La semaine dernière, la police s'est tenue à l'écart tandis que des centaines de voyous salafistes attaquaient des travailleurs et des jeunes à Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie. La ville dont la révolte a commencé la révolution de 2011 qui a renversé le dictateur tunisien, le président Zine El Abidine Ben Ali, et lancé le « Printemps arabe », est devenu une fois de plus un centre de l'opposition au gouvernement droitier du parti islamiste Ennahda.
Les voyous ont attaqué Sidi Bouzid dans la nuit du 23-24 août, blessant au moins sept personnes. Des témoins ont dit à l'AFP que les assaillants, des militants islamistes radicaux, étaient venus en bus la nuit et avaient attaqué près de 15 maisons dans le quartier de Aouled Belhedi. Les combats se sont poursuivis jusqu'à l'aube. La police n'est pas intervenue pour faire cesser les affrontements, « afin d'éviter d'aggraver la situation. »
Cela n'a pas découragé des jeunes qui le lendemain ont organisé un sit-in devant les autorités locales responsables de l'éducation pour exiger des emplois.
Selon l'AFP, «D'après les résidents de la ville, les affrontements ont éclaté dans la nuit de lundi quand un groupe de salafistes aurait essayé de s'emparer d'un homme saoûl pour le punir de boire de l'alcool en violation des lois musulmanes. Des jeunes hommes ont riposté mercredi en frappant trois salafistes, déclenchant ainsi les heurts de la nuit. » (retraduit de l'anglais)
Il ne s'agit pas d'un événement isolé. Le 16 août, des voyous islamistes armés de bâtons et d'épées ont attaqué un festival culturel au nord de la Tunisie et blessé cinq personnes. C'était la troisième attaque de ce type en trois jours organisée par des salafistes en Tunisie, au motif d'un soi-disant manque de respect pour le mois sacré du Ramadan.
Des forces islamistes de droite sont introduites comme troupes de choc pour attaquer les manifestations et l'opposition sociale qui se développent au sein de la classe ouvrière, dans un contexte économique et social qui se détériore.
L'économie est en récession depuis plus d'un an et l'intensification de la crise économique en Europe (qui achète 75 pour cent des exportations de la Tunisie) va aggraver la récession. Le taux de chômage dépasse les 18 pour cent, soit 709 000 personnes sur une population active de 3,9 millions, avec des taux beaucoup plus élevés à la campagne et dans l'intérieur plus défavorisé du pays, loin des côtes.
Depuis le mois de mai, il y a eu des grèves générales dans certaines villes, à Tatouine, Monastir, Kasserine et Kairan. Le regain de l'offensive de la classe ouvrière a été contrée par des critiques de la presse bourgeoise demandant que les travailleurs tunisiens se comportent en force de travail bon marché et docile, comme sous Ben Ali. Le journal économique L'Economiste, bien que mal à l'aise avec les positions fondamentalistes du gouvernement Ennahda, accuse les jeunes et les travailleurs d'avoir «contribué par leur comportement à la dégradation de la situation économique et sociale du reste très détériorée de longue date … On ne peut revendiquer à bon droit le développement et faire fuir les investisseurs en multipliant obstacles et entraves à la production.»
Le journal a ajouté un autre commentaire qui révèle mieux encore les préoccupations de la bourgeoisie. Il a exprimé ses craintes que les travailleurs et les jeunes de «Sidi Bouzid, Kasserine, Sfax…sont entrain de se jouer les prolongations d’une révolution inachevée. »
A Sidi Bouzid même, des journaliers qui protestaient contre un retard de paiement de deux mois des salaires ont attaqué le 26 juillet le siège du parti Ennahda. Ils ont fracassé la porte et lancé un pneu en feu dans les bureaux d'Ennahda. Tandis que la police tiraient des coups de feu d'avertissement et des gaz lacrymogènes, les manifestants criaient « La police de Ben Ali est de retour. »
Le 9 août, la police a tiré des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sur une foule, blessant cinq personnes qui ont été admises à l'hôpital. Les manifestants demandaient un accord sur le statut des travailleurs, la démission du commandant régional de la Garde nationale, la démission du gouverneur Mohamed Najib Mansouri et la dissolution de l'Assemblée constituante du fait de son incapacité à satisfaire les revendications des résidents de Sidi Bouzid de garantir l'approvisionnement en eau, des emplois et le développement économique.
Le 14 août, une grève générale à Sidi Bouzid a exigé que soient libérés les manifestants arrêtés et détenus lors de la précédente manifestation quelques semaines avant.
La complicité de la police et des représentants de l'Etat, y compris l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui soutenait Ben Ali avant la révolution, donne les coudées franches aux salafistes pour attaquer les travailleurs.
Un représentant de l'UGTT de Krassine, Mohamed Sgahaier Saihi, a dit à la presse qu'avec 20 pour cent de chômage, «Ces gens expriment leur colère avec des barrages routiers et des sit-in improvisés jour après jour. » En bon bureaucrate de l'UGTT, il a déploré cette activité qu'il considère comme une menace à l'ordre social: «Ils représentent une réelle menace à la stabilité sociale et jour après jour ils créent des problèmes en organisant des sit-in et en bloquant les rues et les routes.»
Des manifestations localisées et sous contrôle de l'UGTT avant la révolution cherchaient à faire retomber la pression et à empêcher toute menace politique indépendante de la classe ouvrière vis à vis du régime. Ces manifestations fournissaient aussi l'occasion à divers partis de pseudo-gauche, tel le Parti des travailleurs maoïste (PT), anciennement le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), de poser en alliés de la classe ouvrière.
Ils ont tous joué un rôle pour empêcher que la chute de Ben Ali n'ouvre la voie à une véritable révolution sociale et à la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Ils ont légitimé la formation du gouvernement Ennahda qui est aujourd'hui complètement démasqué comme étant un ennemi farouche de la classe ouvrière.
Les craintes de mouvements révolutionnaires de par le monde arabe ont conduit l'impérialisme américain et ses alliés européens à se tourner de plus en plus vers les partis islamistes pour gouverner et vers leurs alliés plus extrémistes tels les troupes de choc pour les actions violentes. L'intervention de groupes liés à Al-Qaïda contre les régimes de Libye et de Syrie ciblés pour être renversés par Washington est devenue un outil significatif de la politique impérialiste dans la région.
Le député en vue d'Ennahda, Sadok Chourou a qualifié les grévistes d' « ennemis de dieu. » Dans une interview, il a nié que les salafistes soient responsables de la violence: «La vérité c'est que certains membres des groupes salafistes ne sont pas de vrais salafistes.. Ce sont des vestiges du précédent régime qui ont infiltré les groupes salafistes pour commettre des actes contre le gouvernement... Les vrais salafistes n'adoptent pas l'usage de la violence. »
Chourou essaie de dissimuler la complicité du gouvernement et de la police dans la violence salafiste. Mais s'il y a une quelconque vérité dans ses remarques, et si la police de Ben Ali était impliquée dans l'organisation de l'attaque contre les travailleurs de Sidi Bouzid, cela ne fait que souligner la continuité fondamentale de la politique anti-ouvrière de Ben Ali et d'Ennahda. La révolution de la classe ouvrière qui a commencé avec le renversement de Ben Ali doit se poursuivre en une lutte contre le gouvernement Ennahda.
(Article original paru le 29 août 2012.)