Le nouveau président chinois, Xi Jinping, a visité l'Afrique cette semaine, d'abord la Tanzanie, puis l'Afrique du Sud, où il a participé au sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et finalement la République du Congo. Tout au long de cette tournée, Xi a activement courtisé les gouvernements de ce continent, dans le contexte d'une ruée de plus en plus marquée des grandes puissances pour contrôler les vastes ressources et les marchés potentiels de l'Afrique.
Xi a déclaré que la Chine traiterait l'Afrique comme un partenaire « égal », par opposition aux anciennes puissances coloniales occidentales. Le choix de la Tanzanie comme première escale, où il a prononcé un discours politique sur l'Afrique, n'était pas un hasard. La voie de chemin de fer Tanzanie-Zambie, construite dans les années 1970, avait été l'un des premiers grands projets d'infrastructures de la Chine en Afrique.
Xi a prononcé son discours sur les relations sino-africaines dans une salle de conférence construite avec des fonds chinois à Dar es Salam, la plus grande ville de Tanzanie. Xi a déclaré : « Avec la croissance de sa force économique et générale, la Chine continuera à offrir, comme toujours, l'aide nécessaire à l'Afrique, sans contraintes politiques à la clef. »
Le président de la Chine a offert une ligne de crédit de 20 milliards de dollars aux pays africains pour 2013-15, promettant que la Chine « aide[rait] les pays africains à transformer leurs richesses naturelles en force de développement et à accomplir un développement indépendant et durable. » Xi a affirmé que la Chine ne traiterait jamais les pays africains en inférieurs, « pas même lorsque la Chine sera devenue plus forte et jouira d'un statut international plus élevé. »
La tournée de Xi était conçue pour contrer les critiques de certaines sections des élites africaines locales, en général celles qui sont plus alignées sur les anciennes puissances coloniales, selon lesquelles la Chine pratiquerait le « néo-colonialisme. » Avant la visite de Xi, le gouverneur de la banque centrale Nigériane, Lamido Sanusi, a écrit dans le Financial Times de Londres : « la Chine nous prend des matières premières et nous vends des produits manufacturés. C'était également le principe du colonialisme. »
En réaction à de telles critiques, Lu Shaye, qui dirige le département africain du ministère des Affaires étrangères chinois, a répondu à la télévision de Hong-Kong : « Qu'ont fait les pays occidentaux pour l'Afrique au cours des 50 ans écoulés depuis l'indépendance ? Rien. » Lu a insisté sur le fait que c'est l'occident, et non la Chine, qui n'est intéressée que par les ressources de l'Afrique.
Effectivement, la Chine n'est pas une puissance impérialiste. Le total de ses investissements en Afrique, bien qu'il augmente rapidement, est toujours faible comparé aux puissances impérialistes occidentales, lesquelles ont exploité le continent pendant des siècles. La Chine n'a qu'une présence militaire négligeable en Afrique, contrairement aux États-Unis et à leurs alliés européens.
Néanmoins, les entreprises chinoises n'opèrent pas en Afrique en bienfaiteurs. Les prêts et l'aide de la Chine en Afrique consistent principalement en projets d'infrastructures et d'exploitation des ressources, comme les mines et les autoroutes. Ceux-ci sont offerts en échange de la fourniture de matières premières, ou pour faciliter leur transport. La Chine a besoin de s'assurer de ces matières premières, en grande partie pour produire des marchandises peu chères pour les marchés occidentaux.
En Tanzanie, Xi a supervisé la signature de plusieurs accords. Parmi ceux-ci, on compte des plans pour un projet portuaire massif à Bagamoyo, à 75 kilomètres au Nord de Dar es Salam, pour 10 milliards de dollars, et qui sera construit par la compagnie publique chinoise Merchants group. Ce port sera relié à une zone industrielle spéciale, qui a fait l'objet d'autres accords. Si l'objectif officiel de ces projets est de transformer la région en un nœud commercial, reliant l'Asie et l'Afrique de l'Est, les analystes ont fait remarquer le potentiel de ce port à accueillir des navires de la marine chinoise, qui est actuellement active dans l'océan Indien.
Ces dernières années, de vastes réserves de gaz ont été découvertes au large de la côte de la Tanzanie et du Mozambique. La Chine a déjà financé la construction d'un gazoduc de 532 kilomètres, pour 1,2 milliards de dollars, reliant des réserves de gaz récemment découvertes dans le Sud de la Tanzanie au port de Dar es Salam.
L'accès aux sources d'énergie a également motivé la dernière étape de Xi, en République du Congo, qui fournit maintenant 2 pour cent du pétrole dont la Chine a grand besoin, et dont le potentiel de développement est considérable.
