L’opposition officielle du Canada, le Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par la bureaucratie syndicale, a mis de l’avant une motion le mois dernier pour saborder l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE) Canada-Chine récemment négocié.
Bien que leur motion était condamnée à être défaite de façon écrasante et rapidement oubliée, les sociaux-démocrates ont profité de l’occasion pour dénoncer à plusieurs reprises le régime «communiste» en Chine. En des termes nationalistes passionnés, ils ont condamné l’APIE pour causer de «sérieux dommages au Canada» et être «dangereux pour le futur de notre pays».
Dans une circulaire envoyée aux membres du parti suite à l’échec de la motion néo-démocrate, Guy Caron, le porte-parole adjoint en matière de commerce international a écrit, «cette semaine, [le premier ministre conservateur] Stephen Harper a franchi une étape de plus vers la vente des ressources du Canada à la Chine… Sous l’APIE, les compagnies chinoises contrôlées par l’État auront les mêmes droits que les compagnies [privées] canadiennes.»
«En d’autres termes… le gouvernement chinois aura accès aux ressources naturelles du Canada, et ce, pour les 31 prochaines années. Pourquoi les conservateurs ont-ils négocié cette entente à huis clos ? Ils savent que les Canadiens n’auraient jamais appuyé la vente de nos ressources.»
Basée sur un nationalisme canadien toxique, l’opposition du NPD à l’APIE, tout comme son opposition au rachat de 15 milliards de dollars du géant pétrolier basé à Calgary, Nexen, par une pétrolière appartenant à l’État chinois, visait à convaincre la grande entreprise canadienne que le NPD est un défenseur plus agressif de ses profits et de ses intérêts géostratégiques que les conservateurs.
Mais ce n’était pas tout. Le NPD a monté sa campagne contre l’investissement chinois croissant au Canada, particulièrement dans le secteur du pétrole et du gaz naturel, en vue de convaincre l’administration Obama et la grande entreprise américaine que les sociaux-démocrates canadiens sont un allié fidèle.
Le dirigeant fédéral néo-démocrate Thomas Mulcair a visité New York et Washington en mars pour rencontrer plusieurs représentants de l’élite économique et politique américaine. Lors d’une entrevue accordée à Bloomberg News Service, Mulcair a affirmé qu’«ensemble, l’APIE et le rachat de Nexen par la China National Offshore Oil Company (CNOOC), limite en fait la capacité des gouvernements au Canada de contrôler indépendamment notre propre politique des ressources naturelles, tout en cédant un énorme contrôle sur nos ressources à une puissance étrangère».
En adoptant une telle rhétorique anti-chinoise agressive, le NPD signale que s’il en venait à former le gouvernement canadien, on pourrait compter sur lui pour fournir un soutien loyal au «pivot» vers l’Asie de l’administration Obama, sous lequel Washington bâtit sa puissance militaire et renforce ses alliances stratégiques dans les régions de l’Asie-Pacifique et de l’océan Indien. L’impérialisme américain fait pression sur ses alliés à travers la région, y compris sur les «confrères» du NPD dans le gouvernement travailliste australien, pour qu’ils le joignent dans l’isolement de la Chine et dans la préparation de guerre contre elle.
Mulcair, qui poursuit les politiques de son prédécesseur, le défunt Jack Layton, n’a pas tari d’éloges sur le président Obama et le Parti démocrate. Il a déclaré à maintes reprises que le Canada et les États-Unis ont des «valeurs communes» qui doivent être défendues face à un «ensemble de défis de plus en plus complexes», tout en employant une rhétorique de la Guerre froide pour caractériser la Chine.
Il y a des décennies, le NPD prenait la posture d’un opposant à la politique étrangère prédatrice de Washington. Mais depuis le début des années 1990, le NPD a appuyé la participation du Canada dans une série de guerres menées par les États-Unis dans l’ancienne Yougoslavie, en Afghanistan et en Libye, justifiant ces crimes comme des «interventions humanitaires». En 2004, à l’insistance de Layton, le NPD a laissé tomber son opposition nominale à la participation canadienne dans l’OTAN.
Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de commerce international, Don Davies, a mené l’accusation anti-Chine du NPD au parlement le mois dernier, faisant usage d’une rhétorique chauvine et anti-communiste dans son discours introduisant la motion anti-APIE. Il a débuté en décrivant le système judiciaire en Chine comme «faible» et «peu fiable», et dans lequel «les compagnies canadiennes ne peuvent avoir confiance…»
S’adressant à un membre conservateur du comité du commerce international, il a continué : «Et pourtant mon honorable collègue dit alors que les Chinois traiteront les compagnies canadiennes exactement comme ils traitent les leurs. J’ai quelques nouvelles pour mon honorable collègue. La Chine est une économie communiste planifiée».
Un deuxième membre du parlement néo-démocrate, Marc-André Morin, a renchéri : «Tous les Canadiens d’origine chinoise que je connais aiment leur pays d’adoption et leur terre natale… Ces gens ont quitté un régime communiste totalitaire corrompu dont l’économie est contrôlée au énième degré… Ils voient maintenant que la Chine pourrait finir par exercer le même genre de contrôle sur l’économie canadienne».
La dirigeante du Parti vert, Elizabeth May, qui a voté en faveur de la motion du NPD, a repris ses affirmations nationalistes droitières, décrivant l’APIE comme «une attaque sur notre souveraineté».
L’anticommunisme explicite et le chauvinisme canadien n’ont rien de nouveau pour le NPD ou ses alliés de la bureaucratie syndicale. Toutefois, le fait que le NPD ait choisi de pour dénoncer la Chine en termes durs et incendiaires au moment où Washington a clairement identifié Pékin comme son plus important rival mondial est un message clair à l’Administration Obama : un gouvernement NPD serait un allié loyal des États-Unis dans toute confrontation et même un affrontement pur et simple avec la Chine.
