La Grande-Bretagne va envoyer pas moins de 350 militaires au Mali et en Afrique occidentale dans un acte de défi direct aux efforts français pour dominer la région.
Ceci se produit tout juste quelques jours après que le premier ministre David Cameron a averti que l'accroissement de l’extrémisme islamique dans la région constituait une « lutte générationnelle.» Il a fait un parallèle avec le conflit en Afghanistan et laissé entendre que cela impliquera des décennies de guerre.
Peu de temps après l’annonce du déploiement de troupes, Cameron s’est rendu en Algérie, en Libye et au Liberia.
Dans le cadre de l’intensification de la lutte engagée par toutes les principales puissances pour dominer la région, la Grande-Bretagne entreprend une action concertée pour revendiquer une part des vastes ressources minérales et énergétiques de l’Afrique du Nord et du Sahel, région qui s’étend sur tout le désert du Sahara.
La France et le Royaume-Uni cherchent tous deux à exploiter le vide laissé par la préoccupation de Washington concernant ses aventures néocoloniales, à la limite de ses capacités, en Irak, en Afghanistan, en Libye et éventuellement en Syrie et en Iran. Mais, ce faisant, ils risquent de raviver d’anciennes rivalités et tensions entre les anciennes puissances coloniales ainsi que de nouvelles avec les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Ces tensions sont devenues tout particulièrement aiguës maintenant que le Sahel appauvri mais riche en ressources joue un rôle clé dans l’approvisionnement des besoins énergétiques de l’Europe.
Le secrétaire à la Défense, Philip Hammond, a dit mardi 29 janvier au parlement que 200 soldats, devant être basés au Nigeria ou a Ghana, aideraient à l’entraînement des forces locales en vue du rôle qu’elles joueront au Mali après que la France aura chassé les rebelles islamistes de leurs bastions dans le Nord du pays. Les troupes britanniques ne seraient pas déployées avant qu’il y ait une protection sur place pour eux, laissant entendre que des forces additionnelles étaient nécessaires.
Il a ajouté que 40 soldats prendraient part à une mission d’entraînement de l’Union européenne au Mali, et 70 de plus piloteraient l’avion espion Sentinel basé au Sénégal pour des missions de surveillance et de renseignement tandis que 20 autres opéreraient l’avion de transport militaire C-17 pour acheminer les forces françaises et africaines. La Grande-Bretagne devrait également envoyer un ferry pour aider la France à acheminer les troupes et l’équipement vers l’Afrique.
Il y a d’ores et déjà environ 90 militaires qui effectuent des vols de transport et de surveillance à partir de Dakar, la capitale sénégalaise.
En réaction aux critiques formulées par les députés et selon lesquelles la Grande-Bretagne est en train d’être entraînée dans un conflit plus vaste, Hammond a insisté en disant qu’il n’y avait pas eu et qu’il n’y aurait pas de « dérive de la mission ». Mais, des responsables du ministère de la Défense ont reconnu que le nombre des soldats pourrait s’accroître.
Le cabinet du premier ministre a dit que le soutien de la Grande-Bretagne pour l’opération de la France découlait de l’accord de Lancaster House de 2010 par lequel les deux pays acceptaient de s’aider mutuellement militairement. La Grande-Bretagne aurait apparemment proposé d'établir des quartiers généraux conjoints de logistique pour organiser le transport des troupes et de l’équipement français au Mali. Mais, en déclinant cette offre Paris n’a pas été dupe, reconnaissant là une tentative de Londres d'avoir un pied dans l’ancienne colonie française.
Il y a à peine une semaine, Cameron avait dit clairement qu’il n’y aurait « pas de bottes anglaises sur le terrain » au Mali, que les troupes britanniques soutiendraient la France en matière de transport, mais sans avoir un rôle de combat.
Cameron a aussi indiqué que les réductions du budget de la défense de ces dernières années seront annulées et qu'il sera octroyé aux forces armées à partir de 2015 une augmentation supérieure au taux d’inflation alors que les coupes dans la santé, l’éducation, la sécurité sociale et d’autres services vitaux se poursuivent. La Grande-Bretagne va dépenser 160 milliards de livres sterling (184 milliards d’euros) au cours de ces dix prochaines années pour l’achat de véhicules neufs et d'équipements pour les soldats, 35,8 milliards de livres sterling pour des sous-marins, y compris le remplacement du système nucléaire Trident, 18,5 milliards de livres sterling pour des avions de combat et des drones et 17,4 milliards de livres sterling pour des navires et de nouveaux porte-avions. Le National Audit Office (cour des comptes) du Royaume-Uni a déjà mis en garde que ces coûts, comme le reste des achats d’armement britanniques, pourraient être bien plus élevés.