En raison des importants achats et investissements de la Chine dans le domaine des ressources africaines, des sections des élites locales se sont tournées vers elle, ou cherchent à se servir de son influence comme contrepoids aux intérêts occidentaux. Durant la visite de Xi en Afrique du Sud, le président Jacob Zuma a chanté les louanges de « la montée de la Chine, » la qualifiant de modèle et « source d'inspiration » pour son pays. La semaine dernière, Zuma a prévenu les compagnies occidentales qu'elles devraient changer leur mode de penser « colonial » quand elles investissent en Afrique, et arrêter d'accuser la Chine de « colonialisme. »
La Chine est maintenant le principal partenaire commercial de l'Afrique du Sud, mais l'Europe reste une source majeure de commerce et d'investissements. Avec cela en tête, le président Sud-africain a déclaré au Financial Times : « La Chine fait des affaires d'une manière particulière et nous pensons que nous pouvons en voir les avantages, mais nous sommes très, très prudents. » Citant l'expérience du colonialisme en Afrique, Zuma a déclaré qu'une telle relation doit « bénéficier aux deux. Et c'est ce sur quoi la Chine et nous sommes en accord. »
Le cinquième sommet des BRICS, qui a eu lieu en Afrique du Sud, était intitulé « Les BRICS et l'Afrique : un partenariat pour le développement, l'intégration et l'industrialisation. » Le thème résumait le désir de la Chine, de la Russie, du Brésil et de l'Inde de développer leur présence économique sur le continent. Si la Chine a surpassé les États-Unis et les pays européens pour devenir le principal partenaire commercial de l'Afrique (le commerce dans les deux sens représentant près de 200 milliards de dollars au total pour 2012), le commerce du Brésil avec l'Afrique a également augmenté de 600 pour cent au cours des dix dernières années. Les entreprises du bâtiment et les compagnies minières du Brésil sont maintenant actives sur tout le continent.
Les ambitions des BRICS, entrent cependant en conflit avec les puissances occidentales établies qui dominent depuis longtemps le continent. La Chine a déjà reçu une leçon douloureuse avec l'intervention américano-européenne pour faire tomber le gouvernement libyen en 2011. La Chine y a perdu des milliards en investissements et a dû évacuer des milliers de ses ressortissants. Depuis le début de l'année, la France, soutenue par les États-Unis, a intensifié son intervention militaire au Mali, autre lieu stratégique.
Sous George W. Bush, et maintenant Obama, Washington se tourne plus franchement vers les moyens militaires pour contrer l'influence grandissante de la Chine en Afrique. Un nouveau centre de commandement américain, l'AFRICOM, a été établi en 2007 en réaction directe au premier sommet Chine-Afrique de 2006, auquel la Chine avait invité les chefs d'Etat de plus de 50 pays.
J. Peter Pham, conseiller pour les ministères américains des Affaires étrangères et de la Défense, déclarait en 2007 que les objectifs d'AFRICOM consistent à « protéger l'accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques que l'Afrique a en abondance […] et à s'assurer qu'aucune tierce partie intéressée, comme la Chine, l'Inde, le Japon ou la Russie, n'obtienne de monopole ou de traitement préférentiel. »
Le sommet des BRICS souligne le fait que les rivalités à propos de l'Afrique sont liées à des tensions plus larges à l'échelle mondiale qui s'intensifient. Avant le sommet de Durban, la Russie, principal architecte du rassemblement des BRICS, a appelé à la création d'une banque du co-développement basée à Moscou, où chaque membre contribuerait 10 milliards de dollars, pour rivaliser avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) qui sont dominés par les États-Unis et les Européens.
La Russie a également proposé un rassemblement de capitaux s'élevant à 240 milliards de dollars, pour faire face à toute situation d'urgence financière à laquelle serait confronté un membre des BRICS. Le Brésil a dit que cette nouvelle banque permettrait « une plus grande autonomie par rapport au FMI » et donnerait un « outil financier alternatif » aux pays en voie de développement.
Cependant, il n'y a eu d'accord sur rien de concret au sommet des BRICS. Le ministre des Finances russe Anton Siluanov a affirmé qu'il y avait « un mouvement positif, » mais « aucune décision sur la création de la banque. » Des désaccords seraient survenus sur la taille des contributions, étant donné que l'économie chinoise est 20 fois plus grande que celle de l'Afrique du Sud, et quatre fois plus que celle de l'Inde.
Néanmoins, le Brésil et la Chine, les deux plus importantes économies des BRICS, ont signé un accord d'échange de monnaies représentant 30 milliards de dollars, qui couvre près de la moitié de leurs échanges commerciaux annuels de 75 milliards de dollars. Cet accord indique l'émergence de blocs monétaires potentiellement rivaux, dans un contexte mondial marqué par des bouleversements financiers et le statut de plus en plus remis en question du dollar américain comme monnaie des échanges commerciaux sur toute la planète.
(Article original paru le 28 mars 2013)