S'exprimant depuis Zagreb, en Croatie, mercredi, la ministre des Affaires étrangères Hillary Clinton a annoncée que Washington réorganise le front qui représente les prétendus "rebelles" en Syrie. Ce réarrangement, qui comprend le retrait du soutien américain au Conseil national syrien (CNS), fait évidemment partie des préparatifs pour une intervention plus directe des États-Unis une fois les élections de mardi prochain terminées.
Répondant à une question sur la politique américaine en Syrie, Clinton a dénigré les efforts de l'envoyé spécial des Nations unies, Lakhdar Brahimi, déclarant que les États-Unis « ne peuvent et ne vont pas attendre » que l'ONU parvienne à une solution politique à la guerre en Syrie. À la place, Washington cherchera unilatéralement à intensifier la guerre pour réaliser un changement de régime et installer un gouvernement fantoche aligné sur les intérêts américains au Moyen-Orient.
Clinton a poursuivi en décrivant les tentatives américaines pour préparer une nouvelle direction qui puisse servir de façade au projet néocolonial de Washington. Elle s'est permis de faire savoir que le gouvernement américain avait « facilité l'exfiltration de quelques représentants de l'opposition interne syrienne » pour qu'ils puissent se présenter devant les prétendus Amis de la Syrie, comprenant les États-Unis et leurs alliés.
La ministre des Affaires étrangères américaine a traité avec un mépris affiché le Conseil national syrien, qu'en décembre dernier, elle qualifiait encore de « principaux et légitimes représentants des Syriens qui cherchent une transition démocratique pacifique. » L'opposition syrienne, a-t-elle proclamée, ne peut consister en des gens qui ne sont « pas entrés en Syrie depuis 20, 30, ou 40 ans. » Elle devrait plutôt être constituée de « ceux qui sont sur les lignes de front, qui se battent et qui meurent aujourd'hui pour obtenir leur liberté. »
Ce largage en public du groupe de façade que Clinton avait encore si récemment promu comme les sauveteurs du peuple syrien, en faveur d'un assemblage encore non-identifié de nouveaux "révolutionnaires" – sélectionnés par le ministère des Affaires étrangères américain – revient à admettre l'échec de la politique américaine en Syrie jusqu'à présent.
Il est clair que Washington avait anticipé que sa politique d'armer et de financer en sous-main les milices en Syrie, avec l'aide de l'Arabie Saoudite, de la Turquie et du Qatar, aurait jusqu'à présent réussi à faire tomber le gouvernement du Président Bashar al-Assad. Ce qui est devenu évident, c'est que d'importantes parties de la population syrienne, tout en étant hostiles au régime d'Assad, sont encore plus opposées aux prétendus rebelles, voire même les craignent, car ils ne sont qu'un conglomérat de groupes armés de plus en plus dominés par des éléments islamistes djihadistes, souvent liés à Al-Quaïda, et des groupes sectaires sunnites.
Les déclarations de Clinton interviennent en préparation d'une conférence qui se tiendra à Doha, au Qatar, la semaine prochaine, où le nouveau conseil de l'opposition sera officiellement constitué sous la tutelle de Washington et de l'ex-ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford. Celui-ci a été directement impliqué dans le repérage et la sélection de « révolutionnaires » ayant le plus de chances de suivre la ligne des États-Unis.
« Nous avons recommandé des noms et des organisations dont nous pensons qu'elles devraient entrer dans toute structure de direction, » a dit Clinton à la conférence de presse de Zagreb. « Nous avons clairement dit que le CNS ne peut plus être considéré comme la direction visible de l'opposition. Ils peuvent faire partie d'une opposition plus large, mais cette opposition doit comprendre des gens de l'intérieur de la Syrie et d'autres qui ont une voix légitime qui devrait être entendue. »
On peut difficilement surpasser le cynisme et l'insolence de l'approche de la ministre américaine. Après avoir adoubé le CNS comme le représentant « légitime » du peuple syrien, elle décide maintenant qu'ils ne sont plus utiles comme « direction visible » de l'opposition. En d'autres termes, il faut un nouveau visage syrien à l'attention du public pour l'intervention impérialiste américain, et Washington a sélectionné avec soin les individus qui en feront partie.
