Dans un contexte que le Washington Post décrit comme étant «la prochaine étape de la guerre des drones», l’administration Obama s’apprête à «étendre les robustes réseaux de surveillance du Pentagone bien au-delà des zones de combat traditionnelles et déclarées». Selon le Post, Washington va déployer sa flotte de drones dans de nouvelles régions du monde afin de surveiller les trafiquants de drogue, les pirates et «d’autres cibles qui inquiètent les autorités américaines».
Une porte-parole du département de la Défense a affirmé que l’armée «s’engage à intensifier» les activités de drones à travers l’Asie et le Pacifique. Le Post mentionne aussi la Colombie comme autre théâtre de guerre où les drones américains seront probablement davantage utilisés. Les États-Unis, en collaboration avec l’armée colombienne, ont déjà déployé des drones dans ce pays pour lutter contre les «narco-terroristes».
«Les drones de surveillance pourraient vraiment venir soulager nos forces aériennes en prenant une partie du risque et du travail», a déclaré en mars le général des Marines et chef du Commandement Sud des États-Unis, John F. Kelly.
Obama a beau affirmer que «le flot de la guerre se tarit», le gouvernement américain intensifie en fait ses opérations militaires internationalement. Au cours de la dernière décennie, le Pentagone a développé une flotte de centaines de véhicules aériens sans pilote (unmanned aerial vehicle, UAV) qui volent à haute altitude et qui effectuent quotidiennement des missions répondant aux intérêts stratégiques de l’impérialisme américain. Les drones de type «Predator» ont réalisé à eux seuls au moins 80.000 sorties dans des régions où règnent des conflits, y compris en Afghanistan, au Pakistan, en Bosnie, en Serbie, en Irak, au Yémen, en Libye et en Somalie.
Dans leur article publié en 2013, «Combien de guerres mènent aujourd’hui les États-Unis?» («How Many Wars Is the US Fighting Today?»), Linda Bilmes de la Harvard Kennedy School of Government et Michael Intriligator de l’Université de Californie à Los Angeles soutiennent que les États-Unis se livrent à au moins cinq guerres «imprévues et non déclarées» en utilisant principalement des systèmes d’armes robotisés.
Comme le dit l’article, ces conflits font partie d’une longue «tradition d’incursions militaires secrètes des États-Unis», comme celles au Chili, à Cuba, au Nicaragua et dans de nombreux autres pays. Des technologies militaires de pointe ont facilité le développement massif de ce type d’incursions militaires secrètes: «l’émergence de la guerre robotisée permet aux États-Unis de s’impliquer dans plus de conflits de par le monde», disent les auteurs.
«Aujourd’hui, les opérations militaires américaines se déroulent dans des dizaines de pays sur les cinq continents. L’armée des États-Unis est le plus gros propriétaire terrien au monde; elle possède d’importantes installations militaires dans des pays à travers la planète et elle a une forte présence au Bahreïn, au Djibouti, en Turquie, au Katar, en Arabie saoudite, au Koweït, en Irak, en Afghanistan, au Kosovo et au Kirghizstan, en plus de posséder des bases établies de longue date en Allemagne, au Japon, en Corée du Sud, en Italie et en Grande-Bretagne.»
De plus, les États-Unis ont «une certaine présence militaire» en Colombie, en Égypte, en Iran, en Jordanie, au Kazakhstan, au Liban, en Oman, au Pakistan, aux Philippines, en Syrie, au Tadjikistan, au Turkménistan, aux Émirats arabes unis et au Yémen.
Bilmes et Intriligator soutiennent que «l’invention d’un engin robotisé, précis et piloté à distance a permis aux États-Unis d’augmenter radicalement le nombre d’attaques furtives, non officielles, qu’ils dirigent sans informer le public sur le lieu de ces opérations, les cibles ou le nombre de personnes tuées dans ces attaques, y compris les civils innocents».
Des statistiques de la New America Foundation montrent que le nombre de frappes par drone a grimpé à un rythme exponentiel. De 2004 à 2007, le Pakistan était frappé neuf fois par des drones. En 2010, ce chiffre atteignait 118.
De nombreuses opérations militaires américaines de moindre envergure en Afrique et au Moyen-Orient ont de plus en plus recours aux drones. L’ancien chef du Commandement africain des États-Unis (AFRICOM), le général Carter Ham, a déclaré en février que ses forces avaient besoin de 15 fois plus de surveillance et de reconnaissance sur le continent. Des drones de l’US Air Force effectuent depuis des sorties au-dessus de l’Afrique du Nord et les États-Unis ont maintenant des bases de drones au Djibouti, en Éthiopie et aux Seychelles.
À travers l’opération «Nomad Shadow», un programme secret de surveillance de l’armée des États-Unis, cette dernière déploie des drones de la base aérienne d’Incirlik en Turquie pour fournir de la surveillance à l’armée turque dans sa campagne contre le Parti des travailleurs du Kurdistan séparatiste (PKK). Les drones survolent le nord de l’Irak pour amasser des renseignements qui sont ensuite retransmis à une cellule spéciale à Ankara qui les analysera.
