Snowden. Celles-ci comprenaient les révélations sur l’enregistrement et la surveillance systématiques du trafic internet mondial pour lequel la NSA travaille en tandem avec les agences de renseignement européennes. On sait à présent que plusieurs d’entre elles, comme le service de renseignement électronique du gouvernement britannique, le Government Communications Headquarters (GCHQ), et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en France, mènent des activités d’espionnage de masse semblables.
Des responsables ont affirmé que ceci faisait partie de la « guerre contre le terrorisme » afin de protéger les pays membres de l’OTAN contre des groupes terroristes tels al Qaïda. Ces dernières révélations montrent cependant que l’espionnage pratiqué par les agences de renseignement visait des cibles totalement étrangères au terrorisme islamiste. Les responsables européens et américains ont menti sur l’identité de leurs cibles qui étaient sélectionnées en fonction des intérêts politiques et géostratégiques de leurs gouvernements – c’est-à-dire en dernière analyse, des intérêts des aristocraties capitalistes qui dominent les Etats-Unis et l’Union européenne (UE).
Ces mêmes intérêts de classe motivent la construction en Amérique du Nord et en Europe de la structure d’un Etat de surveillance totale à une échelle dépassant de loin ce qui était techniquement possible pour la Gestapo nazie ou les forces de police de la Stasi stalinienne en Allemagne de l’Est. Selon un article paru peu de temps avant que n’éclate le scandale des écoutes de Merkel, la NSA avait cette année enregistré sur une période d’un mois quelque 70 millions de communications téléphoniques rien qu’en France.
Cette surveillance visait avant tout les populations laborieuses d’Amérique du Nord et d’Europe où il existe une colère grandissante contre les guerres impérialistes et les coupes sociales exigées par la classe dirigeante.
Selon le compte rendu du magazine Der Spiegel, la principale préoccupation de Merkel était de contrôler la réaction publique face à ces révélations et d’empêcher qu’elle se retourne contre son gouvernement. Après que les services de renseignement allemands eurent confirmé l’authenticité des documents concernant la surveillance de Merkel, relate Der Spiegel, « un sentiment de nervosité a commencé à se répandre au quartier général du gouvernement. Il est clair que si les Américains surveillaient le portable de Merkel, cela serait une bombe politique. »
Selon Der Spiegel, le gouvernement Merkel craignait d’ « avoir l’air d’une bande d’amateurs. » Avant l’éclatement du scandale de l’espionnage de Merkel, le ministre de l’Intérieur allemand, Hans-Peter Friedrich, avait dit que ses craintes à propos d’un espionnage par la NSA s’étaient « évaporées ». Hier, cependant, Friedrich a déclaré au journal Bild am Sonntag que « si les Américains interceptaient les communications des téléphones portables en Allemagne, ils enfreignaient la loi allemande, » ce qui, a-t-il dit, serait une « violation inacceptable de la souveraineté allemande. »
Avant de critiquer Washington, Merkel a toutefois demandé à son conseiller en politique extérieure, Christoph Heusgen, de passer un coup de fil préliminaire à Obama pour lui faire savoir qu’elle projetait de se plaindre sérieusement et de communiquer ensuite ces plaintes à l’opinion publique. Ce qui était en jeu, c’était le contrôle sur l’interprétation politique de l’une des nouvelles les plus explosives de cette année. »
Les alliés de Washington ont camouflé l’affaire de l’espionnage électronique des populations européenne et américaine par les agences de renseignement de l’OTAN. Au lieu de cela, Berlin, Paris et les autres gouvernements européens ont cherché à détourner la colère provoquée en Europe par l’espionnage électronique vers une campagne visant à limiter l’espionnage d’autres gouvernements européens par la NSA et à recentrer quelque peu la politique étrangère américaine.
Lors du sommet de l’UE qui a eu lieu la semaine dernière, Merkel avait proposé que Washington négocie avec Berlin et Paris « un accord de non espionnage » similaire aux arrangements conclus avec les gouvernements britannique, australien, néo-zélandais et canadien. En vertu des modalités de l’accord secret « cinq yeux » (« Five eyes ») conclu après la Deuxième Guerre mondiale, Washington n’espionnerait pas directement les gouvernements de ses alliés anglophones.
En Europe, un tel accord n’empêcherait pas l’espionnage de la population européenne qui – tout comme la population des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de Nouvelle-Zélande et du Canada – est confrontée à une surveillance continue de l’internet et du téléphone ainsi qu’à l’espionnage électronique de la part de diverses agences de renseignement.
De la même façon, Berlin est en train de collaborer avec le gouvernement de la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, pour élaborer une résolution condamnant l’espionnage de la NSA et qui doit être soumise à l’Assemblée nationale des Nations unies. « Elle en est encore à un stade très peu avancé, et donc nous ne savons pas quand elle sera soumise ou si d’autres pays s’y joindront, » ont dit à CNN des responsables allemands.
Les résolutions prises par l’Assemblée générale des Nations unies ne sont toutefois pas contraignantes et n’obligeraient pas le renseignement américain à mettre fin à son espionnage électronique.
Voir aussi:
L’Allemagne accuse les Etats-Unis d’avoir mis sur écoute le portable de la chancelière Merkel
[26 octobre 2013]
(Article original paru le 28 octrobre 2013)