L’élite torontoise cherche à se débarrasser de son maire populiste de droite

L’élite économique de Toronto a pris à partie Rob Ford – le maire populiste de droite de la métropole et leur homme de main désigné pour l’imposition de coupes dans les dépenses sociales et de contrats de concessions sur les travailleurs municipaux – et semble maintenant vouloir lui faire quitter son poste.

Samedi dernier, le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel de l’élite financière canadienne, a réservé cinq pages pleines afin de détailler les allégations de consommation et de trafic de drogue impliquant Ford et ses proches. L’affirmation la plus accablante est que Doug Ford, le frère aîné du maire, son principal conseiller et un collègue membre du conseil de ville de Toronto, aurait régulièrement vendu de la drogue sur une période de cinq ans ou plus allant jusqu’au début de son âge adulte.

L’article du Globe est apparu au beau milieu d’une frénésie médiatique concernant des allégations qu’un trafiquant de drogue avait repéré une vidéo apparaissant sur un téléphone portable qui montre le maire Ford inhalant dans une pipe à crack. Dans la vidéo, le maire est accompagné de deux «gangsters somaliens» et tient des propos racistes et homophobes. Le site web américain «Gawker» a été le premier à annoncer l’existence de cette vidéo; le jour suivant, le 16 mai, le Toronto Star a annoncé que deux de ses journalistes avaient vu la vidéo et la croyait authentique. Le Star a accompagné son reportage d’une photo, fournie par le trafiquant de drogue qui dit être en possession de la vidéo, qui montre Ford en compagnie de deux hommes. L’un d’entre eux est un trafiquant de drogue qui fut assassiné plus tôt cette année.

Le Star a par la suite rapporté qu’il avait rejeté une offre pour acheter la vidéo au prix de 200 000 dollars. Le site web Gawker tente maintenant d’amasser les fonds pour l’acheter et, au 26 mai, disait avoir amassé plus de 175 000 dollars.

Ford, un défenseur véhément de politiques de droite de type «loi et ordre», a rapidement qualifié l’article du Star de «ridicule» pour ensuite ne plus faire aucune déclaration. Clairement, il espérait ignorer effrontément ce scandale comme il l’a fait pour de nombreuses autres précédentes controverses, incluant une série de cas où il a bafoué les règles de ville pour ses intérêts personnels et politiques.

Cependant, comme Ford a maintenu le silence jusqu’à la fin de la semaine dernière, il a été soumis à des critiques médiatiques de plus en plus grandes et il est devenu clair au sein de l’élite politique et financière de Toronto que Ford était devenu un handicap politique.

Le Toronto Sun, un tabloïde de droite qui a sans réserve fait l’éloge de Ford et de ses attaques frontales contre les travailleurs de la ville, les pauvres, les immigrants et les gais, l’a enjoint à céder sa place s’il ne pouvait pas nier catégoriquement que la vidéo était fausse. Différents chroniqueurs du National Post, un journal néoconservateur, ont pour leur part exprimé du désarroi devant l’incapacité de Ford de fournir une «explication sérieuse».

Vendredi, le maire adjoint Doug Holyday, un des alliés les plus fidèles de Ford et son bras droit dans l’imposition de contrats de concessions sur les travailleurs de la ville, a mené une mutinerie de la moitié des membres du conseil exécutif de Ford, exigeant dans une lettre que Ford réponde «franchement et avec transparence» aux allégations contre lui.

D’autres alliés de Ford, comme le premier ministre conservateur Stephen Harper, le ministre fédéral des Finances Jim Flaherty et l’ancien premier ministre de l’Ontario Mike Harris, ont maintenu un silence embarrassé.

Dimanche, le maire Rob Ford et son frère ont utilisé leur émission hebdomadaire de radio pour monter une contre-offensive. Ford a fustigé la presse, les qualifiant de «bande de minables», a nié que la vidéo eut existé et a promis de se présenter pour être réélu en tant que maire. Doug Ford a nié les allégations dans le rapport du Globe, tout en ajoutant qu’elles appartiennent à des choses qui se sont produites il y a un plus d’un quart de siècle.

À part une condamnation criminelle, il n’y a pas de mécanisme rapide pour destituer un maire élu de la ville de Toronto. Cependant, l’administration Ford est au bord de l’éclatement. Le 23 mai, Ford a renvoyé son chef de cabinet, Mark Towhey, pour «insubordination» et l’a fait escorter jusqu’à l’extérieur du bâtiment par des gardes de sécurité. Lundi, son attaché de presse et son assistant ont démissionné.

