Une grande partie des infrastructures de transmission d’électricité de l’Inde a cessé de fonctionner mardi, privant de courant électrique, et dans de nombreux cas d’eau, près de 700 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population indienne.
Cette panne est de loin la plus grande panne d’électricité de l’histoire qui a eu pour conséquence de priver de courant environ 10 pour cent de la population mondiale, soit plus du double de la population totale des États-Unis. Vingt-et-un États du nord et du nord-est de l’Inde et des territoires de l’Union ont été touchés, dont le Punjab, l’Uttar Pradesh, le Bihar, le Bengale occidental, l’Assam et Delhi, le siège de capitale nationale.
Il semble inévitable que cette défaillance d’une grande partie du réseau électrique indien, qui a causé une paralysie des transports et obligé les hôpitaux à recourir à des générateurs de secours souvent vétustes fasse en bout du compte de nombreuses victimes.
La coupure de courant de mardi – une panne totale de trois réseaux électriques inter-États – a eu lieu 24 heures après que le réseau Nord ait fait l’objet d’une défaillance systémique, privant 350 millions de personnes d’électricité. La coupure de courant de lundi, qui a duré 15 heures dans certaines régions, a affecté le réseau Nord qui dessert une grande partie des régions les plus densément peuplées de l’Inde dont Delhi et l’Uttar Pradesh.
La coupure de courant de mardi a bloqué quelque trois cents trains, les passagers se trouvant parfois bloqués au milieu de nulle part dans une chaleur accablante. Le métro de Delhi a également été immobilisé pendant des heures. En conséquence de la mise hors service généralisée de leurs feux de signalisation, les villes du nord de l’Inde ont connu de gigantesques embouteillages.
Des centaines de mineurs de charbon travaillant pour le groupe minier Eastern Coalfields Ltd dans l’État du Bengale occidental ont été pris au piège sous terre. 65 autres mineurs de charbon, dans l’État voisin de Jharkhand doivent encore être secourus.
La capacité de production et de distribution de l’électricité en Inde s’est révélée être tout à fait insuffisante pour un pays comptant 1,1 milliard d’habitants. Les responsables affirment que la capacité de production totale, toutes sources confondues, est d’environ 200.000 mégawatts (MW). Toutefois, une bonne part de cette production n’est pas disponible la plupart du temps en raison de la maintenance, de l’insuffisance du réseau électrique pour la transmission de l’électricité ou de coupures d’électricité aléatoires.
Encore de nos jours, dans la seconde décennie du vingt-et-unième siècle, au moins 300 millions de personnes en Inde n’ont pas accès à l’électricité. Pour des centaines de millions d’autres, l’approvisionnement n’est qu’intermittent.
Avec une capacité de production de 1.119.673 MW en 2009, les États-Unis ont une capacité de production électrique six fois plus grande que celle de l’Inde bien que leur population ne soit environ qu’un quart de celle de l’Inde.
En 2009, selon la Banque mondiale, la consommation d’électricité annuelle par habitant en Inde était d’à peine 571 kWh, contre 15.471 kWh au Canada et 12.914 kWh aux États-Unis. En Chine, la consommation par habitant était de 2.631 kWh, plus de quatre fois celle de l’Inde.
Quels que soient les événements qui ont déclenché la panne de cette semaine, ils reflètent le décalage chronique qui existe entre l’offre et la demande d’électricité en Inde. Selon une estimation, la demande électrique a dépassé l’offre d’un imposant 10,2 pour cent en mars 2012.
Ce problème est « géré » au moyen de fréquentes coupures de courant et même de pannes et auxquelles les entreprises et les nantis tentent de remédier en installant des générateurs de secours.
La crise a été de plus aggravée par le fait que le réseau électrique de l’Inde est un assemblage hétéroclite de plus petits réseaux. Il n’a pas été conçu comme un réseau intégré, mais a été concocté en rattachant les réseaux qui se trouvaient dans chaque État au réseau central de transmission. Vu que de nombreux réseaux se trouvent être sous l’autorité de conseils d’État distincts, un contrôle coordonné et complet est impossible.
