Dans des assemblées générales qui se tiendront cette semaine et la semaine prochaine, les étudiants en grève du Québec vont décider comment agir lors de la reprise, plus tard en août, de la session d’hiver suspendue dans les cégeps et les universités et ce, devant le spectre de la répression policière.
Durant cette grève qui dure maintenant depuis six mois, deux stratégies politiques opposées ont été défendues par les forces politiques qui affirment appuyer la lutte des étudiants contre la hausse radicale des droits de scolarité universitaires par le gouvernement libéral et pour la reconnaissance de l’éducation en tant que droit social.
Dès le début, le World Socialist Web Site soutient que la grève représente un défi implicite au programme d’austérité de l’élite dirigeante au Canada et à travers le monde. La grande entreprise et ses représentants politiques, déterminés à faire payer les travailleurs pour la crise capitaliste, tentent de détruire tous les gains sociaux que la classe ouvrière leur a arrachés à travers les luttes acerbes du siècle dernier.
Le WSWS lutte pour que les étudiants s’orientent vers la classe ouvrière, la seule force sociale dont les intérêts de classe exigent que l’emprise du patronat sur la vie socioéconomique soit brisée. Pour l’emporter, la grève doit devenir le catalyseur pour une offensive de la classe ouvrière – francophones, anglophones et immigrés – à travers le Canada, en défense de tous les emplois et tous les services publics, pour un gouvernement ouvrier voué à réorganiser l’économie sur une base socialiste, c’est-à-dire voué à satisfaire les besoins sociaux et non le profit privé.
À l’opposé, les associations étudiantes, les syndicats, Québec solidaire et toute la pseudo-gauche soutiennent que la grève ne doit servir qu’à faire pression sur l’élite dirigeante québécoise.
Des mois durant, la CLASSE, l’association étudiante qui mène la grève, a maintenu que la grève des étudiants devait être dirigée comme un mouvement de protestation à enjeu unique. L’opposition à la hausse des droits de scolarité des libéraux a été délibérément séparée de toute l’opposition au programme d’austérité du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral conservateur et de l’élite dirigeante en entier.
Les événements ont démontré que cette perspective était fausse. Loin de vouloir négocier, le gouvernement libéral, encouragé par les grands médias, a eu recours à une violence policière sans précédent et à la loi 78 pour réprimer la grève.
Devant l’intransigeance du gouvernement et profitant de la vague cruciale d’opposition populaire, surtout de la classe ouvrière, provoquée par la promulgation de la loi 78, la CLASSE a défendu brièvement l’idée d’une lutte plus large sous la forme d’une « grève sociale ». Celle-ci n’était toutefois pas conçue comme une grève générale dont le but aurait été de renverser le gouvernement libéral de Jean Charest et développer un mouvement de masse pour un gouvernement ouvrier à Ottawa et à Québec. Il s’agissait d’une proposition pour développer un plus gros mouvement de protestation.
Après que les syndicats ont indiqué qu’ils s’opposaient farouchement à cette idée, la CLASSE a rapidement laissé tomber la « grève sociale ». De plus en plus, elle s’est adaptée à la propagande des syndicats et de leurs alliés de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) pour détourner la grève étudiante derrière une campagne visant à remplacer les libéraux par le Parti québécois (PQ), l’opposition officielle.
Les dirigeants de la CLASSE ont répété que la défaite de Charest aux mains du PQ – un parti pro-patronal et indépendantiste qui a effectué les plus grandes coupes sociales de l’histoire du Québec à son dernier mandat – serait un développement positif, ou même une victoire, pour les étudiants.
Le manifeste de la CLASSE publié le mois dernier qui présente sa perspective pour élargir la lutte souligne à quel point la CLASSE devient un assistant des syndicats dans la trahison de la grève.
Le manifeste porte la marque des politiques nationalistes et de protestation de la pseudo-gauche québécoise : de Québec solidaire, un parti qui voudrait établir une alliance électorale avec le PQ, aux anarchistes.
