Par Peter Schwarz
9 juillet 2013
L’atterrissage forcé de l’avion du président bolivien à Vienne a montré que les protestations des gouvernements européens face à la surveillance massive exercée par l’agence américaine de renseignement NSA n’étaient qu’une vulgaire comédie.
On a obligé Evo Morales à atterrir à Vienne le 2 juillet parce que plusieurs pays européens – dont la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal – ont fermé leur espace aérien à son avion qui se dirigeait de Moscou vers La Paz. La raison de cet acte étaient des soupçons non fondés que le lanceur d’alerte américain Edward Snowden se trouvait à bord de l’avion.
Par cet incident, ces gouvernements se sont couverts de honte ; ce fut en particulier le cas pour le président français François Hollande. Lundi, il avait critiqué les mesures d’espionnage de la NSA entreprises par les Etats-Unis et dit : « Nous ne pouvons pas accepter ce type de comportement entre partenaires et alliés. Nous demandons que cela cesse immédiatement ».
Jeudi, il servait de shérif adjoint aux services de renseignement américains, mettait en danger la vie du président bolivien dans le but de livrer l’homme qui a révélé l’ampleur des écoutes opérées par la NSA aux Etats-Unis.
La France s’est par la suite excusée auprès du gouvernement bolivien. En le faisant, Hollande a admis indirectement qu’il avait pris lui-même la décision de la fermeture et de l’ouverture de l’espace aérien français.
Il évoqua des « informations contradictoires » sur les passagers se trouvant à bord de l’avion – suggérant qu’il avait reçu un rapport selon lequel Snowden se trouvait à bord. « Dès lors que j'ai su que c'était l'avion du président bolivien, j'ai donné immédiatement l'autorisation de survol du territoire français, » a-t-il ajouté.
Tous les autres gouvernements européens se sont comportés de la même façon que le gouvernement français. Bien que le public soit indigné de l’interception massive de données opérée par les Etats-Unis, pas un seul gouvernement européen n’est disposé à accorder l’asile politique à Snowden.
Même le traitement scandaleux du président bolivien n’a pas entraîné un murmure de protestation dans les capitales européennes.
Lorsque la CIA utilisa l’espace aérien européen pour kidnapper des suspects présumés de terrorisme dans le but de les torturer (les soi-disant ‘extraditions extraordinaires’), des normes bien différentes ont été appliquées. Pas un seul gouvernement n’a insisté sur sa souveraineté pour fermer son espace aérien, bien qu’il fût clair que les vols étaient illégaux.
En Italie, vingt-deux agents de la CIA et l’ancien chef du renseignement italien, Nicolo Pollari, ont été condamnés à de longues peines de prison pour le kidnapping d’un religieux musulman égyptien. Quelques pays de l’Union européenne – comme la Pologne et la Roumanie – ont même fourni à la CIA des installations où opérer la torture.
Derrière cette attitude il y a plus que de la simple servilité ou de la lâcheté vis-à-vis de l’impérialisme américain. Ce qui lie les gouvernements européens à Washington, ce sont leurs intérêts de classe communs.
Ils s’inquiètent de ce que le gouvernement américain espionne leurs installations gouvernementales, leurs missions diplomatiques et leurs entreprises et de ce que les informations ainsi obtenues sont ensuite utilisées pour les faire chanter. Ils collaborent néanmoins étroitement avec les services secrets américains et maintiennent des appareils de renseignement similaires afin de surveiller leurs propres populations et de réprimer l’opposition sociale et politique.
Plus le débat sur les révélations de Snowden continue, plus de choses sont révélées sur ce qui se passe effectivement en Europe.
Le quotidien français Le Monde par exemple a révélé jeudi 4 juillet que le service de renseignement DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) « collecte systématiquement les signaux électromagnétiques émis par les ordinateurs en France, tout comme les flux entre les Français et l’étranger ». « La totalité de nos communications sont espionnées, » écrit ce journal. « Les politiques le savent parfaitement, mais le secret est la règle : ce Big Brother français est clandestin. Il échappe à tout contrôle. »
Comme aux Etats-Unis, on prétend que les services secrets ne regardent que les metadonnées et pas le contenu. « La DGSE collecte ainsi les relevés téléphoniques de millions d'abonnés… Même chose pour les mails (avec possibilité de lire l'objet du courrier), les SMS, les fax…Et toute l'activité Internet, qui passe par Google, Facebook, Microsoft, Apple, Yahoo!... » écrit Le Monde. « Le dispositif est évidemment précieux pour lutter contre le terrorisme. Mais il permet d'espionner n'importe qui, n'importe quand. »
De cette façon, la DGSE collecte des milliards de milliards de données qui sont stockées sur trois étages du sous-sol de ses installations à Paris. Les superordinateurs de ce service secret peuvent traiter des dizaines de millions de gigabits.
Selon le Monde, les autres services de renseignements français ont eux aussi, accès à cette immense banque de données. Sous couvert d’« anonymat de l’information » même la police judicaire a accès à certaines informations. Ce dispositif, dit ce journal, est totalement illégal, car il n’existe aucune base légale pour le stockage massif de données par les services secrets.
Le BND, le service de renseignement extérieur de la République fédérale d’Allemagne collecte lui aussi, de grandes quantités de données comme l’a confirmé son ex-directeur, Hans-Georg Wieck, à la station de radio Deutschlandfunk. Wieck a dit qu’il n’était pas surpris de l’étendue de la surveillance de l’Internet par les agences de renseignement britanniques et américaines. De tels procédés sont « naturels, le pain quotidien des services secrets » -- y compris celui du BND.