Le Pentagone prépare une intensification majeure de la guerre menée en Syrie à l'instigation des États-Unis, laquelle impliquerait directement l'armée américaine pour faire tomber le président syrien Bashar el-Assad.
Dans une lettre adressée au sénateur démocrate Carl Levin, le chef de la Commission militaire du Sénat, le général Martin Dempsey, a décrit des propositions et des estimations de coût pour diverses interventions potentielles des États-Unis en Syrie. Ses plans comprennent l'entraînement des milices de l'opposition en Syrie ; des frappes de missiles contre les cibles syriennes ; l'établissement d'une « zone d'interdiction aérienne » pour maintenir au sol ou détruire les forces aériennes syriennes ; la prise de contrôle de « zones tampon » en territoire syrien, proches de la Jordanie ou de la Turquie ; et des raids des forces spéciales pour s'emparer des armes chimiques.
Le Pentagone envisage d'inclure des opérations de grande ampleur, coûtant au moins des dizaines de milliards de dollars par an. Dempsey a déclaré que les frappes des forces spéciales coûteraient plus d'un milliard de dollars par mois, et que les attaques de missiles, qui exigeraient « des centaines d'appareils, des navires, des sous-marins et d'autres vecteurs », coûteraient « dans les milliards. »
La lettre de Dempsey fait suite à un vote la semaine dernière de la part des comités de la Chambre des députés et du Sénat sur les opérations des services de renseignement, qui ont décidé d'armer directement les forces de l'opposition en Syrie. Jusqu'à présent, elles étaient financés et armés par les monarchies pétrolières alliées aux États-Unis, comme le Qatar et l'Arabie saoudite, et non directement par les États-Unis. Cela permettait à Washington d'affirmer cyniquement que l'opposition n'était pas payée par lui, alors même que la CIA coordonnait l'afflux d'armes et d'argent.
Le gouvernement Obama a fait campagne intensivement pour un vote en faveur de l'armement de l'opposition en Syrie. Le vice-président Joe Biden, le directeur de la CIA John Brennan, et le ministre des affaires étrangères John Kerry ont tous trois appelé les membres du Congrès ou donné des instructions.
La justification de départ de la guerre en Syrie, à savoir qu'il s'agissait d'une lutte humanitaire pour défendre un soulèvement démocratique du peuple syrien, est si ouvertement démasquée que les États-Unis et leurs alliés européens ne se donnent pratiquement plus la peine de la répéter. Ils n'ont pas hésité à armer des forces liées à Al-Qaïda comme le Front al-Nusra et ont fait la promotion d'une écurie de « modérés » constituée d'agents de la CIA et d'ex-membres du régime qui ont retourné leur veste, espérant faire tomber Assad. Pendant que le peuple syrien était confronté à un massacre de la part des gangs et des milices soutenus par les États-Unis, les médias et la « gauche » bourgeoise faisaient l'éloge de ces forces comme si c'étaient des combattants révolutionnaires pour la démocratie.
Cette politique criminelle est maintenant en pleine débâcle. Cette opposition risque la défaite parce qu'elle n'a pas de soutien populaire et que la guerre s'étend à d'autres pays. Ces derniers mois, des troupes d'élite iraniennes et des combattants chiites du Hezbollah libanais ont aidé Assad à inverser la tendance contre les milices de l'opposition, dominées par des éléments islamistes sunnites.
La réaction de Washington est de préparer un bain de sang encore plus grand. De puissantes sections de la classe dirigeante poussent à une guerre de grande ampleur des États-Unis pour faire tomber Assad et affirmer par la force l'hégémonie américaine sur le Moyen-Orient. Anthony Cordesman, stratège influent du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS), a défendu l'idée d'une guerre de ce genre dans une chronique pour le Washington Post hier, intitulée « L'effet d'entraînement de la Syrie. »
Il écrit, « Si Assad réussit à écraser l'opposition ou sinon maintient le contrôle sur l'essentiel de la Syrie, l'Iran aura une influence nouvelle et importante sur l'Irak, la Syrie, et le Liban dans un Moyen-Orient polarisé et divisé entre sunnites et chiites […] Cela présenterait des risques sérieux pour Israël, affaiblirait la Jordanie et la Turquie, et, le plus important, donnerait à l'Iran bien plus d'influence dans le Golfe persique, zone qui abrite 48 pour cent des réserves prouvées du pétrole mondial. »
Cordesman a présenté toute une gamme d'actions possibles pour les États-Unis, depuis la fourniture de missiles anti-aériens et anti-char aux milices soutenues par l'occident, à l'imposition d'une zone d'interdiction aérienne pour permettre une intervention directe des États-Unis : « Les responsables américains pourraient dire clairement que soit les rebelles l'emportent avec de telles armes, entraînant un départ négocié du gouvernement Assad et l'installation d'un nouveau gouvernement national, soit les États-Unis trouveront des alliés pour instaurer une zone d'interdiction aérienne. »
La proposition de Cordesman revient à une demande que le Pentagone et ses alliés se tiennent prêts à des guerres de grande ampleur dans la région ou même dans le monde entier avec des pertes massives et des effets dévastateurs sur l'économie mondiale. Ceci pourrait entraîner les États-Unis dans une guerre qui ne serait pas seulement contre la Syrie, mais aussi contre les forces du Hezbollah et les soutiens internationaux du régime d'Assad, l'Iran auquel les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions la semaine dernière, voire même la Russie et la Chine.