Ford, un multimillionnaire né dans une famille privilégiée, est un tyran de droite ignare dont la prétention de parler pour les gens ordinaires a toujours été une imposture. Il a servi d’instrument enthousiaste pour l’élite de Toronto, qui est composée d’une bonne partie de la classe dirigeante canadienne, pour les coupes dans les services publics et les coups portés aux travailleurs municipaux.

Ceci étant dit, l’apparente chute politique de Ford n’est pas le produit d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Plutôt, elle est orchestrée par une élite qui a décidé qu’il est devenu un fardeau dans la poursuite de son programme de guerre de classe.

Comme le World Socialist Web Site l’a expliqué vers la fin de l’année dernière lorsqu’une affaire judiciaire par l’avocat de «gauche» bien connu, Clayton Ruby, a trouvé Ford coupable d’un abus d’autorité mineur – un verdict qui a été renversé en appel – et lui a ordonné de se retirer de son poste de maire, le départ de Ford fournirait simplement à l’élite dirigeante l’opportunité de façonner une administration qui défendrait plus efficacement les intérêts de la grande entreprise.

Les victoires politiques de Ford – sa victoire aux élections municipales de 2010, son imposition de vastes coupes budgétaires et le saignement à blanc des travailleurs de la ville lors de négociations contractuelles de 2012 – ont été rendues possibles grâce aux politiques de droite de la «gauche» officielle, aux syndicats, aux sociaux-démocrates du NPD et à leurs amis libéraux.

David Miller, le prédécesseur de Ford qui était appuyé par les syndicats et le NPD, a octroyé aux grands promoteurs de généreux congés fiscaux sur la propriété et des subventions. Ces politiques ont soutiré des millions aux coffres de la ville et ont mené à des coupes dans le déneigement, les parcs et les loisirs ainsi que dans les services de garde. En 2009, Miller a forcé les travailleurs de la ville à faire grève, mais après qu’il ait échoué à obtenir des concessions du même niveau que ce que demandait l’élite financière, celle-ci s’en est pris à lui et a indiqué qu’elle s’opposerait à sa réélection. Miller a réagi en annonçant rapidement qu’il quitterait son poste à la fin de son mandat.

Lors des élections de 2010, Ford fut en mesure d’exploiter la colère populaire répandue contre la chute du niveau de vie en promettant d’abaisser les taxes, tout en mentant de manière éhontée en disant que toutes coupes n’auraient d’impact que sur les «conditions privilégiées» dont profitaient supposément les employés de la ville.

Lorsque Ford a imposé des coupes budgétaires massives et saccagé le contrat des travailleurs de la ville, les syndicats et la «gauche» n’ont monté qu’une opposition de façade. Le syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a délibérément séparé la lutte des travailleurs de la ville contre la destruction de la sécurité d’emploi – une étape cruciale vers la privatisation des services publics – de la lutte contre les coupes budgétaires. Ensuite, lorsque Ford a menacé d’embaucher des briseurs de grève pour mettre fin à une grève contre les demandes de concessions provenant de la ville, le SCFP s’est rendu devant les travailleurs municipaux et leur a dit qu’ils seraient «isolés» s’ils résistaient.

Le SCFP a ainsi fait passer un contrat rempli de concessions, permettant à Ford d’imposer une défaite exemplaire sur les travailleurs municipaux et créant un précédent pour les employeurs, des secteurs publics comme privés, à travers tout le pays.

Les syndicats et le NPD, qui ont facilité à tous les coups les «victoires» de Ford, ont invoqué la menace droitière représentée par Ford et son allié provincial, le chef des conservateurs ontarien Tim Hudak, pour justifier leur soutien à un gouvernement minoritaire ontarien dirigé par les libéraux, qui a mis en oeuvre des mesures antiouvrières bien plus importantes que celles de Ford.

Au printemps 2012, le NPD a facilité le passage du budget de l’Ontario qui coupait 14 millions $ des dépenses publiques sur les trois prochaines années. Il y a deux semaines, le NPD, applaudi par les syndicats, a réaffirmé son appui aux libéraux. Sous le prétexte de s’opposer à la «droite», les sociaux-démocrates continuent de soutenir un gouvernement libéral qui, l’hiver dernier, a utilisé une législation antiouvrière afin d’imposer de vastes concessions sur les professeurs. Lors du printemps 2013, les libéraux ont intensifié leur budget d’austérité, promettant de geler les salaires des travailleurs du secteur public et de limiter la hausse des dépenses sociales à 1 % jusqu’en 2017.

(Article original paru le 28 mai 2013)

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