Le ministre du Parti québécois (PQ) responsable des institutions démocratiques, Bernard Drainville, a annoncé qu’une «Charte des valeurs québécoises», qui fait suite à la «Charte séculaire» que le PQ avait promis d’implanter en campagne électorale, sera présentée par le gouvernement cet automne.
Le dépôt de cette charte coïncidera avec les débats parlementaires sur le projet de loi 14. Ce projet de loi, qui vient tout juste d’être accepté en principe par l’Assemblée nationale du Québec et qui passera en deuxième lecture à l’automne, vise à renforcer la loi 101, elle-même une loi chauvine.
La charte sur les valeurs québécoises et le projet de loi 14 font partie des efforts du Parti québécois pour détourner l’attention des mesures d’austérité du gouvernement Marois et diviser les travailleurs selon des lignes linguistiques et ethniques.
En faisant la promotion de ces politiques identitaires, le PQ tente de poursuivre et intensifier le débat sur les accommodements raisonnables qui avait été orchestré, en 2006-2007, par l’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste de droite, avec l’appui des médias de la grande entreprise. Tout comme maintenant, la promotion de ces politiques identitaires était destinée à canaliser l’opposition populaire face aux politiques de droite de l’élite dans des voies réactionnaires.
Après que l’ADQ, suite à cette campagne populiste et jouissant du fait que c’était un parti peu connu, ait accédé au statut d’opposition officielle et relégué le PQ au statut de troisième parti, le PQ avait tiré la conclusion qu’il ne devrait plus jamais être devancé sur les questions identitaires.
L’élection de Pauline Marois à la tête du Parti québécois en 2007 devait amorcer ce tournant. Quelques mois après être devenue chef du parti, Marois déposait un projet de loi sur la citoyenneté québécoise visant à priver de leurs droits politiques les citoyens canadiens nouvellement installés au Québec qui ne maîtrisent pas suffisamment le français. Ces derniers n'auraient pas pu, selon ce projet de loi, se porter candidats lors d'élections, faire des dons à des partis politiques ou adresser des pétitions à l’Assemblée nationale.
Quant à l’ADQ, sa montée à l’opposition officielle ne signifiait pas un tournant vers la droite de l’électorat québécois. L’ADQ, après que la population ait pris davantage conscience de sa véritable nature, a subi une raclée aux élections suivantes et s’est dissoute dans la Coalition Avenir Québec (CAQ).
Le ministre Bernard Drainville présente sa «Charte sur les valeurs québécoises» comme une plateforme pour «affirmer les valeurs québécoises». Il a déclaré : «Il ne doit pas y avoir de passe-droit ou de traitement préférentiel en raison de la religion». Le projet de loi 14, quant à lui, affirme le droit de «vivre et travailler» en français.
En fait, au moment où le PQ tente de ramener l’idée que certaines minorités religieuses reçoivent un traitement privilégié, c’est l’ensemble des travailleurs qui doivent encaisser des attaques constantes sur les programmes sociaux auxquels ils ont droit. De la même manière, le PQ défend le «droit» d’avoir un emploi en français, mais il s’en prend en même temps au droit social d’avoir un emploi décent.
Depuis son arrivée au pouvoir, le Parti québécois n’a fait qu’intensifier les mesures d’austérité de son prédécesseur, le Parti libéral du Québec (PLQ). Entre autres, le PQ a déposé un budget qui comprenait les plus importantes coupes dans les dépenses publiques depuis 15 ans. Il a imposé des coupes brutales dans l’aide sociale, dans les garderies et dans l’éducation ainsi qu’une série d’autres mesures visant à faire payer les travailleurs pour la pire crise du système capitaliste depuis les années trente. Toutes ces mesures ont été applaudies par la grande entreprise québécoise.
Les mesures d’austérité du PQ ne sont pas différentes de celles des conservateurs de Stephen Harper au niveau fédéral, qui a annoncé des coupes drastiques dans l’assurance-emploi, ni de celles du parti libéral en Ontario, qui avec le soutien des sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique, a passé un budget d’austérité qui s’en prend notamment aux enseignants.
Partout dans le monde, les élites dirigeantes ont recours au chauvinisme pour détourner les travailleurs de la crise du système de profit et justifier le recours au militarisme. En France, les autorités ont interdit le port de la burqa dans les lieux publics et procèdent à des déportations massives de Roms. Aux États-Unis, l’État de l’Arizona a passé une loi sévère qui criminalise tous les sans-papiers et ceux qui les hébergent.
