En 2010, deux ans après le krach économique, des chercheurs de l'université de Roehampton et l'association caritative pour enfants, Elizabeth Finn Care, ont publié un rapport démontrant les effets handicapants de la récession en terme de bien-être mental. Le rapport mentionne que les cas de dépression ont été multipliés par quatre ou cinq et que les 18-30 ans étaient plus susceptibles d'en souffrir qu'aucune autre tranche d'âge. De récents rapports montrent que la situation s'est détériorée.
Une étude faite par Youth Index et publiée par l'association caritative The Prince's Trust a révélé qu'un jeune sur dix se sent incapable de faire face à la vie quotidienne. Presque la moitié des chômeurs interrogés ont répondu que leur situation de chômage avait provoqué des crises d'angoisse, les avait conduits à l'automutilation et à un sentiment de dégoût de soi-même. Parmi les jeunes ayant un emploi le chiffre est de 27%. D'après la directrice du Prince's Trust, Martina Milburn, «Un nombre effrayant de jeunes chômeurs ne parvient pas à faire face, et c'est particulièrement difficile pour ceux qui n'ont pas de réseau de soutien. »
« Au Prince's Trust, nous savons que ce sont souvent ceux qui viennent des milieux les plus vulnérables qui se retrouvent les plus aliénés du marché du travail. La vie peut devenir une spirale vers le bas démoralisante; on passe d'une enfance difficile à une vie d'adulte au chômage, » a ajouté Milburn.
D'après Richard Parish, directeur de la Société Royale de Santé Publique, « Youth Index montre clairement un écart inquiétant entre les jeunes qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas. Ces jeunes au chômage ont besoin de soutien pour recouvrer leur estime de soi, et pour finalement revenir dans le monde du travail. »
Une autre enquête, faite ce moi-ci par YouGov auprès des enseignants montre que les jeunes enfants ne peuvent qu'être affectés par la hausse du niveau de stress à la maison. Près de 78% des enseignants pensent que les coupes gouvernementales ont eu un effet négatif sur la santé mentale de leurs élèves et leur famille.
De nombreuses études ont montré que plus les jeunes gens restent au chômage et plus nuisible en est l'impact sur leur santé mentale. Sachant que le nombre de NEETs (Not in Education, Employment or Training - Ni étudiant, Ni actif, Ni apprenti) approche maintenant le seuil d'un million de personnes, ces chiffres sont particulièrement accablants. Ajouté à cela, le chômage d'une durée supérieure à un an parmi les jeunes a grimpé de 250 pour cent entre 2011 et 2012. Dans certaines régions, comme le nord-est, le chômage des jeunes a connu une augmentation de 400 pour cent depuis le début de la récession.
Même les régions relativement aisées n'y échappent pas. Julie Duffy, directrice du What? Center (association caritative spécialisée dans le service de conseils, d'information et d'assistance psychothérapeutique pour les jeunes) de Stourbridge, a révélé avoir remarqué une forte hausse de cas : jusqu'à un quart de sa charge de travail hebdomadaire est maintenant dédiée au traitement de problèmes de santé mentale. Duffy explique : « Les médecins traitants nous envoient des gens de tout le comté, y compris même des gens ayant fait des tentatives de suicide. »
« En ce qui concerne la santé mentale, tant de gens souffrent de ne pas pouvoir trouver du travail ou du fait de problèmes familiaux, c'est une épidémie... Les choses se présentent plutôt mal pour ceux qui n'ont pas les compétences qu'il faut – c'est un énorme défi pour les jeunes et il faut faire plus pour les aider. »
Le fait est qu'on en fait moins, beaucoup moins. Le soutien gouvernemental pour les jeunes a diminué de 26% et de nombreuses collectivités locales ciblent les services aux jeunes dans leur projet de coupes budgétaires.
