Lors d'une audition devant le Comité judiciaire du Sénat la semaine dernière, le ministre de la Justice des États-Unis Eric Holder a admis quelque chose d'extraordinaire.
Répondant à des questions du sénateur républicain Chuck Grassley, qui faisait remarquer qu'il n'y avait eu aucune poursuite judiciaire contre les institutions financières ou leurs dirigeants de la part du gouvernement Obama, Holder a dit : « Je suis inquiet que la taille de certaines de ces institutions devienne si grande qu'il devienne difficile pour nous de les poursuivre, quand nous recevons des indications sur le fait que si nous les poursuivons – si nous procédons à une mise en examen – cela aura un effet négatif sur l'économie nationale, peut-être même sur l'économie mondiale… »
En d'autres termes, les grandes banques sont si importantes économiquement que, d'après Holder, il est impossible de les poursuivre pour leurs activités criminelles. Elles sont au-dessus des lois.
Cet échange a eu lieu au cours d'une discussion portant sur l'accord signé par le ministère de la Justice le mois dernier avec la banque britannique HSBC, la troisième la plus importante au monde. HSBC avait été accusée de blanchir des milliards de dollars pour les cartels de la drogue mexicains et colombiens. En échange de l'abandon des accusations, HSBC a accepté de payer 1,9 milliard de dollars, soit près de deux mois de profits. Des responsables américains haut placés ont explicitement opposé leur veto à toute mise en accusation, y compris sur des fondements moins graves que le blanchiment.
HSBC n'est que la dernière banque en date à avoir bénéficié d'un pardon. Au début de l'année, dix compagnies financières ont accepté de payer 3,3 milliards de dollars immédiatement pour échapper à des accusations de fraudes sur les prêts hypothécaires qu'elles accordaient : durant l'effondrement du marché immobilier, elles avaient demandé à des employés de signer de manière frauduleuse des milliers de saisies d'hypothèques par mois.
L'an dernier, le gouvernement a mis fin à une enquête sur Goldman Sachs sans qu'aucune accusation ne soit enregistrée sur le fait qu'elle vantait les mérites des obligations adossées à des prêts hypothécaires au plus fort de la bulle spéculative, alors qu'elle misait elle-même contre ces obligations.
En 2010, le gouvernement Obama est parvenu à un accord avec la banque Wachovia sur des accusations identiques à celles qui sont soulevées contre HSBC : blanchir des milliards d'argent de la drogue, cette fois pour le cartel de Sinaloa. L'amende a été de 160 millions de dollars, soit moins de 2 pour cent de ses profits de l'année précédente.
On pourrait citer de nombreux arrangements similaires. Dans chaque cas, un chèque est signé – s'il y a bien une sanction – et les affaires reprennent comme d'habitude. Quelle que soit la somme que perdent ces institutions financières elle est plus que compensée par leur part des 85 milliards de dollars injectés dans les marchés chaque mois par la réserve fédérale américaine.
En justifiant le refus de l'administration de poursuivre en justice, Holder cite le pouvoir immense des banques sur la vie économique. Le fait que ces institutions exercent un contrôle dictatorial sur l'économie et s'engagent dans un comportement criminel auquel personne ne s'oppose n'est pourtant pas une raison pour refuser de les poursuivre. C'est plutôt une raison pour les exproprier, les retirer des mains des criminels qui les dirigent, et les placer sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière.
Mais quand il s'en prend à ces institutions, le gouvernement agit en tant que représentant direct de l'aristocratie financière. D'abord Bush puis Obama ont justifié le renflouement des banques après le crash de 2008 en citant le besoin de « sauver l'économie. » Depuis lors, des millions d'emplois ont disparu. Pour payer de tels renflouements aux banques, les gouvernements du monde entier appliquent des mesures d'austérité brutales, supprimant l'éducation publique, la santé, les retraites et d'autres programmes sociaux.
Des relents de corruption planent sur tout ce processus. On aurait bien des difficultés à trouver dans le gouvernement d'Obama un responsable à un poste d'importance pour les banques qui n'ait eu précédemment des liens avec Wall Street. Parmi ceux-ci on compte:
Jacob Lew qui a été confirmé ce mois-ci par le Sénat comme nouveau ministre de l'Economie et des Finances d'Obama. Lew, qui est l'ex-chef de cabinet d'Obama, est également l'ex-directeur général de l'Unité d'investissements alternatifs de Citigroup, qui misait contre le marché de l'immobilier pendant qu'il s'effondrait.
Mary Jo White a été sélectionnée par Obama pour diriger la Securities and Exchange Commission [la SEC - commission des opérations de bourse, ndt]. White, qui sera probablement confirmée sans difficultés après l'audition prévue aujourd'hui, est une ex-avocate pour le cabinet Debevoise & Pimpleton, où elle défendait les banques de Wall Street et leurs dirigeants, souvent contre les enquêtes de la SEC elle-même.
Et il y a le cas extraordinaire de David S. Cohen et Stuart Levey. En tant que membres du cabinet juridique Miller Cassidy dans les années 1990, ils ont défendu des banques et d'autres entreprises contre des accusations de délits de col blanc, dont le blanchiment d'argent. Ils ont oscillé entre des postes au ministère de l'Economie et la pratique privée.
En 2004, Levey avait rejoint le gouvernement Bush comme sous-secrétaire au terrorisme et aux renseignements financiers, responsable de la supervision du trafic de drogues et du blanchiment d'argent. Il a quitté ses fonctions en mars 2011 pour devenir directeur général du service juridique d'HSBC. Son numéro 2 et successeur au ministère des Finances n'était autre que David S. Cohen. Ces deux ex-collègues ont probablement été très impliqués dans la rédaction du récent accord visant à régler les accusations de blanchiment contre HSBC.
Aucune banque, ni aucun dirigeant, n'est poursuivi parce que les individus qui mèneraient ces poursuites et ceux qui seraient poursuivis sont, plus ou moins, les mêmes personnes.
Holder a fait sa déclaration sur les banques lors de la même audition où il a expliqué la position du gouvernement Obama selon laquelle il a le droit d'assassiner des citoyens aux États-Unis sans contrôle judiciaire.
La réunion de ces deux déclarations n'est pas un simple hasard. Il y a une logique de classes à l'œuvre. Avec l'aide active de l'Etat, l'aristocratie financière est engagée dans une opération de pillage et la criminalité est devenue une partie intégrante du mode d'accumulation des richesses.
Anticipant une opposition sociale, cette même aristocratie est engagée dans une conspiration contre les droits démocratiques. Alors que les banques et les dirigeants sont intouchables, toute personne qui s'oppose à cette politique sera confrontée aux méthodes de répression de l'Etat-policier.
Ce système politique et économique est pourri jusqu'à la moelle. La seule réaction rationnelle appropriée à un tel état des choses est de renverser ce système, le capitalisme, et d'instituer une nouvelle forme d'organisation sociale s'appuyant sur le principe des besoins sociaux – c'est-à-dire, le socialisme.
L'implication active de l'Etat et de toutes ses institutions et partis dans cette opération criminelle montre clairement que les intérêts de la classe ouvrière ne peuvent être mis en avant sans un mouvement social et politique de masse, qui vise à remplacer le gouvernement des banques par un gouvernement de, par et pour la classe ouvrière.
(Article original paru le 12 mars 2013)