Certaines couches de l'armée américaine ont lancé des mises en garde contre une guerre rapide de grande ampleur, en premier lieu parce qu'elles ne sont pas sûres de pouvoir faire face à la manière dont une telle guerre pourrait s'emballer. Ainsi, dans sa lettre à Levin, Dempsey aurait écrit : « Une fois que nous agirons, nous devrons être prêts à affronter ce qui va suivre. Une implication plus profonde sera difficile à éviter. »
Diverses sections de la classe dirigeante proposent de renforcer l'opposition et de mener une guerre par procuration de longue durée en Syrie afin de réaliser une division néo-coloniale du pays. Citant le commentaire de l'attaché de presse de la Maison blanche, Jay Carney, selon lequel Assad « ne contrôlera plus jamais la totalité de la Syrie, » Le New York Times a écrit hier que Washington prépare « la réalité à long terme d'une Syrie divisée, » dont Assad ne contrôlerait qu'une « portion très réduite. »
Tous ces projets d'intensifier l'intervention impérialiste au Moyen-Orient reflètent la crise et l'effondrement de la démocratie américaine. Dix ans après l'invasion désastreuse et impopulaire de l'Irak, les stratèges impérialistes formulent des plans pour une nouvelle guerre ruineuse, au mépris de la volonté de la population. 61 pour cent de la population sont contre l'implication des États-Unis dans la guerre en Syrie, d'après un récent sondage de Quinnipiac.
La capacité de l'élite dirigeante à imposer ses plans de guerre souligne le rôle profondément réactionnaire des médias et de la « gauche » petite-bourgeoise dans la suppression de toute expression claire d'une opposition populaire. En particulier, le rôle des groupes de la pseudo-gauche comme l'International Socialist Organisation (ISO) aux États-Unis, de Die Linke en Allemagne, ou du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France est clair. Ils travaillent continuellement pour vendre les sales guerres impérialistes aux sections libérales de gauche des classes moyennes, en les présentant comme des « révolutions. »
Ces partis ont non seulement soutenu ces guerres dans leurs publications, mais ils ont aussi joué un rôle direct dans les opérations de renseignement nécessaires pour organiser la guerre. Au début de la guerre syrienne, en octobre 2011, Gilbert Achcar du NPA s'était rendu à une réunion secrète du Conseil national syrien (CNS), soutenu par la CIA, pour les conseiller sur les mécanismes des interventions étrangères.
Ces partis servent de porte-parole à diverses sections du monde des services de renseignement qui sont favorables à un renversement impérialiste d'Assad, en alliance avec l'opposition islamiste.
Ainsi, un article récent du principal auteur du NPA sur la Syrie, Gayath Naïssé, intitulé « L'auto-organisation dans la révolution populaire syrienne, » applaudit les milices de l'opposition qui contrôlent la ville syrienne de Deir ez-Zor, en écrivant que « Un rêve démocratique s'est réalisé à Deir Ezzor. » Il nous assure qu'un « processus électoral "libre a été organisé pour la première fois depuis quarante ans" comme le dépeint Khadr, un membre du conseil local de l'opposition qui a été élu dimanche par les habitants des zones "libérées". »
C'est une falsification flagrante du bilan politique des milices d'extrême-droite liées à Al-Qaïda qui ont pris diverses villes syriennes avec le soutien des États-Unis, imposant le règne de la terreur à la population. À Deir ez-Zor, ils ont monté des escadrons de la mort qui ont filmé des vidéos largement diffusées, les montrant en train d'exécuter des habitants opposés à leur politique. De manière plus générale, les milices d'opposition islamistes sont bien connues pour piller les zones qu'elles contrôlent ; elles ont notamment détruit des usines à Alep, afin de financer leurs achats d'armes auprès des alliés des États-Unis.
La dernière déclaration en date de l'ISO sur la Syrie, un texte de Michael Karadjis qui avait d'abord été affiché sur le site pseudo-gauche australien Links, s'en prend à tous ceux qui s'opposent à l'intervention américaine pour soutenir l'opposition syrienne. Dénonçant « les discours faciles sur l'afflux progressif d'armes légères venant de l'étranger qui représenterait une sorte de grande « guerre contre la Syrie, » il s'en prend aux opposants à l'intervention américaine qu'il présente comme « terriblement effrayés à l'idée d'un afflux progressif d'armes parvenant aux rebelles et venant des mauvaises personnes. »
Cette déclaration ajoute, « Ce n'est pas aux socialistes dans les pays impérialistes d'exiger de nos gouvernements qu'ils ne fournissent pas d'armes juste parce que nous comprenons que les objectifs de notre gouvernement sont différents des nôtres et qu'un armement de ce type exige un prix politique de la part des rebelles […] si les États-Unis ou d'autres Etats impérialistes décidaient pour leurs propres raisons de fournir quelques armes, nous ne devrions pas non plus protester contre cela, à la manière de robots. »
Ce passage souligne la manière dont l'ISO sert de défenseur conscient de l'impérialisme et de la guerre. Tout en admettant que l'opposition syrienne consiste en des forces armées par le gouvernement américain et quelle agit par conséquent comme une marionnette, l'ISO demande que ces marionnettes pro-américaines en Syrie soient armées jusqu'aux dents, et qu'il ne faut organiser aucune opposition à une guerre par procuration de ce type.
De telles forces sont complices de la dévastation de la Syrie et des préparatifs en cours pour des guerres impérialistes encore plus grandes et sanglantes.
(Article original paru le 24 juillet 2013)