C’est dans ce contexte de crise profonde du système capitaliste qu’il faut comprendre le dépôt du projet de loi 14 et de la «Charte des valeurs québécoises» ainsi que l’obsession du PQ, soutenu par la bureaucratie syndicale, pour toute une série de mesures de type identitaire.
Le projet de loi 14 comprend, entre autres, l’assujettissement des entreprises de 26 à 49 employés à la loi 101 afin de les obliger à se franciser. En vertu de la loi 101, des obligations de francisation étaient déjà appliquées aux entreprises de 50 employés et plus, mais le projet de loi 14 donne de vastes pouvoirs additionnels à l’Office québécois de la langue française (OQLF), organisme responsable d’appliquer la loi 101 : celui-ci pourra maintenant directement passer le dossier au directeur des poursuites criminelles et pénales. Une mesure initialement envisagée dans le projet de loi aurait forcé les cégeps anglophones à donner priorité aux anglophones afin de réduire l'accès aux francophones et allophones, et donc leur capacité à devenir bilingues.
Selon le Barreau du Québec, qui a émis plusieurs critiques du projet de loi 14, les allophones, qui sont souvent majoritaires dans les entreprises de 26 à 49 employés seront particulièrement touchés par ces exigences linguistiques «aussi lourdes». Le Barreau admet que «certaines mesures proposées […] ne puissent être justifiées dans une société libre et démocratique». Le projet de loi vise aussi à accroître le poids de la maîtrise du français dans la sélection des immigrants.
Suite aux différentes critiques du projet de loi dont celles de la Coalition avenir Québec, la ministre responsable de la langue française, Diane de Courcy, a présenté une version adoucie du projet de loi. Les deux modifications au projet de loi, qui pourront être amendées pour la version finale du projet de loi en automne, sont : l’abandon de la disposition concernant le privilège dont bénéficient les militaires francophones d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise, ainsi qu’un assouplissement possible du seuil démographique de 50 pour cent requis pour les municipalités afin de garder leur statut bilingue.
Ces modifications ne changent rien à l’esprit du projet de loi et celui-ci est tout à fait en lien avec les nombreuses autres mesures dont le PQ a fait la promotion dans les dernières années. Au lieu d’utiliser les ressources de la société pour promouvoir la connaissance et l’utilisation de plusieurs langues, le PQ défend les «valeurs québécoises» comme quelque chose de suprême, au détriment des droits des minorités ethniques.
Récemment, plusieurs autres cas parus dans les médias ont montré le caractère profondément réactionnaire et antidémocratique de la croisade identitaire du Parti québécois et de tout l’establishment politique québécois.
Quelques semaines avant d’annoncer sa «Charte sur les valeurs québécoises», le ministre Drainville et certains médias ont tenté de soulever un tollé public concernant des accommodements faites par certains arrondissements situés sur l’Ile de Montréal envers la communauté juive orthodoxe. Depuis près de trente ans, celle-ci demande que l’interdiction de stationner pendant les heures de nettoyage, dans certaines rues autour des synagogues pendant les fêtes religieuses juives, soit retirée. La Ville fait cet accommodement depuis près de trente ans et permet aux Juifs orthodoxes, qui ne conduisent pas les jours de fêtes religieuses, et à tous ceux qui ont garé leur voiture dans ce périmètre, de laisser leur voiture en place.
Dans le climat chauvin promu par le PQ, la Fédération québécoise de soccer a interdit le port du turban en prétextant des raisons de sécurité, même si la directrice générale de la Fédération, Brigitte Frot, a admis n’avoir jamais eu vent d’aucun incident impliquant le turban dans la partie anglophone du Canada, là où le port du turban pour jouer au soccer est permis. Faisant référence aux jeunes sikhs qui ne pourront jouer au soccer dans les ligues fédérées, Mme Frot a dit : «Ils peuvent jouer chez eux.» Marois a vigoureusement défendu la position de la Fédération québécoise de soccer, même après la levée de l'interdiction suite à un jugement de la FIFA (la Fédération internationale de soccer) autorisant le port du turban.
Lorsque le ministre Drainville a annoncé sa «Charte des valeurs québécoises», il a déclaré : «On ne veut pas que le gouvernement ait une préférence pour une religion plutôt qu’une autre.» En fait, c’est précisément ce que font les autorités québécoises. Récemment, la Cour d’appel du Québec a stipulé que le Conseil de ville de Saguenay, la septième ville en importance dans la province, pouvait réciter une prière avant leur séance.