Le manifeste de la CLASSE ne critique pas, et ne condamne encore moins, les syndicats pour leur opposition à la grève sociale et leur tentative d’imposer une entente au rabais aux étudiants. Il ne met pas en garde les étudiants et les travailleurs que le PQ est un parti de la grande entreprise, tout aussi dévoué que les libéraux et les conservateurs de Harper aux intérêts de la bourgeoisie.
Le manifeste ne tente pas d’aller chercher le soutien des étudiants et des travailleurs du reste du Canada. En fait, il ne fait référence à aucune question, aucun événement ou développement à l’extérieur du Québec. Pas un mot sur la plus importante crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression : la véritable source de l’affrontement entre les étudiants et l’élite dirigeante canadienne. Pas un mot sur les violents programmes d’austérité qui sont imposés en Grèce, en Espagne et à travers l’Europe, et sur l’opposition croissante qu’ils rencontrent dans la classe ouvrière.
En opposition à la perspective socialiste qui veut que les étudiants lient leur lutte à la résistance de la classe ouvrière canadienne et internationale contre l’assaut du capital mondial, le manifeste de la CLASSE avance que la grève étudiante est devenue, et doit demeurer, une « lutte populaire » pour la défense du « bien commun » contre un gouvernement et une élite du Québec qui sont alliés à des intérêts étrangers et qui parlent en leur nom.
« Ce qui a commencé comme une grève étudiante », peut-on lire dans le manifeste, « est devenu une lutte populaire: la question des frais de scolarité nous aura permis… de parler d’un problème politique d’ensemble. »
Mais le « problème politique d’ensemble » dont parle la CLASSE n’est pas le capitalisme – ce mot n’est pas mentionné une seule fois dans son manifeste. C’est plutôt la « démocratie représentative » et le « néolibéralisme ».
Le manifeste souligne l’hypocrisie de l’élite, qui utilise les « lois spéciales », « les bâtons, le poivre et les gaz lacrymogènes », « quand se fait entendre la grogne populaire », et qui « trahit les principes qu’elle dit défendre », lorsqu’elle « se sent menacée ». En opposition à « leur vision », qu’ils disent « représentative », la CLASSE prône la « démocratie directe ». La CLASSE définit la « démocratie directe », un slogan anarchiste, comme une démocratie « sollicitée à chaque instant », où « les décisions démocratiques doivent être le fruit d’un espace de partage, au sein duquel chaque femme et chaque homme est valorisé… [et où] ils et elles peuvent, ensemble, construire le bien commun ».
Ces idées creuses sont un vœu pieux. Elles sont creuses parce que basées sur le rejet de la base fondamentale de toute analyse scientifique de la société contemporaine et du programme progressiste de lutte sociale : admettre que la société est divisée en classes sociales antagonistes. Peu importe sa forme politique, une véritable démocratie est impossible dans un ordre socioéconomique où une infime minorité accapare toute la richesse.
En dénonçant le « néolibéralisme », mais pas le capitalisme, la CLASSE reprend les conceptions défendues par toute une série de forces petites-bourgeoises dont le but est de ressusciter l’idée qu’il est possible de réformer ou d’ « humaniser » le capitalisme. Celles-ci présentent le rejet des politiques d’État-providence adoptées par l’élite dirigeante lors du boum d’après-guerre comme un mauvais choix politique motivé par la cupidité. Ce tournant à droite n’est pas présenté comme la réaction consciente de la bourgeoisie à la réémergence des contradictions fondamentales du capitalisme – des contradictions qui, dans la première moitié du 20e siècle, ont entraîné deux guerres mondiales, la Grande Dépression et le fascisme.
Le manifeste évite de parler de la classe ouvrière et n’a presque rien à dire sur ses problèmes et ses luttes. La croissance de l’inégalité sociale et de l’insécurité économique, la criminalisation des luttes ouvrières et l’imposition de baisses de salaire et l’intensification du travail ne sont jamais mentionnées.
Sans doute, l’élément le plus frappant du manifeste de la CLASSE est sa perspective régionaliste, nationaliste québécoise.
