Perspective

La nomination de Brennan : un gouvernement de tortionnaires et d'assassins

« Il a travaillé pour faire tenir nos efforts dans un cadre juridique fort, » a déclaré le président Barack Obama lundi au cours d'une apparition télévisée dans la Chambre Est de la Maison blanche. « Il comprend que nous sommes une nation de droit. En des temps de débats et de décision, il pose les questions difficiles et il insiste sur le respect de normes élevées et rigoureuses. »

Le président décrivait la personne qu'il a choisie pour le poste de directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), John Brennan, qui est actuellement son conseiller à la sécurité intérieure et à l'anti-terrorisme. Il a également loué l'« intégrité » de Brennan et son « engagement pour les valeurs qui nous définissent en tant qu'Américains. » 

On aurait du mal à deviner d'après cette rhétorique de haut-vol qu'Obama décrivait là le rôle de Brennan en tant qu'assassin en chef du pays. Il a démontré son « intégrité » et son engagement envers des valeurs, le droit, et des normes en présidant les réunions dites « terror Tuesday [mardi du terrorisme] » à la Maison blanche, établissant les « listes de gens à abattre » soumises au président pour approbation, et supervisant les meurtres à distance par drones Predator.

Le terme « cadre juridique fort » fait référence à sa mise au point de ce que l'on appelle la « disposition matrix [tableau des suppressions] », un système qui permet de « codifier et normaliser » les exécutions extrajudiciaires qui sont menées par des attaques de drones pratiquement tous les jours. Ce cadre, développé par une cabale de militaires et de chefs du renseignement, a autant à voir avec une « nation de droit » que les décrets publiés par Hitler sous le troisième Reich.

C'est la deuxième tentative d'Obama de nommer Brennan, agent ayant 25 ans de services à la CIA. Après avoir pris ses fonctions en 2009, le président démocrate nouvellement élu avait dû renoncer à nommer Brennan à la tête de la CIA devant la tempête de protestations des libéraux et des gens de "gauche" à l'intérieur et autour du Parti démocrate.

Ayant servi durant le premier mandat de Bush comme chef d'équipe pour George Tenet, à l'époque directeur de la CIA et du Centre national de l'anti-terrorisme, Brennan a été profondément impliqué à la fois dans l'exécution et la défense des crimes menés durant cette période, allant de la torture aux externalisations d'interrogatoires et à l'espionnage illégal des citoyens.

La contradiction entre la nomination de Brennan, qui incarnait la continuité avec la « Guerre contre le terrorisme » de Bush, et le message de campagne d'Obama en 2008 sur « l'espoir et le changement » ainsi que sa promesse d'une rupture avec les politiques odieuses de son prédécesseur, était à l'époque tout simplement trop forte.

Maintenant, quatre ans plus tard, la nomination de Brennan n'a soulevé que peu de controverses parmi ce qui passe pour les médias libéraux et "de gauche" et l'on s'attend à ce qu'il passe sans difficulté à travers la procédure de confirmation par le Sénat.

Une réaction emblématique se trouve dans le New York Times, qui a fait son éditorial mardi sur les nominations par Obama de Brennan à la tête de la CIA et de l'ex-sénateur républicain Chuck Hagel au ministère de la Défense. La première moitié de l'éditorial du Times est consacrée aux inquiétudes concernant les « conceptions sur les droits des homosexuels, » de Hagel, d'après une remarque qu'il avait fait en 1998 sur la nomination au poste d'ambassadeur des États-Unis de James Hormel, héritier d'une fortune dans l'industrie de la viande. L'implication de Brennan dans la torture, les assassinats par drones et autres crimes sont relégués à l'avant-dernier paragraphe. 

Il serait difficile de trouver une meilleure illustration des priorités politiques de ce qui passe pour le libéralisme en Amérique aujourd'hui : une fixation sur les politiques identitaires qui touchent particulièrement les couches les plus aisées de la population et une indifférence envers les droits démocratiques à l'intérieur du pays, tout comme envers les crimes de l'impérialisme américain à l'étranger. 