Ce jugement est tout à fait en ligne avec le point de vue défendu par le PQ et les élites québécoises selon lesquelles il faut défendre «l’héritage catholique québécois» contre les valeurs «étrangères» qui viennent «s’imposer» aux Québécois.
Dans la même veine, la «Charte des valeurs québécoises» ne remettra pas en question le crucifix qui pend au Salon bleu de l’Assemblée nationale, ni le drapeau québécois, une croix blanche sur fond bleu qui représente la pureté de la Vierge Marie. La «Charte séculaire» qui l’a précédée dans les cartons du PQ aurait interdit aux employés de la fonction publique de porter le moindre signe religieux, sauf une croix «discrète» pour les catholiques. La «Charte séculaire» a d’ailleurs été renommée «Charte des valeurs québécoises» afin de mettre moins d’accent sur le contenu supposément laïque de la Charte et de ne pas s’aliéner la droite catholique.
N’ayant pas d’appui populaire pour ses politiques de droite, le PQ cherche à se créer une base d’appui parmi les couches les plus arriérées de la population québécoise. Le faible appui populaire pour le développement du militarisme canadien et ses interventions sanglantes dans des pays à forte majorité musulmane, comme l’Afghanistan, est aussi un facteur clé qui pousse les élites à alimenter le chauvinisme anti-immigrant et à flatter les bigots anti-musulmans.
Le prédécesseur du PQ, le Parti libéral du Québec (PLQ), s’était adapté au débat sur les accommodements raisonnables en présentant sa loi 94. Si elle était entrée en vigueur, cette loi aurait interdit aux femmes portant le voile intégral, c’est-à-dire la burqa ou le niqab, de recevoir des services des institutions publiques et parapubliques de juridiction provinciale, sauf en cas d'urgence comme un accident d'auto. Il leur serait aussi interdit de travailler dans ces mêmes institutions si elles portaient le voile intégral. Répondant à des critiques de Pauline Marois qui disait que son projet de loi devrait aussi viser le hijab, un voile musulman, l’ex-premier ministre Jean Charest avait répondu : «Mme Marois va trop loin… Car les religieuses aussi se couvrent la tête, et une loi plus sévère encadrerait donc également leurs pratiques.»
Les syndicats, des alliés historiques du PQ qui jouent un rôle clé pour détourner vers le nationalisme la colère montante des travailleurs face aux mesures d’austérité, ont appuyé le projet de loi 14. En fait, ils aimeraient que le PQ aille encore plus loin. La Confédération des syndicats nationaux (CSN), le deuxième plus important syndicat au Québec, y est allé de 18 recommandations pour renforcer le caractère chauvin du projet de loi.
Tandis que les syndicats se font les champions du «droit de travailler en français», ils jouent constamment un rôle clé pour isoler et détourner toute lutte des travailleurs pour défendre leurs emplois et leurs conditions, laissant ainsi le champ libre aux attaques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière.
Québec Solidaire, le parti de la pseudo-gauche québécoise, qui, tout comme les syndicats, est très sensible à toutes les questions de types identitaires, a voté en faveur du projet de loi 14 en disant qu'il allait «dans la bonne direction». Lors du débat sur les accommodements raisonnables, tandis que les gens les plus racistes étaient encouragés à s’exprimer, QS avait accepté le débat comme quelque chose de légitime, sans montrer les enjeux de classe qui le sous-tendaient.
La classe dirigeante québécoise, avec le PQ en tête, a une longue histoire d’utilisation des différences culturelles entre les travailleurs afin de les diviser et d’empêcher qu’ils s’unissent sur la base de leurs intérêts de classe. La «menace de l’anglais» et des «valeurs étrangères» est constamment brandie au nez des travailleurs francophones, alors que la véritable menace qui les guette, tout comme leurs frères et sœurs de classe qui parlent d’autres langues, est la société basée sur le profit.
Les travailleurs doivent s’opposer à des législations réactionnaires comme le projet de loi 14 et la Charte des valeurs québécoises. Aux mesures d’austérité accompagnées de chauvinisme prônées par l’élite dirigeante, les travailleurs de toute origine ethnique doivent répondre par une unité de classe, en avançant un programme socialiste et internationaliste. C’est le programme qui est défendu par le Parti de l’égalité socialiste du Canada.