Les démêlées territoriales entre la Chine et ses voisins d'Asie du Sud-Est ont été au centre des débats lors du sommet organisé au Cambodge par l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) cette semaine.
Ces tensions se sont aggravées après que le président philippin Benigno Aquino a contesté une déclaration du Cambodge, l'hôte du sommet, faite dimanche et selon laquelle les pays de l'ASEAN étaient parvenus à un consensus « pour ne pas internationaliser la Mer de Chine du Sud à l'avenir. » Cette déclaration allait dans la droite ligne de l'insistance de la Chine pour une résolution bilatérale de ce conflit maritime. Le Cambodge est étroitement aligné sur la Chine.
Durant un entretien entre les dirigeants de l'ASEAN et le Premier ministre japonais Yoshihito Noda lundi, Aquino a objecté à la déclaration qui affirmait qu'un consensus était atteint, déclarant : « Que ce soit clair, ce n'était pas notre manière de voir les choses. La route de l'ASEAN n'est pas la seule route pour nous. En tant qu'Etat souverain, c'est notre droit de défendre nos intérêts nationaux. »
Avec le soutien du gouvernement Obama, le gouvernement des Philippines a pris une position plus stridente sur ses revendications territoriales dans ce qu'il appelle maintenant la Mer des Philippines occidentales, ce qui a entraîné une confrontation dangereuse cette année avec la Chine au sujet de la zone contestée du récif de Scarborough.
Noda est également intervenu pour s'opposer aux efforts du Cambodge de limiter la discussion. Une déclaration japonaise faisait savoir que : « le Premier ministre Noda a soulevé la question de la Mer de Chine du Sud, notant que c'est un sujet d'inquiétude pour toute la communauté internationale, qui pourrait avoir des effets directs sur la paix et la stabilité de la zone Asie-Pacifique. »
L'implication du Japon dans ce différend, pour la première fois, vient déranger encore plus les tentatives de la Chine de limiter strictement cette question aux pays d'Asie du Sud-Est. L'intervention de Noda s'adressait également aux habitants du Japon. Avec une élection prévue le mois prochain, tous les partis, dont le Parti démocrate du Japon de Noda, y agitent les sentiments nationalistes, en se concentrant sur le propre conflit entre le Japon et la Chine au sujet des îles Senkaku (Diaoyu) en Mer de Chine orientale.
Le président philippin Aquino a ensuite proposé d'accueillir une réunion des quatre pays impliqués dans des conflits de territorialité avec la Chine – le Vietnam, la Malaisie, le Brunei et les Philippines. « Notre position a toujours été qu'un problème multilatéral ne se prête pas à une solution bilatérale, » a-t-il déclaré.
En juillet dernier, lors d'une réunion de l'ASEAN où s'étaient retrouvés des ministres des Affaires étrangères, des désaccords très nets entre le Cambodge et les Philippines au sujet de la Mer d Chine du Sud avaient entraîné, pour la première fois pour cette organisation, l'impossibilité de publier un communiqué final.
Le président Barack Obama était présent hier au sommet de l'Asie orientale organisé par l'ASEAN, dans le cadre d'une tournée passant par trois pays, la Thaïlande, la Birmanie et le Cambodge. D'après le vice-conseiller national à la sécurité Ben Rhodes, le message d'Obama était qu'« il faut réduire les tensions… Il n'y a aucune raison de risquer une possible escalade, en particulier lorsque nous avons deux des plus importantes économies du monde – la Chine et le Japon – associées à certains de ces conflits. »
La pose de voix de la sagesse adoptée par Obama est complètement hypocrite. Le gouvernement d'Obama est directement responsable de l'échauffement de tous les conflits territoriaux impliquant la Chine, en donnant des signes de soutien à ses alliés – le Japon et les Philippines – quand ils prennent des positions plus fermes. La ministre des Affaires étrangères américaine Hillary Clinton a de manière provocatrice déclaré lors d'un sommet de l'ASEAN en 2010 que les États-Unis ont « un intérêt national » à s'assurer de la « liberté de navigation » à travers la Mer de Chine du Sud et a proposé de servir de médiateur aux négociations sur la question.
À la suite de cela, tout en déclarant que les États-Unis sont neutres sur ces questions territoriales, les représentants des États-Unis ont publiquement affirmé que Washington soutiendrait systématiquement le Japon dans un conflit avec la Chine au sujet des îles Senkaku (Diaoyu), et ont laissé entendre qu'ils feraient de même pour les Philippines. Le gouvernement Obama a exploité les différends maritimes comme un moyen pratique d'introduire des dissensions entre la Chine et ses voisins, de faire pression sur Pékin et de justifier le renforcement de la présence militaire américaine dans la région.
Le contrôle sur les voies de navigation en Asie du Sud-Est est un élément clef de la stratégie plus large de « Pivot en Asie » du gouvernement Obama – une offensive visant à contenir la Chine en renforçant les alliances américaines et les liens militaires en Asie.
Obama a tenu sa propre réunion à part avec les dirigeants de l'ASEAN, appelant encore une fois à « une conclusion rapide » à l'établissement d'un code de conduite en Mer de Chine du Sud. Pékin, en revanche, pousse toujours pour des accords bilatéraux. Si les dirigeants Chinois et de l'ASEAN sont parvenu à un accord dimanche sur de prochaines négociations en vue d'un code, le porte-parole du ministre des Affaires étrangères chinois a déclaré que ce processus « prendrait du temps. »
Ces conflits territoriaux ne sont pas les seules questions exploitées par Washington pour saper l'influence chinoise en Asie du Sud-Est. Obama a pris le temps, au sommet, d'une séance de photos avec les dirigeants de divers pays impliqués dans l'Initiative du bas-Mekong – le Cambodge, le Laos, le Vietnam et la Thaïlande. Lancée en 2010, l'Initiative du bas-Mekong est un mécanisme pour exploiter les différends entre ce groupe et la Chine au sujet de l'utilisation de l'eau et de la construction de barrages en amont du Mékong.
La rivalité entre les États-Unis et la Chine a également débordé sur des questions commerciales et économiques.
Obama a utilisé ce sommet pour promouvoir le Partenariat trans-pacifique (PTP) – un groupement commercial régional que Washington voudrait imposer, qui est fortement biaisé en faveur des entreprises et institutions financières américaines. Le PTP est un prélude à une large réduction des tarifs douaniers et autres formes de protectionnisme, et s'attaque notamment aux entreprises publiques. Si le PTP ne comprend pas la plupart des pays d'Asie, les États-Unis insistent auprès de leurs alliés majeurs comme le Japon et la Corée du Sud pour qu'ils le rejoignent. L'objectif de Washington est soit d'en exclure la Chine, soit de la contraindre à ouvrir de nouveaux secteurs de son économie aux investisseurs américains.
Le PTP ne comprend actuellement que quatre pays de l'ASEAN – Singapour, le Brunie, la Malaisie et le Vietnam. Obama a proposé une nouvelle initiative, dite Accord économique étendu américano-ASEAN, pour étendre les liens commerciaux et d'investissements aux 10 pays de l'ASEAN et les encourager à rejoindre le PTP.
La proposition américaine était l'un des divers plans commerciaux envisagés autour de ce sommet. Parmi ceux-ci, il y avait la proposition d'un Partenariat économique régional large (Regional Comprehensive Economic Partnership - RCEP) entre les pays de l'ASEAN et ses partenaires actuels de l'Accord de libre-échange – l'Australie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Les États-Unis en seraient notamment exclus.
(Article original paru le 21 novembre 2012)