Les manifestations du jeudi 19 juillet en opposition aux dernières mesures d'austérité du gouvernement du PP (Partido Popular) en Espagne étaient l'expression d'une colère et d'une défiance de masse.
Largement plus d'un million et peut être même plusieurs millions de personnes ont protesté dans quatre-vingt villes espagnoles; certaines estimations allant jusqu'à 800.000 manifestants dans la capitale Madrid et plusieurs centaines de milliers à Barcelone.
Les manifestations eurent lieu alors que le parlement était réuni pour approuver un train de mesures représentant des coupes salariales et budgétaires et des hausses d'impôts de 65 milliards d'euros (80 milliards de dollars). Ces mesures avaient été annoncées préalablement par le premier ministre Mariano Rajoy.
Rajoy, conscient de l'ampleur de la colère populaire, quitta le parlement après avoir voté pour les mesures d'austérité, les coupes les plus brutales depuis la chute du régime de Franco, il y a plus de 30 ans.
Il laissa à son ministre du Budget, Cristóbal Montoro et à son ministre de l'Economie, Luis de Guindos, le soin de défendre ses mesures. A sa sortie du parlement, Rajoy alla rencontrer le président de la société Siemens, Peter Löscher.
Les mesures présentées il y a quelque temps par Rajoy, comprennent une hausse de la TVA, qui passe de 18 à 21 pour cent, des coupes salariales pour les fonctionnaires et des attaques supplémentaires visant l'allocation chômage et d'autres prestations sociales.
Le PP a réduit l'allocation chômage de 60 à 50 pour cent du salaire pour ceux qui sont au chômage depuis plus de six mois. L'allocation touchée par ceux qui subviennent aux besoins de membres de leur famille a été réduite de 15 pour cent. Plus de 178.000 personnes se verront privées de leur droit à toucher une retraite d'Etat.
Le but de ces dernières mesures est de réduire le déficit public de 8.9 pour cent du PIB en 2011 à 2.8 pour cent en 2014.
Montoro menaça de ne pas verser les salaires des salariés du secteur public si ces hausses d'impôts et ces coupes dans les dépenses publiques n'étaient pas passées.
« Il n'y a pas d'argent dans les caisses de l'Etat » dit-il. « Ce dont nous disposons c'est l'argent des impôts et si les revenus n'augmentent pas, nous courrons le risque de ne pas pouvoir payer les salaires.»
Les mesures furent ratifiées avec un écart de 180 voix, grâce à la majorité absolue dont dispose le PP au parlement. Il y eut 131 voix contre, dont 120 provenaient du principal parti d'opposition, le PSOE (Partido Socialista Obrero Espanol).
Le secrétaire national du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba dit : « Nous ne pouvons pas continuer comme cela, nous provoquons la défection ». Il exigea que Rajoy « prenne l'avion, aille à Bruxelles et dise que les coupes sont des mesures barbares ». Mais il fut clair sur le fait qu'il n'était pas contre les mesures en tant que telles, seulement contre la rapidité avec laquelle elles étaient imposées.
La coalition Izquierda Unida (IU-ICV- Gauche Unie) dirigée par les staliniens et comprenant deux petits partis séparatistes basque et catalan quitta le parlement avant le vote. Cayo Lara, le dirigeant de IU-ICV dit qu'il ne voulait pas être «complice » des attaques « brutales» menées contre l'Etat social. Mais tout ce qu'il exigea fut un referendum sur les nouvelles mesures.
Le gouvernement fit aussi connaître ce jour-là des précisions sur l'accord de renflouement de 122.9 milliards de dollars passé entre l'Espagne et l'Eurogroupe destiné aux banques espagnoles.
Ceux qui manifestaient devant le parlement accusèrent le gouvernement de vol, brandissant des drapeaux et des banderoles montrant des ciseaux symbolisant les coupes. « L'argent ne manque pas. Mais il y a trop de voleurs », pouvait-on lire sur une banderole.
