La semaine dernière, l’ancien premier ministre François Fillon a indiqué qu’il n’excluait plus un soutien du mouvement gaulliste pour un candidat du Front national (FN) néo-fasciste. Ce changement de position montre un glissement rapide de l’UMP, comme de tous les autres partis politiques français, vers l’extrême droite.
Fillon avait auparavant déclaré qu’il n’était « pas question de ramper devant l’extrême-droite ». L’année dernière, il avait mené une bataille fractionnelle au sein de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) gaulliste contre les tendances dirigées par Jean-François Copé, qui prônaient une droite « décomplexée » avec des relations plus étroites avec le FN.
Cependant, Fillon a annoncé qu’en cas de duel entre le FN et le Parti socialiste (PS) au pouvoir au second tour des élections municipales de l’année prochaine, il conseillait de « voter pour le moins sectaire ». Il a légitimé ainsi un vote pour le candidat FN au second tour des scrutins à venir.
Geoffroy Didier, cofondateur de la Droite forte, courant créé par d’anciens militants d’extrême droite qui soutenait Copé comme premier secrétaire de l’UMP, a salué ce changement de cap, qu'il juge être "une victoire idéologique" de son mouvement.
« Nous avons toujours dit qu'une part de notre mission était d'aller vers les électeurs du Front national, de nous adresser à eux. Le tournant de François Fillon est véritablement une victoire idéologique de la Droite forte », a-t-il déclaré.
Le député UMP Thierry Mariani, l'un des fondateurs du courant de la Droite populaire qui est aussi l’aile droite de l’UMP, a dit constater « avec satisfaction que François Fillon a évolué » par rapport à sa position sur le FN.
Cette stratégie dispose, pour l’heure, du soutien de l’électorat de droite. Un sondage de BVA révèle que 70 pour cent des sympathisants de droite approuvent le changement de stratégie de M. Fillon, dont 72 pour cent des sympathisants UMP.
Ce revirement de Fillon inquiète cependant certains dirigeants de l’UMP. L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, soutien de Fillon l’année dernière contre Copé, a déclaré : « Alerte rouge. Le vote FN est une ligne de fracture pour l'UMP. C'est notre pacte fondateur qui est en cause ».
Ces remarques sont cyniques, car en tant que premier ministre, Raffarin s’était attaqué aux acquis sociaux des travailleurs tout en encourageant des mesures anti-islamiques, comme l’interdiction du port du voile islamique à l’école, qui ont favorisé la montée du FN au cours de la dernière décennie.
Cependant, la fracture au sein de l’UMP est le reflet de profondes tensions de classe qui se développent au sein de la politique française et internationale. Minée par une profonde crise économique et l’opposition grandissante des travailleurs à l’austérité et à la guerre, exprimée en France par l’hostilité massive de la population envers le gouvernement PS, la classe capitaliste évolue vers le fascisme.
C’est le PS qui est à l’origine de la montée du FN. Dans les années 80, le président PS François Mitterrand s’était servi du FN, alors un petit parti d’anciens groupuscules étudiants d’extrême-droite, pour empêcher que les gaullistes ne gagnent les élections présidentielles et législatives de 1988, malgré l’impopularité du PS, après les attaques du PS contre les travailleurs lors du « tournant de la rigueur » de 1982-3.
Pour détourner le mécontentement des travailleurs, différents gouvernements successifs ont adopté des politiques sécuritaires, chauvines et militaristes pour les diviser. Dans l’opposition, le PS a soutenu différentes mesures réactionnaires de l’UMP—de nombreuses réformes des retraites, le débat sur l’identité nationale, l’interdiction du voile et de la burqa, et les guerres en Syrie, en Libye, au Sahel, et en Côte d’Ivoire.
Actuellement, après un an et demi au pouvoir, le PS est détesté en raison de ses mesures d’austérité, de la destruction des emplois, et de la guerre qu’il a tenté de mener en Syrie malgré l’opposition écrasante de la population. Hollande est le président le plus impopulaire de la Ve République. Ce discrédit rejaillit sur les partis de la pseudo-gauche petite-bourgeoise, tels le Front de Gauche et le Nouveau Parti anticapitaliste, qui avaient appelé à voter pour Hollande et soutiennent le gouvernement PS.
Le PS a donc recours aux provocations, s’appuyant sur des sentiments sécuritaires en encourageant les intimidations de la police envers les musulmans dans les quartiers populaires. Certains élus PS, comme la sénatrice du XVe arrondissement de Marseille Samia Ghali, proposent de faire appel à l’armée pour quadriller les quartiers en difficulté.
Coincé entre le FN et le PS, dont les politiques virent violemment à droite, l’UMP fait le choix de se rapprocher du FN, tentant de se différencier du PS et de se présenter en principal parti de l’opposition. Marine Le Pen, la dirigeante du FN, décrit même cette dynamique en parlant du FN comme « centre de gravité de la politique française ».
Cette évolution reflète l’état extrêmement avancé du pourrissement non seulement des partis de gouvernement, mais des partis politiques dans la périphérie de « gauche » du PS et de ses soutiens dans la bureaucratie syndicale. Leur perspective pro-capitaliste pour lutter contre la montée du FN en appuyant divers partis bourgeois a fait faillite.
Une expérience cruciale a été celle des élections présidentielles de 2002. De larges couches de jeunes et de travailleurs avaient manifesté leur colère de voir le candidat FN, Jean-Marie Le Pen, au second tour de l’élection, après l’élimination de l’impopulaire candidat du PS, Lionel Jospin. Le Pen se trouvait en lice contre le candidat gaulliste, Jacques Chirac.
A ce moment, le WSWS avait souligné la nécessité de boycotter l’élection et s’en était expliqué à Lutte ouvrière (LO), à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, prédécesseur du NPA), et au Parti des travailleurs (qui est devenu le Parti ouvrier indépendant, (POI)) : « Pourquoi un boycott? Parce qu'il faut répudier toute légitimité à cette élection frauduleuse ; parce qu'il faut établir une politique indépendante pour la classe ouvrière ; parce qu'un boycott actif et offensif créerait les meilleures conditions pour les luttes qui suivront les élections. Un appel au boycott de la part de vos trois partis, accompagné d'une campagne offensive, aurait un caractère tout autre qu'une simple abstention individuelle. Il servirait à éduquer les masses politiquement, et surtout les jeunes qui ont été galvanisés par le choc du succès de Le Pen au premier tour ».
Ces organisations petite-bourgeoises « d’extrême gauche » s’étaient opposées à un mouvement indépendant de la classe ouvrière, se rangeant derrière le « barrage républicain » et le candidat Chirac ou, dans le cas de LO, derrière une abstention passive.
Cette position reconnaissait une légitimité politique et démocratique à Chirac. Celui-ci a pu rassembler l’ensemble de la droite traditionnelle au sein d’un nouveau parti, l’UMP qui a mené une politique droitière anti-islamique et hostile à la classe ouvrière, avec le soutien du PS et de ses alliés, ouvrant le chemin au FN. Une décennie plus tard, alors que Marine Le Pen continue sa montée dans les sondages, la banqueroute de cette perspective est évidente.
Seule une mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le PS et les organisations de la « gauche » petite-bourgeoise peut mettre fin à la montée de l’extrême droite. L’expérience a montré que la classe ouvrière ne peut pas se bercer d’illusions sur la « démocratie républicaine », illusions qui, en France et ailleurs, ont accompagné une dérive politique du capitalisme vers l’austérité, le fascisme et la guerre.