Un tel affrontement, qui comporte intrinsèquement la menace d’une conflagration nucléaire, pourrait, il faut le souligner, émerger très rapidement. Au cours des dernières années, les États-Unis ont encouragé ses alliés d’Asie, y compris le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et le Vietnam à être plus agressifs dans leurs disputes territoriales avec la Chine.
Un allié clé du NPD, le Parti travailliste australien, joue déjà un rôle majeur en soutenant du «pivot» vers l’Asie des États-Unis.
La première ministre travailliste australienne, Julia Gillard, qui a saisi la direction du parti avec la bénédiction de Washington, a accueilli de tout cœur le tournant stratégique américain. En 2011, son gouvernement a accepté d’établir des bases pour les marines, les bateaux et les avions américains dans le nord et l’ouest de l’Australie, d’où ils peuvent menacer de bloquer à la Chine l’accès aux voies maritimes vitales entre les océans Indien et Pacifique et de lui bloquer l’approvisionnement en énergie et autres matières premières essentielles.
Le NPD a d’étroites relations avec le Parti travailliste australien. Le ministre travailliste Bill Shorten a fait un long discours lors de la convention du NPD à Montréal le mois dernier.
Le tournant majeur vers la droite de la part du NPD fait partir d’un phénomène international. Des partis comme les partis travaillistes australien et britannique, le Parti socialiste en France et le SPD allemand ont tous rejeté toute possibilité de «réformes sociales», brutalement imposé les programmes d’austérité et agressivement mené des interventions impérialistes autour du monde.
Le NPD, bien qu’il n’ait jamais gouverné à Ottawa, a offert avec enthousiasme ses services à la classe dirigeante canadienne et se prépare maintenant «à gouverner» en cherchant à gagner la confiance de Washington et Wall Street.
Les néo-démocrates ont ces deux publics lorsqu’ils critiquent la politique du gouvernement Harper envers la Chine.
Devant l’élite dirigeante canadienne, le NPD affirme que l’APIE n’offre pas assez de bénéfices au capital canadien. Guy Caron, utilisant le langage d’un dirigeant d’entreprise, fait appel à la grande entreprise : «En 2011, nous n’avions qu’environ 5 milliards d’investissements en Chine, alors que la Chine avait plus de 22 milliards d’investissements au Canada en 2012. Dès le départ, l’entente ne fournit pas une protection équitable. Cela démontre un manque de réciprocité et représente un problème flagrant avec l’entente devant nous aujourd’hui».
Au même moment, et dans le but d’attirer l’attention de l’élite dirigeante américaine, le NPD sonne l’alerte par rapport à la croissance rapide de l’investissement chinois au Canada qui se fait principalement dans le secteur crucial du pétrole et du gaz naturel. Cela comprend sa dénonciation et de l’acquisition de Nexen par la CNOOC et de la nette insuffisance des restrictions subséquentes que le gouvernement a imposées sur les prises de contrôle des secteurs pétroliers et du gaz naturel par les sociétés d’État.
Mulcair et d’autres porte-paroles néo-démocrates ont cité à maintes reprises, y compris devant des publics américains, une étude qui estimait que «d’ici 2020 la Chine serait le deuxième investisseur étranger en importance au Canada, largement dans le pétrole et le gaz».
Mulcair essaie clairement de gagner les faveurs américaines en indiquant qu’un gouvernement NPD limiterait, et même bloquerait carrément, l’investissement chinois au Canada.
Le sort des ressources canadiennes n’est pas une mince affaire pour Washington et Wall Street. Canada et le premier fournisseur de pétrole aux États-Unis et sa part des importations américaines de pétrole devrait croître nettement au cours des décennies à venir dû au développement des sables bitumineux albertains.
La compétition et l’investissement chinois pourraient faire monter le prix du pétrole canadien, changer la destination des exportations des ressources énergétiques canadiennes au détriment des États-Unis et affaiblir la forte présence de capital américain dans le secteur du pétrole et du gaz canadien.
Le gouvernement Harper, bien qu’il accueille l’investissement chinois et les profits massifs qu’il génère pour la grande entreprise canadienne, s’aligne aussi avec le tournant américain vers la guerre en Asie.
L’armée canadienne a commencé à jouer un plus grand rôle dans le Pacifique et un récent article du National Post suggère qu’il y a des discussions en cours dans les cercles du gouvernement à propos du redéploiement des ressources navales canadiennes de la côte Atlantique à celle du Pacifique.
L’été dernier, la Marine royale canadienne et l’Aviation royale canadienne ont joué un rôle sans précédent lors d’un exercice de guerre gigantesque mené par les États-Unis – le RIMPAC bisannuel ou les exercices de guerre du Pacifique au large d’Honolulu. Un général des Forces armées canadiennes a récemment été assigné au quartier général américain pour le Pacifique à Hawaï et en janvier, un navire de guerre canadien a fait un rare arrêt aux Philippines.
Avec le soutien des États-Unis, le Canada et le Mexique ont récemment pu entrer dans le Partenariat transpacifique, une entente de libre-échange proposée entre les alliés américains du Pacifique servant à faire contrepoids à l’ascension économique de la Chine.
Comme les conservateurs de Harper, le NPD reconnait que l’alliance économique et militaire avec le capital américain est d’une importance immense pour l’ensemble de l’élite dirigeante canadienne.
En s’opposant à l’investissement chinois, le NPD cherche à rallier le support de la classe dirigeante en se présentant comme un «gouvernement en attente» qui peut défendre les «intérêts nationaux» de la bourgeoisie canadienne et coopérer efficacement avec l’impérialisme américain.
(Article original anglais paru le 18 mai 2013)