Cameron a enchaîné en se rendant en l’Algérie, autre ancienne colonie française, pour discuter de la sécurité dans la région, reportant pour ce faire une visite prévue au Ghana. L’Algérie, qui se considère comme le dirigeant naturel dans la région, perçoit la France, le Maroc (en tant qu’allié de la France), la Libye et l’Union européenne (comme étant dominée par la France) comme étant des menaces pour ses positions. Cette première visite d’un premier ministre britannique en Algérie depuis son indépendance en 1962 démontre à quel point à quel point la situation est explosive aux yeux de la France.
Cameron était accompagné par Sir Kim Darroch, conseiller à la sécurité nationale, et Lord Risby, nommé envoyé commercial, poste qui a été créé en novembre dernier. Sa visite a eu lieu deux semaines à peine après que l’armée algérienne a pris d'assaut l’installation de traitement de gaz à In Amenas, qui est gérée conjointement par BP, la compagnie norvégienne Statoil et la société algérienne Sonatrach, dans une tentative avortée de libérer des travailleurs, principalement étrangers, enlevés par des Islamistes armés qui exigeaient la libération d’un prisonnier et la fin des opérations de la France dans le Mali voisin. Trente-huit civils, dont six Britanniques et 29 Islamistes ont été tués lors de l’opération de sauvetage par l’armée.
Après la réunion avec son homologue algérien, Abdelmalek Sellal, Cameron a annoncé que les deux pays avaient convenu de sceller un partenariat de sécurité, comprenant une coopération en matière de sécurité des frontières et aérienne, ainsi qu’une action commune sur le plan commercial, de l’investissement et de l’éducation. Dans un contexte plus général, ils se sont accordés pour examiner les menaces à la sécurité en Afrique du Nord et au Sahel, et à travers tout le désert du Sahara.
Il a dit que la Grande-Bretagne avait invité l’Algérie à participer à un exercice conjoint de planification d’urgence en réaction à des situations de crise. C'est une référence à l’omission de l’Algérie d’informer la Grande-Bretagne de ses projets de libérer les otages en janvier ou d’accepter l’offre d’aide de la Grande-Bretagne. Londres y avait envoyé une force de combat pour l’aider.
Tout comme dans le cas de l’accord maintenant tristement célèbre de Tony Blair avec Mouammar Kadhafi de la Libye, Cameron n’a aucun scrupule à nouer des rapports avec l’un des régimes les plus brutaux de la région. Durant les années 1990, l’Algérie avait annulé une élection qui aurait amené un gouvernement islamiste au pouvoir et qui avait réprimé une insurrection islamiste au prix de plus de 200.000 vies.
Les sordides intérêts patronaux et stratégiques de la Grande-Bretagne en Algérie et au Sahara sont en jeu. L’Algérie détient la 10ème plus grosse réserve de gaz naturel du monde et est aussi le 10ème plus gros producteur de gaz naturel et le pays jouera un rôle clé dans les projets de l’Union européenne d’acheminer par gazoduc le gaz nigérien vers l’Europe. Ce n’est pas par hasard qu’il a le premier budget militaire d'Afrique avec 8,6 milliards de dollars en 2011.
L'usine gazière d’In Amenas dans le Sud de l’Algérie, dont BBP détient une part, est l'une des nombreuses installations de ce type qui fournissent actuellement 5 pour cent des besoins en gaz de la Grande-Bretagne, employant quelque 450 Britanniques. Ce volume pourrait augmenter étant donné que les approvisionnements de la Grande-Bretagne en provenance de la Mer du Nord continuent de diminuer. Le commerce bilatéral entre les deux pays a presque doublé pour atteindre 2 milliards de dollars en 2011. La Grande-Bretagne a signé en 2009 avec l’Algérie un accord dans le secteur de la défense, a mis en place en 2010 un Conseil d’affaires algéro-britannique et dépêché en 2011 le secrétaire à la Défense, William Hague à Alger.
Cameron a aussi effectué une visite surprise à Tripoli, la capitale libyenne, pour discuter de « sécurité. » La Grande-Bretagne se retrouve de plus en plus exclue de la Libye et les Britanniques se voient avertis d'éviter Tripoli et Benghazi d’où était parti le soulèvement contre le régime Kadhafi. Des Islamistes armés menacent les intérêts commerciaux britanniques à partir de bases situées en Libye. La Grande-Bretagne utilise la « sécurité » comme prétexte à une intervention directe de ses forces armées alors qu’une nouvelle « ruée vers l’Afrique » est engagée.
(Article original paru le 2 février 2013)