Deux semaines après l’écroulement du bâtiment du Rana Plaza, les géants de la distribution qui font produire leur vêtements au Bangladesh, comme Walmart, Primark, Benetton et d’autres, se sont engagés dans une opération cynique de relations publiques dans le but de prendre leurs distances vis-à-vis de cette tragédie et de préserver leur image et leurs profits.
Le 7 mai, le bilan des victimes avait atteint 705 morts et des centaines de blessés, faisant de cet écroulement la pire catastrophe industrielle de l’histoire du pays et une des pires qui se soit jamais produites dans le monde. Le Rana Plazza est typique de milliers d’ateliers de misère mal construits et dangereux du Bangladesh, employant des ouvriers à 38 dollars par mois pour produire en masse les commandes de certaines des plus importantes sociétés dans le monde.
Une opération médiatique bien orchestrée s’est mise en route dès que la nouvelle de la catastrophe a commencé à se répandre le 24 avril. Les services de relations publiques bien dotés des sociétés directement ou indirectement impliquées ont publié des déclarations exprimant leur « choc » et leur « tristesse » devant les vies perdues. La plupart ont tenté de nier tout rapport avec les cinq usines de vêtements situées dans le bâtiment, sans aucun doute conseillés par leurs services juridiques, également bien équipés. Quelques-uns ont reconnu leurs rapports avec les fournisseurs du Rana Plaza.
Ces larmes de crocodile et déclarations exprimant le « choc » sont tout à fait hypocrites. La raison même pour laquelle certaines des marques internationales les mieux connues font produire leurs marchandises au Bangladesh, est que ce pays a les coûts les plus bas – non seulement en termes de salaire mais aussi pour ce qui est des frais généraux, dû au manque de réglementation. La sécurité et les normes de construction n’existent en grande partie que sur le papier, étant donné que le gouvernement utilise très peu d’inspecteurs pour faire appliquer les normes et ce, dans un pays qui est notoire pour sa corruption et le paiement de pots-de-vin.
De nombreuses sociétés montrent en façade qu’ils s’inquiètent des conditions en établissant pour leurs fournisseurs des règles soutenues par un système d’« audits » prétendument pour assurer que les normes soient remplies. La réalisation d’audits de sécurité et des conditions de travail est devenue une industrie en soi, dans laquelle sont engagées les ONG (organisations non gouvernementales). Les règles sont ignorées et les commandes généralement données en sous-traitance à des ateliers de misères plus petits. Les audits ne représentent guère plus que des embêtements occasionnels, les producteurs réduisant les coûts afin de respecter le prix demandé.
Un groupe de suivi, Business Social Compliance initiative, opérant à partir de Bruxelles a admis que ses auditeurs avaient approuvé deux des usines de vêtement du Rana Plaza pour leurs clients. Le bon état structurel du bâtiment ne se trouvait tout simplement pas sur la liste de contrôle.
L’amplitude même de la catastrophe du Rana Plaza, qui a horrifié les gens dans le monde entier, a forcé certains géants de la distribution à envisager de faire des affaires ailleurs. Le New York Times a souligné la semaine dernière que la société Walt Disney, le plus important donneur de licence au monde grâce à des ventes annuelles de plus de 40 milliards de dollars, avait émis une directive en mars demandant de mettre fin à la production de produits griffés au Bangladesh et dans d’autres pays. Des produits Disney avaient été trouvés dans les ruines de la fabrique de mode Tazreen qui fut détruite par le feu en novembre dernier, tuant 112 ouvriers.
A l’époque, l’incendie était la pire catastrophe industrielle du pays. Cependant, la directive de Disney de se retirer du Bangladesh était une décision purement commerciale. Le coût infligé à son image en tant que société dépassait tout simplement l’impact relativement faible sur ses profits, étant donné que seule une très faible partie de sa production est produite au Bangladesh. Dans sa déclaration, Disney annonça que la production serait progressivement retirée sur une période de plus d’un an. Cela laissait la porte ouverte à un retour, si les usines commençaient à coopérer avec le programme Better Work dirigé par l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Société financière internationale, une structure de la Banque mondiale.