Tout aussi révélatrice est la chronique d'Andrew Sullivan, ex-rédacteur en chef du New Republic, qui en 2009 dénonçait la décision de nommer Brennan directeur de la CIA. Lundi, il a écrit dans le Daily Beast, « Je ne suis pas aussi enclin à m'opposer à lui cette fois-ci, en partie parce que la torture est finie, et en partie parce qu'il est de plus en plus un des braves types dans le programme de drones. »

« Les gens changent, » a ajouté Sullivan. En effet, ils changent. 

Les invitations aux dîners de la Maison blanche contribuent sans aucun doute à accélérer ces changements. Toute une strate de libéraux bien intégrés à la haute société s'est transformée en une base sociale qui soutient sans honte l'impérialisme et ses crimes, un processus qui a des racines sociales profondes et qui s'est accéléré sous le gouvernement d'Obama.

Le résurrection de la nomination de Brennan a été facilité par la protection accordée par le gouvernement Obama à tous les responsables de tortures et autres crimes de guerre ayant servi sous le gouvernement Bush. Derrière le slogan pervers de « regardons devant nous, pas derrière, » Obama et le ministère de la Justice ont fait échouer tous les procès visant soit les tortionnaires de la CIA eux-mêmes, soit ceux qui, dans la hiérarchie qui remontait jusqu'à George W. Bush, supervisaient leurs activités. Ils sont intervenus de même, affaire après affaire, pour bloquer les actions en justice qui demandaient une indemnisation ou même de simples informations sur ces crimes. 

Les crimes de la Maison blanche sous Obama ont éclipsé ceux qui ont été menés sous Bush, et Brennan a été au cœur de cela. La guerre des drones dont il a eu la charge a terrorisé des populations entières, notamment au Pakistan, mais aussi de plus en plus au Yémen, en Somalie et sans doute ailleurs. Si Brennan s'est aventuré à affirmer en juin 2011 qu'au cours de l'année précédente pas un seul civil n'a été tué au cours d'une attaque de drone, le gouvernement Pakistanais affirme avec insistance que ces victimes se comptent par milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.

De plus, Brennan a été le principal partisan, au sein du gouvernement, de l'attribution à soi-même par Obama du pouvoir d'ordonner exécution extrajudiciaire de citoyens américains, sans avoir à les accuser formellement d'aucun crime, encore moins à prouver des accusations devant un tribunal. Cette politique a été mise en place en septembre 2011 avec l'assassinat par drone du prêtre natif du Nouveau Mexique Anwar al-Awlaki et d'un autre citoyen américain au Yémen, suivi deux semaines plus tard par le meurtre de la même manière du fils d'Awlaki, âgé de 16 ans.

À la suite de la réélection d'Obama en 2012, divers libéraux et membres de la pseudo-gauche spéculaient sur la possibilité d'une politique plus « progressiste » pour son second mandat. « Ayant évacué la question d'une réélection, nous espérons qu'Obama sera plus audacieux pour son second mandat, » écrivait le magazine Nation le mois dernier. « Il devrait diversifier le cercle restreint de ses conseillers économiques et des membres de son cabinet pour inclure plus de voix progressistes. »

La nomination de Brennan révèle au grand jour le rôle politique criminel joué par ceux qui promeuvent ce genre d'illusions. Même avant son investiture, il ne pouvait pas être plus clair qu'Obama, pour son second mandat, allait suivre un ordre du jour politique dicté par l'oligarchie financière américaine au pouvoir ainsi que son appareil militaire et les services de renseignement. Son axe principal sera une austérité brutale et des attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière à l'intérieur du pays et une aggravation de l'interventionnisme militariste et des crimes de guerre à l'étranger. 

La poursuite de cette politique requiert de prendre de plus en plus les pouvoirs d'un Etat policier, tandis que la classe dirigeante se prépare à une confrontation avec les soulèvements sociaux. La défense des droits démocratiques fondamentaux, des emplois et des conditions sociales exige la mobilisation indépendante de la classe ouvrière et la préparation d'une nouvelle direction révolutionnaire pour les luttes historiques à venir.

(Article original paru le 9 janvier 2013)

Loading