La manifestation comprenait des fonctionnaires, des pompiers, et même des policiers et des membres de la Guardia Civil. Les pompiers portaient des T-shirts avec l'inscription « menacés d'extinction. »
Les salaires des fonctionnaires ont subi une réduction allant jusqu'à sept pour cent, du à la suppression du treizième mois en plus de quinze pour cent de réduction déjà imposés. Certains manifestants portaient des rubans noirs en signe de deuil et des banderoles disant « Vous nous avez ruinés » et criaient « Haut les mains, ceci est un hold up ».
Le siège du PP était gardé par des policiers en armes et des barrières de sécurité entouraient le parlement. Dans la soirée du 19 juillet, la police tira des balles en caoutchouc et chargea les manifestants et elle fut reçue par des jets de bouteilles et de briques. Des barrières furent érigées à l'aide de poubelles en plastique et de boites en cartons qui furent ensuite allumées.
Selon la police, quinze personnes furent arrêtées et il y eut 39 blessés.
Les manifestations de la semaine précédente en réaction à l'annonce de ces coupes par le gouvernement Rajoy, avaient également subi des attaques brutales de la part de la police. Il faut s'attendre à une répression plus sévère encore.
Le 19 juillet, le gouvernement approuva encore une motion faisant de la «violence urbaine» un délit particulier, qui peut donner à la police le pouvoir de détenir des suspects de façon préventive avant qu'ils ne soient accusés d'aucun délit.
Ce sont les principaux syndicats, l'UGT ( Union General de Trabajadores) et les CCOO (Comisiones Obreras) qui appelèrent aux manifestations du 19 juillet. Ils le firent seulement parce qu'il était devenu impossible pour eux de garder leurs membres tout en s'opposant à toute lutte contre le gouvernement. Les protestations spontanées de fonctionnaires, de pompiers et d'autres catégories professionnelles organisées via les réseaux sociaux et Internet ont été quotidiennes. Des fonctionnaires ont même protesté devant le siège du PP durant leur pause de midi. Des centaines de personnes ont aussi protesté dans de nombreuses villes de moindre importance.
Les syndicats n'ont appelé à aucune grève.
L'intensité de la colère populaire est telle cependant qu'on spécule ouvertement sur la viabilité du gouvernement PP. Jose Carlos Diez, l'économiste en chef de Intermoney SA une société financière ayant son siège à Madrid, dit à l'agence de presse Bloomberg: « Il ne peuvent pas tenir bien longtemps avec ce genre de pression. Pour le moment dans la rue la peur est plus grande que la colère, mais les manifestations prennent de l'ampleur et avec l'augmentation du chômage, cela va empirer. »
Ce jour même, le parlement allemand avait approuvé les 100 milliards d'euros (122 milliards de dollars) en faveur des banques espagnoles, le rendement du bon espagnol à 10 ans passant le seuil des sept pour cent, ce qui avait déjà forcé la Grèce, l'Irlande et le Portugal à demander à l'Europe et au Fonds monétaire international le renflouement de leur Etat.
Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble avertit de ce que « Le danger qui menace le secteur financier en Espagne peut se transformer en danger menaçant la stabilité financière de la zone euro. »
Le premier ministre italien Mario Monti fut, parlant aux journalistes, plus net lorsqu'il identifia l'opposition sociale et politique dans la classe ouvrière comme une cause croissante d'inquiétude pour les cercles dirigeants.
Se plaignant de la position de plus en plus défavorable des obligations d'Etat à dix ans de l'Italie il a déclaré: « Il est difficile de dire dans quelle mesure la contagion vient ou venait de la Grèce ou du Portugal ou de l'Irlande ou bien de la situation des banques espagnoles ou de la situation se développant de toute évidence dans les rues et sur les places de Madrid. »
(Article original paru le 21 juillet 2012)