La Lettonie a reçu des éloges de la part de nombreuses institutions et des médias pour être un modèle des succès des politiques d’austérité. Ils célèbrent la « résurrection » du pays et couvrent d’éloges le gouvernement de droite à Riga. Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), a désigné l’État balte comme un exemple pour confronter la crise économique et a décrit les politiques du gouvernement comme une « belle réussite » qui « peut être une inspiration pour les autres hommes d’État européens ».
En fait, la population lettonne est en train de payer très cher cette « belle réussite ». Les conditions de vie sont devenues tellement insupportables que 10 pour cent de la population travailleuse a quitté le pays depuis 2008. Seulement ces des deux dernières années, la population est passée 2,2 à 2 millions. Même ce développement est cyniquement exploité par le gouvernement qui cherche à en faire un développement positif et qui a déclaré dans ses statistiques économiques que le taux de chômage a diminué.
La Lettonie a été frappée de plein fouet par la crise économique internationale de 2008. Après les années de boom économique en 2006 et 2007, durant lesquelles les investissements directs provenant de l’Europe ont grimpé de 30 pour cent, l’économie n’a cessé de se contracter. Le produit intérieur brut de la Lettonie a chuté de 25 pour cent en deux ans et le pays a évité la faillite grâce aux fonds du FMI.
Sous la pression du FMI, le gouvernement, mené par le premier ministre Vladis Dombrovskis, a décidé d’imposer des mesures d’austérité draconiennes, de supprimer des emplois, de réduire les salaires et de dévaluer la devise nationale, le Lats letton.
Dombrovskis a travaillé étroitement avec l’économiste suédois Anders Aslund. Au début des années 1990, Aslund était conseiller pour les gouvernements de Russie, d’Ukraine et du Kirghizistan. Il est un défenseur autoproclamé des politiques de type « thérapie-choc » qui ont eu des conséquences désastreuses pour les populations à travers l’Europe de l’Est après l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc de l’Est au début des années 1990.
Le gouvernement Dombrovskis a coupé les salaires dans le secteur public entre 30 et 50 pour cent tout en augmentant les impôts sur le revenu de 23 à 26 pour cent ainsi que la taxe à la consommation de 18 à 21 pour cent. Il a fermé environ la moitié des 56 hôpitaux du pays, incluant le plus grand hôpital de Lettonie, Rigas Prima Slimnca, de 650 lits. Les régimes de retraite déjà minimes ont été réduits encore plus.
Le salaire moyen mensuel se trouve présentement à 600 euros par mois et le salaire minimum est de 280 euros, bien que les loyers dans la capitale, Riga, soient comparables à ceux des capitales européennes occidentales. Les prix de la nourriture sont similaires à ceux en Allemagne.
La pauvreté répandue n’a pas seulement mené à de hauts niveaux d’émigration, mais aussi à un faible taux de natalité. Ainsi, la Lettonie vieillit beaucoup plus vite que le reste de l’Europe, selon le démographe Ilmars Mezes.
Vu les bas salaires, beaucoup de secteurs professionnels manquent maintenant de travailleurs formés, et les jeunes et les Lettons scolarisés émigrent à l’étranger.
Le Standard autrichien a cité Yeva, qui a 18 ans et qui veut déménager en Autriche à la fin de ses études : « Bien sûr, je veux à un certain point faire de l’argent et pas seulement rester coincée à un niveau de subsistance. » Lorsqu’on lui a demandé pourquoi une personne aussi jeune voulait quitter le pays, elle a répondu franchement : « Je déteste vivre en Lettonie. »
Le déclin social en Lettonie est aussi visible à d’autres niveaux. Le pays a maintenant un des taux de suicide les plus élevés d’Europe. Même s’il n’y a pas de statistiques officielles, les estimations indiquent une augmentation de 15 pour cent lors des trois dernières années.
Une tragédie qui a paru dans les nouvelles en Lettonie est celle d’un garçon de 10 ans qui fut renvoyé à la maison par sa mère, qui avait émigré à l’étranger. Arrivé dans son pays natal, il s’est suicidé.
