Le Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir au Japon, qui est dirigé par le premier ministre Shinzo Abe, a remporté une large victoire aux élections sénatoriales du 21 juillet, gagnant 65 sièges sur les 121 disputés. Le Parti démocrate du Japon (PDJ) est arrivé en seconde position avec seulement 17 élus.
Le PLD espère actuellement que sa majorité dans la Chambre haute augmentera ses chances d’appliquer son programme droitier, notamment la révision de la constitution japonaise. Les modifications, dont le fait de saper les droits démocratiques fondamentaux et la légalisation de l’implication du Japon dans des guerres d'agression à l’étranger, déclencheront une confrontation explosive avec la classe ouvrière.
Le projet de constitution préparé en avril par le PLD a des relents de nationalisme japonais. Les changements les plus significatifs incluent l’élimination de droits démocratiques clé, l’octroi de nouveaux « pouvoirs d’urgence » au premier ministre, le rétablissement de l’empereur comme chef d’Etat et l’annulation de l'article 9 pacifiste de la constitution.
La constitution actuelle avait été créée par les autorités d’occupation américaines après la défaite du Japon dans la Deuxième Guerre mondiale. Face au risque d’une révolution sociale dans un contexte de profonde opposition populaire contre le régime militariste sanglant du Japon, les autorités américaines avaient fait d’importantes concessions politiques. Des droits démocratiques fondamentaux furent officiellement inscrits dans la constitution ; l’Article 9 visait à apaiser un vaste sentiment anti-guerre ainsi qu'à garantir que le Japon ne ferait plus la guerre contre les Etats-Unis.
Le PLD a expliqué que les actuels « amendements constitutionnels… affranchiront le pays d’un système établi durant l’occupation et feront du Japon un Etat véritablement souverain. »
Le discours nationaliste d’Abe souligne que le Japon doit restaurer son statut de « pays normal. » En vertu de la constitution actuelle, le Japon est, à proprement parler, soumis à l'interdiction d’avoir une armée, bien que la « Force d’autodéfense » du Japon figure parmi les plus importantes et les plus sophistiquées du monde. En conséquence, Le Japon manque actuellement de capacités offensives essentielles.
Le titre du nouvel Article 9 a été changé de « Renonciation à la guerre » en « Sécurité nationale. » Bien qu’il conserve l'expression « renonce à la guerre comme instrument de la politique nationale, » le nouvel Article 9 renommera la Force d’auto-défense en Force de la défense nationale ayant pour commandant en chef le premier ministre afin de « garantir la paix, l’indépendance et la sécurité du pays et du peuple. » En pratique, le PLD veut une base juridique pour agir comme partenaire dans les opérations militaires américaines et pour créer une force disposant de capacités offensives, comprenant ce qu'on appelle des frappes « préventives »contre des Etats ennemis.
Cette évolution vers le militarisme va de pair avec des attaques de grande envergure contre les droits démocratiques. Le préambule de l’actuelle constitution souligne l’universalité du principe de la souveraineté populaire et des « lois de la moralité politique ». Il stipule : « Nous, peuple japonais… [avons] décidé à ne jamais plus être les témoins des horreurs de la guerre du fait de l’action du gouvernement. »
Le PLD projette d’ôter ces passages en affirmant qu’il s’agit de concepts « fondés sur la théorie occidentale des droits naturels. » Il leur oppose la singularité japonaise dans un préambule qui débuterait par, « Le Japon est une nation qui jouit d’une longue tradition historique et d’une culture unique, et l’empereur est le symbole de l’unité du peuple. »
Sans en expliquer la raison, le PLD propose de rayer l’Article 97 disant : « Les droits fondamentaux de la personne humaine, garantis par la présente constitution au peuple du Japon… sont conférés… avec mission d’en garantir à jamais l’inviolabilité. » au lieu de cela, le PLD voudrait imposer des « droits » tels que : « Les citoyens doivent respecter le drapeau national et l’hymne national, » et « Tous les citoyens doivent respecter cette constitution. »
Les libertés d’expression et de réunion vont être limitées. Le projet stipule que « l’engagement dans des activités avec l’intention d’endommager les intérêts publics ou l’ordre public, ou l’association avec d’autres dans de tels buts, ne sera pas reconnu. » En d’autres termes, tout discours ou toute manifestation défiant les autorités ou la politique de l’Etat seraient considérés comme inconstitutionnels.
Les nouveaux pouvoirs d’urgence du projet de constitution montrent clairement les formes dictatoriales du régime qui s’ensuivrait, où l’Etat et les organismes de sécurité pourraient gouverner par décret. Ils se lisent comme suit : « En cas d’attaques armées de la nation par l’étranger, de perturbations de l’ordre social en raison de conflits internes ou d’autres situations d’urgence… le premier ministre pourra proclamer une situation d’urgence. »
A ce moment, « le gouvernement peut mettre en œuvre des décrets du cabinet ayant force de loi, » et « tout individu doit se conformer aux directives des institutions nationales ou autres institutions publiques… prises pour protéger la vie, les personnes ou la propriété des citoyens. »
Vu que les partis politiques japonais sont largement discrédités, le PLD cherche à renforcer le rôle de l’empereur en le présentant comme un arbitre au-dessus des partis ou des intérêts de classes. Il va être officiellement nommé « chef de l’Etat, » au lieu de « symbole de l’unité nationale » conformément à la constitution actuelle .
Le projet du PLD écarte aussi l’actuelle disposition que « l’empereur ou le régent… est tenu de respecter et de défendre la présente constitution, » ce qui prépare, dans les faits, à lui redonner le rôle qu’il avait avant la Deuxième Guerre mondiale, c'est-à-dire une figure semi-divine placée au-dessus de la loi et utilisée pour justifier la politique fascisante sur le plan national et international.
Le PLD vise aussi à renforcer le rôle de la religion au sein de l’Etat, en éliminant les dispositions constitutionnelles interdisant l’appropriation de fonds publics « pour l’usage, le profit ou le maintien de toute institution ou association religieuse. » Des exceptions vont être introduites ici pour de telles dépenses si le contenu religieux « ne dépasse pas l’étiquette sociale ou le comportement habituel. » Ceci faciliterait le financement des cérémonies religieuses liées à maison impériale.
Comme en Europe et aux Etats-Unis, l’impérialisme japonais cherche à rétablir des formes autoritaires de régime dans le but de réprimer l’opposition de la classe ouvrière, tandis qu’il poursuit implacablement la contre-révolution sociale à l’intérieur du pays et la guerre à l’extérieur.
Le PLD n’est en mesure de promouvoir un tel programme militariste et antidémocratique que parce qu’il est largement soutenu par l’establishment politique. A sa prise de pouvoir en 2009, le PDJ, qui jadis se présentait comme une alternative « libérale » au PLD, avait poursuivi la politique pro-guerre et pro-austérité du PLD. Il avait procédé au doublement de la taxe sur la consommation et l’engagement du Japon dans le « pivot » américain vers l’Asie pour affronter militairement la Chine.
Après avoir perdu les élections en décembre et la majorité au sénat ce mois-ci, le PDJ est actuellement en déroute. Il s’est opposé aux propositions de modification, proposées par le PLD, de l’Article 96 qui fixe la barre pour des amendements constitutionnels à la majorité simple au lieu, comme c’est actuellement le cas, des deux tiers de tous les membres de chaque Chambre du parlement. Le PLD veut réduire ceci à la majorité simple. En mettant l’accent sur ce point, le PDJ cherche à éviter tout débat public sur les implications considérables qu’aura la décision du PLD de détruire les droits démocratiques fondamentaux.
(Article original paru le 31 juillet 2013)