Les autorités n’ont fourni aucune explication sur les pannes de lundi et de mardi, outre le fait de reprocher à certains États – notamment l’Uttar Pradesh, le Punjab et l’Haryana – d’avoir dépassé leurs capacités autorisées d’approvisionnement sur leur réseau.
De telles explications révèlent avant tout le désarroi des responsables. Même s’il était vrai que certains fournisseurs d’État ont pris plus d’électricité qu’autorisé, ceci en soi n’aurait pas dû causer des défaillances en cascade lors desquelles trois réseaux régionaux ont été affaiblis au point de cesser complètement de fonctionner.
Normalement toutes les parties d’un réseau électrique devraient être protégées par un système intégralement conçu de relais et de disjoncteurs qui sont programmés pour court-circuiter et réduire l’ampleur d’une coupure de courant lorsque les lignes de transport d’énergie et leurs transformateurs sont surchargés ou que la fréquence du courant diminue.
Selon un article paru dans le Hindu, la protection du système est peut-être inadéquate parce que de nombreux États n’ont pas fait installer de relais de contrôle de sous-fréquence qui auraient pu isoler la coupure de courant.
Ceci pourrait partiellement expliquer pourquoi le mécanisme de protection n’a pas isolé les portions de réseau surchargées, ce qui a résulté en une cascade de pannes sur un vaste territoire. Il est aussi probable, compte tenu de l’état général de l’infrastructure indienne, que quelles que soient les protections qui ont existé, elles ont été mal entretenues par manque d’argent.
Les pannes de lundi et de mardi sont emblématiques du caractère anarchique et parasitaire du capitalisme indien. Soixante-cinq ans après que l’Inde a réussi à s’assurer « l’indépendance » de la Grande-Bretagne, la plus grande partie de la population souffre de la faim et vit dans la misère. L’infrastructure de base – que ce soit pour les soins de santé, l’éducation, l’eau ou l’électricité – est totalement insuffisante.
Même dans la capitale New Delhi, les quartiers de la classe moyenne doivent s’approvisionner à des sources privées et parer régulièrement aux coupures de courant.
En dépit des affirmations emphatiques sur le succès de l’Inde comme puissance mondiale promue par l’élite indienne et ses promoteurs à l’Ouest – qui célèbrent ce développement comme une source lucrative de profit pour le capital mondial – toutes proportions gardées, l’Inde demeure un pays désespérément pauvre.
Les coupures de courant constituent un coup sérieux porté à la bourgeoisie indienne, en particulier compte tenu de la crise économique qui est en train de gagner le pays. Elles ne viendront que gonfler les plaintes des investisseurs étrangers de la déplorable infrastructure de l’Inde alors que la bourgeoisie indienne cherche désespérément à attirer du capital étranger pour éviter un effondrement économique.
L’Inde est en train de subir le contrecoup de la crise capitaliste mondiale, avec une baisse des exportations, une inflation à deux chiffres des prix du détail et la chute de la roupie à son niveau le plus bas. Dernièrement, le directeur de la banque centrale de l’Inde a discuté de la possibilité que l’Inde pourrait avoir à faire face à une crise de la balance des paiements comparable à celle de 1991.
Il est indéniable que le patronat indien et international utilisera les pannes d’électricité de cette semaine pour intensifier les exigences en faveur de réformes de libre marché, y compris la privatisation de la production et de la distribution de l’électricité. Lundi soir déjà, le Wall Street Journal a critiqué le fait que les sociétés d’électricité n’avaient pas facturé aux agriculteurs et aux autres le « prix du marché » pour l’électricité et affirmé que la réglementation environnementale de l’Inde constituait un frein à l’accroissement de la production de charbon.
Loin de régler la crise énergétique de l’Inde, de telles solutions privées en quête de profit entraîneront des augmentations massives de prix et d’autres pannes d’électricité.
(Article original paru le 1er août 2012)