Il y a aussi eu une augmentation significative des larcins, des vols et des crimes violents. Le nombre de personnes alcooliques a aussi crû de manière significative.
Le gouvernement letton a tenté de contrer les critiques de ses politiques antisociales en faisant référence aux données économiques prétendument bonnes pour le pays. « C’était notre seule option dans cette situation. Autrement, nous ne serions pas en aussi bonne position », fut le commentaire d’Arvils Aseradens, conseiller au ministère des Affaires sociales et ancien directeur du quotidien Diena.
Le taux de chômage cette année a chuté de presque 20 pour cent pour atteindre 11 pour cent et le taux de croissance annuel du PIB est entre trois et six pour cent, mais la population ne profite d’aucun avantage pour cette « reprise ».
Mihails Hazan, professeur d’économie à l’Université de Lettonie, contredit la ligne officielle selon laquelle la Lettonie a résolu ses problèmes en introduisant des politiques d’austérité rigoureuses. « Il n’y a absolument rien dont nous pouvons être fiers lorsque nous regardons le développement social des trois dernières années », a-t-il dit. « Le taux de croissance économique semble positif à première vue, mais rappelons-nous que nous partons de très bas. »
Même si les taux de croissance actuels se maintenaient – ce qui est peu probable – cela prendrait encore beaucoup d’années à la Lettonie pour retrouver ses performances économiques de 2007. Le gouvernement de coalition de Dombrovskis a été capable de mettre en oeuvre ses mesures d’austérité dans les dernières années pratiquement sans obstacle. Les partis d’opposition du parlement letton veulent essentiellement la même politique. La principale alliance de l’opposition, le Centre de l’harmonie, consiste en plusieurs partis « socialistes » et sociaux-démocrates, qui représentent principalement l’élite russe du pays. Malgré des critiques occasionnelles du gouvernement, ils défendent aussi de strictes mesures d’austérité, similaires à celles imposées de 2006 à 2008, lorsqu’ils faisaient partie du gouvernement.
La colère et le désespoir si répandus dans la population ne trouvent aucune expression dans la vie politique officielle. La grave détérioration des conditions de vie a entraîné d’autres manifestations. Au début 2009, plus de 10 000 personnes ont manifesté contre les mesures d’austérité du gouvernement et il y a eu, dans les mois qui ont suivi, une série de grèves et d’arrêts de travail dans le secteur public.
Dombrovskis a réagi à ces protestations en allant encore davantage à droite et est présentement en train d’imposer ses mesures d’austérité en alliance avec les forces d’extrême droite, et alimente délibérément le chauvinisme anti-russe.
Après les élections de 2010, il a formé un gouvernement de coalition avec l’Alliance nationale, un parti d’extrême droite. Il a dit à l’époque qu’il ne voyait aucune raison de « punir » l’Alliance nationale pour ses positions extrémistes.
Le mois dernier, un monument fut érigé à Bauska afin de commémorer les troupes lettones qui ont combattu contre l’armée soviétique pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les unités de la « Légion lettone » étaient en fait affiliées à la tristement célèbre Waffen-SS allemande. Lorsque Moscou a, par la suite, critiqué le monument en le qualifiant de « glorification du nazisme », les milieux officiels lettons ont répondu en déclarant que la statue était un symbole de « liberté ». Le monument est maintenant un site pour des évènements commémoratifs tenus par des groupes fascistes de vétérans SS.
Il y a deux ans, un monument en l’honneur de Karlis Ulmanis fut érigé à Piksas. En 1934, Ulmanis dissout le Parlement letton, renversa la constitution, établit un régime autoritaire et forgea d’étroites relations avec le régime nazi en Allemagne. Des opposants politiques ont été arrêtés et torturés pendant son règne. Une fois de plus, le monument a été défendu par les milieux politiques officiels qui ont mis de l’avant l’idée que la commémoration d’Ulmanis était un symbole de « l’indépendance de la Lettonie en temps de crise ».
(Article original paru le 18 octobre 2012)