Les opérations de drones soulèvent la colère de la population en Turquie. Des protestations avaient éclaté en 2012 suite à une frappe aérienne qui avait tué 34 civils. Des pilotes turcs avaient suivi les renseignements fournis par un drone américain qui avait faussement pris un convoi civil pour des guérilleros du PKK. Une étude du Pew Research Center publiée jeudi dernier a établi que 82 pour cent des Turcs étaient opposés à la guerre des drones de l’administration Obama.
En plus de ses opérations à l’étranger, l’administration Obama multiplie les sorties de drones en territoire américain. Ainsi, l’Office of National Marine Sanctuaries (ONMS) s’est procuré des drones Puma, que la Marine utilise, et qui devraient être déployés le long de la côte de Los Angeles.
L’ONMS s’apprête à déployer les drones dans d’autres États, y compris en Hawaï, en Floride et à Washington. Un nouveau hangar de 100 millions de dollars est prévu à Fort Riley au Kansas, et un autre, à l’aérodrome de Fort Hood au Texas.
Le bilan des victimes civiles ne cesse de grimper dans cette guerre des drones. L’an dernier, le Bureau of Investigative Journalism (BIJ) a publié des informations sur des frappes qui avaient été lancées délibérément contre des sauveteurs, des personnes assistant à des funérailles et des gens qui retournaient sur les lieux d’une première frappe après l’explosion, une tactique connue sous le nom de «doublé». Ces frappes de drone sont lancées fréquemment après analyse d’un «modèle de comportement» où des personnes agissant de façon supposément suspecte sont prises pour cibles.
Selon le BIJ, les frappes de drones américains ont causé la mort d’au moins 3500 personnes, dont des citoyens américains, qui avaient été personnellement choisies par le président Obama pour être assassinées. Le BIJ soutient qu’au moins 555 personnes parmi les victimes sont des civils, ce qui contredit la sénatrice Dianne Feinstein qui a affirmé que la quantité de morts civiles ne dépassait pas un nombre «à un seul chiffre».
Dans une fuite récente d’un document interne du gouvernement pakistanais «Renseignements sur les attaques des forces de l’OTAN et des drones Predator dans les FATA», il a été révélé qu’au moins 147 des 746 personnes tuées par des drones américains entre 2006 et 2009 étaient des civils, et que 94 d’entre elles étaient des enfants. Un reportage publié l’année dernière par les facultés de droit de Stanford et NYU concluait que pour chaque «insurgé» dont l’identité a été confirmée et qui est éliminé par frappe aérienne, 50 civils sont tués.
L’administration Obama, comme l’a affirmé le Post, «a appliqué un vaste cône de silence sur ses programmes de drones internationalement», et agit dans le secret pour institutionnaliser l’assassinat ciblé sur la base de lois et de décrets dont peu connaissent l’existence.
En mai, Obama a donné un discours pour défendre vigoureusement son utilisation des drones et a annoncé que les politiques de son administration sur cette question allaient être définies dans un nouveau document d’«Orientation de la politique présidentielle». Obama a ainsi déclaré: «Car le progrès humain qui nous donne la technologie pour frapper à l’autre bout du monde exige aussi la discipline pour contenir ce pouvoir, au risque d’en abuser. C’est pourquoi, durant les quatre dernières années, mon administration a travaillé énergiquement pour encadrer notre utilisation de la force contre les terroristes, en établissant des directives et un processus de supervision et de responsabilités clairs qui sont maintenant inscrits dans le document d’orientation de la politique présidentielle que j’ai signé hier.»
Ce document d’Orientation de la politique présidentielle (OPP) est l’un d’une série de plus de 20 documents de directives de la politique présidentielle (DPP) promulgués par l’administration Obama et gardés secrets. Selon le site allgov.com, un DPP est une «déclaration du président dirigée à l’exécutif» qui «devient partie intégrante du cadre juridique particulier qui se développe autour d’une loi ou d’un programme».
L’OPP institutionnalise et offre une fausse apparence de légalité à la campagne mondiale d’assassinats ciblés. Ce qu’Obama présente comme une contrainte sur le pouvoir est en fait une mesure qui retire à quiconque sur la planète le droit de ne pas être tué arbitrairement sur la décision d’un représentant de l’État américain.
La guerre des drones mondiale est un instrument fondamental de la politique étrangère des États-Unis. Elle est menée sous la fausse bannière de la «guerre internationale contre le terrorisme», non pas pour défendre les États-Unis contre les terroristes, mais bien dans le cadre d’un vaste programme militariste qui vise à contrer l’érosion de la position de domination de l’impérialisme américain.
(Article original paru le 23 juillet 2013)