Il ne fait aucun doute que cela est dicté en partie par l'identification de la direction du CNS avec la branche syrienne des Frères musulmans et par les inquiétudes américaines sur le fait qu'en Syrie cela ne fait que renforcer l'hostilité de ceux qui considèrent cette tentative de faire tomber le gouvernement d'Assad comme une guerre sectaire soutenue par Washington.
Alors même que les dirigeants du CNS auraient toujours un rôle à jouer, peut-être un tiers de la direction sous le nouvel arrangement de Washington, ils devraient céder formellement le contrôle à un nouveau front, qui comprendra ceux qui ont « une voix légitime qui devrait être entendue. » Ce sera au ministère des Affaires étrangères américain de déterminer quelles sont ces voix syriennes « légitimes », lequel, sans aucun doute, voudra y voir figurer tout une collection de «contacts» alaouites, shiites, kurdes et chrétiens.
Mais le CNS lui-même a rejeté le projet américain, convoquant sa propre conférence à Doha immédiatement avant la conférence organisée par les Américains, et indiquant qu'il est prêt à lutter pour conserver sa franchise d'opposition « légitime » soutenue par les puissances impérialistes et les régimes musulmans sunnites d'Arabie saoudite, de la Turquie et du Qatar. Ce que vont faire ces régimes, qui ont leurs propres intérêts en jeu dans la guerre civile syrienne, n'est pas encore clair, et il a été rapporté que la Turquie et le Qatar soutiendraient le CNS.
Il est tout à fait possible que la réunion organisée à Doha se transforme en une lutte fratricide de chaque faction contre toutes les autres, à la manière d'une conférence du même genre organisée au Caire en juin dernier, où les délégués avaient fini par se battre et se jeter des meubles à la figure.
« Nous avons également besoin d'une opposition qui sera exemplaire pour résister aux efforts des extrémistes de s'emparer de la révolution syrienne, » a déclaré Clinton à la conférence de presse de mercredi. Encore une fois, la question est, pour Washington et ses alliés impérialistes, de savoir ce dont ils ont besoin, et non ce que veulent les Syriens.
En tout état de cause, une dissociation aussi formelle d'avec les « extrémistes » et des changements cosmétiques parmi les dirigeants en exil qui se présentent en gouvernement en attente, ne vont pas modifier réellement le caractère sectaire de la guerre civile qui se prolonge. La CIA, qui orchestre l'envoi d'armes fournies par les régimes d'Arabie Saoudite, de la Turquie et du Qatar, a admis que la majeure partie de ces armes vont aux milices islamistes.
L'objectif de Washington est de rapiécer un groupe qui puisse servir de base à un régime fantoche à Damas, tout comme il l'a fait avec divers exilés irakiens en préparation à la guerre de 2003 contre l'Irak. Comme l'a dit sous le couvert de l'anonymat un membre de haut rang de l'administration au magazine Foreign Policy, « Nous appelons ça un proto-parlement. On pourrait même le décrire comme un Continental Congress [assemblée constituante à l'origine des États-Unis, ndt]. »
Qu'une telle institution soit en préparation indique fortement que le gouvernement Obama se prépare à une escalade rapide de l'intervention américaine en Syrie après les élections du 6 novembre, probablement avec usage de la force militaire pour se tailler une "zone sûre". Une telle intervention entrerait dans le cadre d'une campagne plus large en préparation d'une guerre contre l'Iran, créant le risque d'une conflagration militaire régionale ou même mondiale.
Toute cette manœuvre sordide à Doha souligne le véritable caractère de la prétendue « révolution » syrienne, dont la direction est directement sélectionnée et installée par le ministère des Affaires étrangères américain. Cela démasque davantage encore le rôle des forces de pseudo-gauche, comme l'International socialist organisation aux États-Unis, le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne, et le Nouveau Parti anticapitaliste en France, qui ont cherché à promouvoir cette guerre voulue par les États-Unis pour un changement de régime et à légitimer le prétexte des « droits de l'Homme » pour les interventions impérialistes.
(Article original paru le 2 novembre 2012)