Les sociétés qui ne sont pas financièrement en mesure de se retirer on requis les services de l’OIT, des syndicats et de diverses ONG pour faire pression sur le gouvernement du Bangladesh et sur les producteurs afin qu’ils entreprennent des transformations superficielles. La semaine dernière, la BEGMA, l’Association des producteurs et exportateurs de vêtements du Bangladesh qui veut à tout prix garder ses clients internationaux, a rencontré des représentants de quarante acheteurs parmi lesquels H&M, JC Penny, Gap, Nike, Li & Fung et Tesco. Elle promit d’effectuer des inspections de construction de tous ses membres.
Certaines sociétés comme Primark promettent de payer des indemnité à hauteur d’environ 1200 dollars pour chacune des familles des victimes de la catastrophe du Rana Plaza. Walmart qui était directement impliqué dans la catastrophe du Tazreen Fashion, a refusé de payer ce qui représente le prix du silence, mais a fait un don de 1,6 millions de dollars envers un programme de formation à la sécurité incendie au Bangladesh. Ces sommes sont dérisoires est sans aucun doute calculées grâce aux méthodes de l’analyse coûts/bénéfices utilisée par Disney pour parvenir à sa décision.
L’Union européenne, (UE) agissant au nom des distributeurs européens a publié une déclaration la semaine dernière menaçant de retirer au Bangladesh l’accès commercial préférentiel aux marchés de l’UE. La dirigeante de la politique extérieure de l’UE, Catherine Ashton et le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, ont déclaré que l’UE envisageait une « action appropriée » afin d’inciter à la gestion responsable des chaînes d’approvisionnement dont font partie les pays du tiers monde. Quelque 60 pour cent des exportations de vêtements du Bangladesh vont en Europe.
La posture adoptée par l’UE n’a rien à voir avec une amélioration du sort des travailleurs du Bangladesh. Les responsables de l’UE ont déclaré au Financial Times que le fait de retirer la préférence commerciale serait une « mesure extrême » dont il était improbable qu’elle soit prise. Comme l’a dit un des responsables de la Commission européenne à ce journal, la déclaration adressé aux autorités du Bangladesh ne l’a été que pour « leur mettre un peu le feu sous les pieds ».
Si la préférence commerciale était retirée, ou si des grandes sociétés suivaient l’exemple de Disney, l’effet sur l’économie du Bangladesh serait catastrophique. L’industrie du vêtement représente environ 80 pour cent des exportations du pays et plus de trois millions d’ouvriers sont directement employés dans cette industrie. Beaucoup perdraient leur emploi, aggravant la pauvreté très répandue qui afflige déjà les masses du Bangladesh.
De plus, tout mouvement hors du Bangladesh de la part des sociétés ne se ferait qu’en direction d’une autre zone de travail à bon marché avec des coûts encore plus bas. On vante la Birmanie (Myanmar) comme une alternative possible où le régime dominé par l’armée garantirait une main-d’œuvre docile et peu de réglementation. La ruée pour satisfaire la nouvelle demande assurerait que des bâtiments soient construits à toute vitesse d’une façon tout aussi chaotique et bâclée. D’autres possibilité seraient le Pakistan ou près de 300 ouvriers sont morts dans l’incendie d’une usine de vêtement de Karachi en septembre dernier, ou encore les ateliers de misère de pays comme le Sri Lanka, le Cambodge ou Haïti.
Loin d’améliorer les normes de sécurité et les conditions de travail, les sociétés géantes sont engagées dans une concurrence féroce contre leurs rivales et qui s’intensifie dans le cadre de l’effondrement mondial du capitalisme. La course incessante aux profits mine la santé, la sécurité et le niveau de vie non seulement des ouvriers des pays en voie de développement mais aussi des nations économiquement avancées. Le seul moyen de mettre un terme à cette perte tragique de vies et de santés est une lutte unifiée des travailleurs d’Asie, d’Europe, d’Amérique et du monde pour en finir avec le système capitaliste obsolète et établir une économie socialiste planifiée rationnellement au niveau mondial et qui satisfasse les besoins urgents de l’humanité.
(Article original publié le 8 mai 2013)