Tous ceux qui font leurs études ont toujours à l'esprit que £27,000 de dettes [les droits d'inscriptions sont de £ 9000 par an]les attendent s'ils décident d'aller à l'université. S'ils ne peuvent pas y aller, ils devront entrer sur le marché du travail où même les diplômés peinent à trouver un emploi stable, un jeune sur cinq de 16 à 24 ans étant au chômage. Ajoutées à la promesse de remboursements massifs de leur dette, les interminables réformes de l'éducation de Michael Gove, ainsi que les revendications permanentes des médias selon lesquelles les diplômes actuels ne sont pas assez rigoureux, les étudiants sont de plus en plus inquiets de la validité de la matière qu'ils ont choisi d'étudier et de leurs notes.
L'Association des Médecins de Famille (qui représente les généralistes de plus de 1000 cabinets à travers la Grande-Bretagne) a fait état d'une hausse du nombre d'adolescents cherchant de l'aide pour lutter contre le stress lié aux examens. Selon Young Minds (une association pour la santé mentale des enfants), le nombre d'appels concernant l'anxiété face aux évaluations est passé de 27 pour cent en 2009 à 40 pour cent en 2010. Ceux qui en souffrent auront découvert que la nature de l'éducation n'est pas d'être un moyen de développement personnel, mais plutôt un système compétitif de classement dont l'enjeu est plus élevé qu'il ne l'a jamais été ces 50 dernières années.
Pour le nombre toujours grandissant de jeunes qui se voient refuser une éducation post-secondaire, la situation est peut-être encore plus sombre.
L'incapacité du capitalisme à fournir à tous le droit fondamental à un travail se manifeste à présent comme une attaque contre la santé mentale d'une génération. Ces chiffres sont un réquisitoire contre toutes les déclarations des politiques ou des médias populaires qui cherchent à montrer que les aides sociales sont une excuse encourageant les jeunes à « tirer au flanc. ». Le chômage que le système capitaliste impose aux jeunes ne mène pas à une vie facile, mais à une existence profondément insatisfaisante.
Malgré cela, les dépenses du gouvernement en matière de santé mentale ont chuté pour la première fois en 10 ans. Avec 50,000 suppressions d'emplois prévues dans le Service national de santé (National Health Service) pendant les 10 prochaines années, Channel 4 News a révélé que les services de santé mentale seraient les plus durement touchés et perdraient une quantité disproportionnée de personnel dont une grande partie dans le secteur clinique.
Parmi les nombreux retours que le gouvernement a préféré ignorer lorsqu'il a mené son frauduleux exercice « d'écoute » quand il a été confronté à une opposition généralisée à la privatisation du système de santé, il y avait un sondage conduit par Rethink, une association pour la santé mentale. Il ressort de ce sondage que seuls 31 pour cent des médecins généralistes se sentiraient aptes à commander des services de santé mentale pour leurs patients, ce qu'ils seraient obligés de faire conformément au projet du gouvernement. Quand on voit que les enfants des familles les plus pauvres sont trois fois plus susceptibles de souffrir de santé mentale fragile que les enfants des familles plus aisées, le manque d'empathie du gouvernement est manifeste. Leurs préoccupations ne se portent pas sur ceux qui souffrent.
Dans un article du quotidien britannique The Guardian, le proviseur du lycée Queen Mary de Basingstoke dit, « Les jeunes sont de plus en plus inquiets de savoir s'ils auront ou non l'argent nécessaire pour avoir accès à l'enseignement supérieur ; s'ils pourront ou non trouver du travail à la fin de leurs études secondaires ou universitaires; et s'ils auront ou non les moyens d'avoir un logement à eux ». Il ajoute, « En quelques trente années d'enseignement, je n'ai jamais vu de jeunes de 16 à 18 ans aussi politisés ».
Les jeunes sont en effet en train de prendre conscience que leurs problèmes ont des racines bien plus étendues que leur propres circonstances immédiates, et cela ouvre leur esprit à une critique de la société capitaliste.
(Article original paru le 2 février)