Contrairement aux syndicats et à Québec solidaire, la CLASSE n’appelle pas explicitement à la création de la République du Québec capitaliste, mais elle y donne son appui implicitement : par l’accent myope qu’elle met sur le Québec, par son discours nationaliste, par le fait qu’elle ne s’oppose pas au PQ, par sa demande pour « une éducation libératrice qui jette les bases de l’autodétermination », et par son interprétation de la grève étudiante comme une lutte démocratique du peuple québécois.
Le manifeste s’oppose à la privatisation et au plan d’exploitation des ressources minières du Québec mis de l’avant par le gouvernement Charest (le Plan Nord) dans des mots semblables à ceux qui étaient employés par le Parti québécois en 1970, et une décennie plus tôt par le Parti libéral du Québec, qui a nationalisé l’industrie hydroélectrique québécoise, pour défendre l’idée que les Québécois devaient être « maîtres chez nous »
À la manière traditionnelle du nationalisme québécois, la CLASSE critique une clique de gens « capricieux et avides » qui procèdent de « manière coloniale » en n’ayant « d’yeux que pour leurs actionnaires lointains », pillant « nos ressources » et sacrifiant le « bien commun ».
Les travailleurs du Québec n’ont aucun intérêt à appuyer une section de l’élite québécoise dans sa tentative de se créer son propre État-nation où elle sera le « maître ». Au contraire, pour défendre ses intérêts de classe, la classe ouvrière au Québec doit s’allier à ses frères et sœurs de classe à travers le Canada, aux États-Unis et internationalement.
Le chômage et la détérioration des conditions de vie, le démantèlement des services publics, la hausse des droits de scolarité, un assaut croissant sur les droits démocratiques et la menace de nouvelles guerres impérialistes : les problèmes des travailleurs et de la jeunesse au Québec sont fondamentalement les mêmes que ceux que confrontent les travailleurs à travers le monde et ces problèmes ne pourront être résolus que par le développement d’une lutte industrielle et politique de la classe ouvrière pour le socialisme.
Il y a 40 ans, la bureaucratie syndicale a réussi à étouffer un puissant mouvement de la classe ouvrière québécoise, qui faisait partie d’une offensive de la classe ouvrière internationale, en le ramenant derrière le PQ propatronal. Cela a eu des conséquences désastreuses pour le développement politique de la classe ouvrière à travers l’Amérique du Nord.
Aujourd’hui, en pleine crise systémique du capitalisme, tandis qu’émergent de plus en plus de luttes de masse, que ce soit en Égypte, en Grèce, en Espagne ou au Wisconsin, les syndicats du Québec, Québec solidaire, le reste de la pseudo-gauche et maintenant la CLASSE tentent une fois de plus d’isoler les luttes des travailleurs et des jeunes de la province ainsi que de promouvoir le nationalisme et l’indépendance du Québec, un mouvement mené par le PQ.
Les étudiants et les travailleurs doivent rejeter la perspective nationaliste de protestation défendue par la CLASSE. Cette perspective mène à l’isolement de la grève, à sa défaite face à l’opposition conjointe de l’État, du PQ, des syndicats et de la FECQ et la FEUQ, et à la transformation du mouvement étudiant en un adjoint du mouvement bourgeois pour l’indépendance du Québec.
Le droit à l’éducation et tous les droits sociaux fondamentaux des travailleurs – le droit à un emploi, à une retraite décente, à la santé – ne peuvent être garantis qu’à travers le développement d’un mouvement de la classe ouvrière, sur la base d’un programme socialiste et internationaliste, en opposition à l’ordre social capitaliste. Les étudiants peuvent jouer un rôle crucial dans le développement d’un tel mouvement : en développant la direction révolutionnaire qui va préparer et diriger politiquement la classe ouvrière pour qu’elle rompt avec les syndicats procapitalistes et puisse défendre ses propres intérêts de classe par le développement d’un parti socialiste révolutionnaire de masse.
(Article original paru le 8 août 2012)
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