Perspective

Ce qui se cache derrière les conflits croissants dans l’UE

Bien que la plupart des gouvernements et des parlements soient partis en vacances d’été une intense dispute a lieu entre les capitales européennes au sujet de l’avenir de l’euro.

Le premier ministre italien Mario Monti est en tournée européenne pour promouvoir l’extension illimitée du Mécanisme européen de stabilité (MES), le fonds de sauvetage de l’euro. Il jouit du soutien du président français, François Hollande, mais il rencontre une forte résistance de la part de l’Allemagne.

Le volume du MES est actuellement limité à 500 milliards d’euros pour lesquels les Etats-membres de la zone euro sont responsables. Le 29 juin, le sommet de l’Union européenne (UE) avait décidé d’octroyer les fonds du MES directement aux banques et non aux gouvernements, comme c’était précédemment le cas. Ceci devait permettre un sauvetage direct de certaines banques espagnoles sans renflouer le gouvernement espagnol, ce qui aurait peut-être surmené la limite de 500 milliards d’euros du MES.

Toutefois, bien que le sommet ait débloqué 100 milliards d’euros pour les banques espagnoles en difficulté, les marchés financiers n’ont pas été satisfaits. Les taux d’intérêt des obligations espagnoles et italiennes avaient aussitôt grimpé à des niveaux record.

Monti et Hollande veulent actuellement pourvoir le MES d’une licence bancaire. Le MES équivaudrait alors à une banque commerciale, à laquelle il serait possible d’emprunter de l’argent auprès de la Banque centrale européenne et de racheter des obligations gouvernementales sur les marchés. Ces obligations devront être acceptées en garantie par la Banque centrale européenne. Au fond, le MES servirait ainsi de relais à des sommes d’argent illimitées imprimées par la Banque centrale européenne pour renflouer des banques ou des gouvernements.

Une telle mesure ne stopperait ni ne ralentirait les mesures d’austérité qui ont précipité dans la misère une grande partie de la population grecque et espagnole. Les promoteurs de la licence bancaire pour le MES ont souligné que le rachat d’obligations souveraines par le MES serait lié à des exigences strictes pour de nouvelle mesures d’austérité.

Voilà la véritable raison qui a motivé les projets visant à impliquer le MES. Contrairement au MES, dont les agissements doivent être unanimement approuvés par les ministres des Finances de la zone euro, la Banque centrale européenne n’est pas en mesure de dicter aux gouvernements concernés l’application de mesures d’austérité. Le MES, tel qu’il est prévu par Hollande et Monti, serait une agence pour injecter des milliers de milliards dans les coffres des banques tout en dictant des coupes à hauteur de plusieurs milliers de milliards à l’encontre de la classe ouvrière.

Ce n’est pas par hasard que ceci a aussi trouvé l’appui des gouvernements américain et britannique dont les secteurs financiers seraient gravement touchés par la défaillance d’un pays de la zone euro.

En Allemagne, toutefois, la proposition s’est heurtée à une opposition farouche. Le dirigeant du Parti démocrate libéral (FDP), qui fait partie de la coalition gouvernementale, Rainer Brüderle, l’a décrite comme étant une « mission suicide inflationniste. »

Berlin craint d’être entraîné plus profondément dans le tourbillon de la crise financière s’ils acceptent de prolonger davantage le MES. Bien que les entreprises allemandes ont tiré des bénéfices de l’euro comme aucune autre entreprise, ils s’opposent à toutes les activités financières qui profitent à d’autres pays en exigeant au lieu de cela des programmes d’austérité draconiens même si ceux-ci devaient provoquer un effondrement social et économique en Europe, à commencer par la Grèce et l’Espagne.

Des voix nationalistes se multiplient au sein des médias allemands pour réclamer l’expulsion de la Grèce ainsi que d’autres pays de la zone euro lourdement endettés ou la création d’un bloc monétaire pour les pays du Nord de l’Europe et sous domination allemande.

La plupart des grandes entreprises allemandes rechignent à prendre de telles mesures. Les représentants des entreprises exportatrices craignent un effondrement de l’euro.

C’est pour cela, que la chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ont indiqué la possibilité de nouvelles concessions après que le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, se soit envolé pour l’Europe pour parler avec Schäuble et le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi. Ceci pourrait toutefois faire éclater la coalition gouvernementale de Merkel au sein de laquelle les adversaires à une politique inflationniste se trouvent de plus en plus ouvertement en conflit avec les défenseurs de celle-ci.

Le MES fait l’objet de bien des querelles. Bien qu’il doive entrer en vigueur ce mois-ci, l’Allemagne ne l’a pas encore ratifié. Il se trouve bloqué par la Cour constitutionnelle allemande qui ne décidera que le 12 septembre s’il est compatible ou non avec la constitution allemande.

Le degré des tensions entre les gouvernements européens a été révélé ce week-end lors de plusieurs entretiens faits par des politiciens influents qui se sont insultés les uns les autres, en renonçant à toute retenue diplomatique.

Lundi, dans le journal Süddeutsche Zeitung, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a accusé l’Allemagne de traiter « la zone euro comme une succursale ». L’intégration européenne est « un échafaudage très fragile », a-t-il prévenu. Il a ensuite ajouté : « Des ressentiments qu’on pensait oubliés nagent très près de la surface. Plus de 60 ans après la Seconde Guerre mondiale, ils ne se trouvent pas à des kilomètres de là, mais seulement à quelques centimètres sous la surface. »

Les politiciens allemands n’ont pas tardé à répondre. Le secrétaire général de l’Union chrétienne-sociale (CSU), Alexander Dobrindt, a qualifié les remarques de Juncker d’« impertinence inégalable » en suggérant que Juncker envisage de démissionner. 

Les conflits entre les gouvernements européens vont de pair avec de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Sur cette question, la classe dirigeante européenne est unanime.

En juin, le taux de chômage a atteint un niveau record de 11,2 pour cent dans la zone euro. 17,8 millions de travailleurs sont sans emploi et les niveaux des conditions de vie sont en train de s’effondrer. En Espagne, le chiffre d’affaires du commerce de détail a chuté de 5,2 pour cent en un an, en Grèce, il dégringolé de près de 8,8 pour cent. Même en Allemagne, les ventes au détail ont baissé de façon continue au cours de ces trois derniers mois. Six pays de la zone euro sont officiellement entrés en récession.

L’UE sert de forum à la classe dirigeante pour régler ses divergences aux dépens de la classe ouvrière. C’est un instrument pour assujettir l’Europe aux dictats des marchés financiers. L’UE ne peut pas être réformée, elle doit être abolie et remplacée par les Etats socialistes unis d’Europe.

La classe ouvrière ne peut défendre ses droits et les acquis sociaux que si elle s’organise indépendamment de toutes les ailes de la classe dirigeante. Les travailleurs doivent s’unir à travers toute l’Europe et lutter pour un programme socialiste pour mettre en place des gouvernements ouvriers pour exproprier les banques et les grandes entreprises et pour organiser l’économie conformément aux besoins sociaux et non selon les exigences de l’aristocratie financière.

(Article original paru le 2 août 2012)

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