Cette semaine, le général syrien, Manaf Tlass, a été proposé comme chef du gouvernement transitoire d’unité nationale devant être mis en place au cas où les États-Unis et leurs alliés arriveraient à renverser le régime du président Bachar al-Assad.
Tlass n’a fait défection que le 6 juillet. Avant cela, il était général dans la 104e brigade de la Garde républicaine. Fils d’un ancien ministre de la Défense, il a été pendant des années le bras droit d’Assad en contribuant à renforcer les liens avec le monde des affaires sunnites en Syrie.
En coulisse, il est parrainé par Washington. Le Wall Street Journal a écrit, « Selon des responsables américains et du Moyen-Orient, le gouvernement Obama et les responsables de certains pays arabes et occidentaux sont en train de discuter des moyens d’installer au centre d’une politique de transition de l’État arabe le plus haut gradé à avoir fait défection de l’armée de la Syrie. »
Tlass a lu à la chaîne de télévision Al-Arabiya basée en Arabie saoudienne une déclaration préparée à l’avance appelant à l’unité en soulignant qu’il s’exprimait comme « l’un des fils de l’armée arabe syrienne » qui pourrait prendre contact avec « des personnes honorables de l’armée » pour devenir maintenant « l’extension de l’Armée syrienne libre [d’opposition]. »
Il a fait un pèlerinage à La Mecque dans le but de renforce sa crédibilité islamique. Son voyage a été organisé par le nouveau chef du renseignement saoudien, le prince Bandar ben Sultan.
Que Tlass réussisse ou non à s’emparer du pouvoir, le soutien qui lui est accordé mine sérieusement toute tentative de présenter le renversement anticipé d’Assad comme l’aube d’une ère démocratique nouvelle. Les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et les autres puissances impérialistes veulent éliminer Assad parce qu’il est considéré être trop dépendant de l’Iran. Leur objectif est d’imposer un régime tout aussi militariste et autoritaire, mais qui est sous leur contrôle.
Le Conseil national syrien (CNS) est divisé sur la question de cautionner ou non Tlass. La semaine passée, le dirigeant du CNS, Abdel Basset Sayda, a révélé son plan pour un régime post-Assad. Le CNS dirigerait un gouvernement intérimaire avec l’assistance de l’armée pour « garantir la sécurité et l’unité du pays une fois le régime renversé ».
Le caractère de classe de cette proposition est en grande partie identique aux projets de mettre Tlass au pouvoir. Les partis islamistes et pro-impérialistes représentant diverses factions bourgeoises opéreraient comme un front pour le régime militaire qui se maintiendrait au pouvoir par une répression brutale des tensions ethniques et sectaires exacerbées par l’intervention américaine.
Et si Tlass se révélait être un personnage trop controversé pour prendre la tête d’un tel régime, il y a d’autres candidats. Le commentateur syrien, Hassan Hassan, a remarqué dans le Guardian que l’importance de Nawaf al-Fares, l’ancien envoyé syrien en Irak, tire son origine des efforts de recourir à des liens tribaux pour établir des sphères d’influence. Son clan oriental fait partiellement partie de la confédération tribale dominante Egaidat qui compte au moins 1,5 million de membres sur 40 pour cent du territoire syrien et « des liens d’affinité avec l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar ».
La proposition de Tlass n’est que la dernière initiative en date des principales puissances et de leurs alliés régionaux, les États du Golfe et la Turquie, qui supervisent le CNS et les autres forces d’« opposition ».
Le magazine Foreign Policy a rapporté que pendant au moins six mois, 40 groupes d’« opposition » syriens s’étaient rencontrés en Allemagne sous l’égide de l’Institut américain pour la Paix (US Institute for Peace, USIP) pour planifier un gouvernement syrien post-Assad. Le chef du projet est l’universitaire Steven Heydemann de l’université Georgetown, mais l’USIP est financé par le département d’État. « Il s’agit d’une situation où un rôle par trop visible des États-Unis aurait été profondément contre-productif », a dit Heydemann.
Dans un article paru en février dans le Foreign Policy, il a exhorté que « le groupe des Amis [de la Syrie] mette rapidement en place un organe unique et centralisé supervisant l’entraînement et l’équipement de l’opposition armée. Ceci impliquera inévitablement un rôle significatif pour la Turquie qui héberge actuellement l’ASL dans des régions situées le long de la frontière syrienne. »
Cette proposition a été totalement appliquée. Reuters a révélé vendredi que la Turquie a établi une base secrète, en collaborant avec l’Arabie saoudite et le Qatar pour diriger, armer et former l’opposition. Son personnel comprend 20 anciens généraux syriens.
La proposition d’un homme fort militaire constitue en partie une tentative de réprimer les forces mêmes que les principales puissances ont mobilisées contre Assad – les Islamistes, dont ne font pas seulement partie les Frères musulmans, mais aussi Al-Qaïda et d’autres groupes salafistes armés et financés par les États du Golfe.
Les médias nommément libéraux discutent actuellement ouvertement de la nature sectaire du conflit qu’ils ont soutenu depuis le début et du danger d’une effusion de sang après la chute d’Assad. En faisant allusion à Tlass, Martin Chulov du Guardian a conclu qu’étant donné la « balkanisation potentielle de la Syrie, qui serait peut-être liée à une guerre directe… Un des moyens d’éviter le gouffre est l’onction d’un homme fort pour prendre la relève. »
Mais les médias libéraux ne sont pas les seuls à soutenir la mise en place d’un régime militaire par le biais d’une guerre par procuration menée par les puissances occidentales. Cette semaine, le Socialist Workers Party (SWP) de Grande-Bretagne a prévenu que « plus les combats duraient longtemps, plus le risque sera grand que les puissances étrangères interviendront pour détourner la révolution ».
Cette possibilité a toujours été ridiculisée par le SWP pseudo-gauche et même aujourd’hui il n’explique pas qu’un tel « détournement » est rendu possible précisément en raison des forces de classe qui dirigent l’opposition contre Assad et l’absence d’une mobilisation indépendante de la classe ouvrière.
Le dirigeant du SWP, Alex Callinicos, va plus loin. Tout en proclamant cyniquement : « Nous pourrons regretter l’absence d’une action indépendante de la classe ouvrière », il soutient que, « L’idée que la Syrie est en processus de “recolonisation” implique qu’il s’agit d’une priorité occidentale de longue date de chasser le régime Assad. Mais il n’y a pas de preuve de cela… Ceux faisant partie de la gauche occidentale qui permettent à un “anti-impérialisme” instinctif et irréfléchi de les dresser contre la révolution syrienne ne font qu’avouer leur propre faillite. »
Callinicos et ses pairs au sein des tendances jadis de gauche sont bien plus que des faillis politiques. La « révolution » qu’ils soutiennent a un caractère droitier pro-impérialiste – et ils le savent.
La dénonciation de l’opposition « instinctive » à l’impérialisme émane d’un homme qui a des attaches personnelles intimes à l’élite dirigeante britannique et aux forces bourgeoises de droite au Moyen-Orient tels les Frères musulmans. Il se trouve à la tête d’un parti qui est constitué de membres petits-bourgeois privilégiés dont la perspective sociale et politique est fondamentalement la même que celle des couches pour lesquelles le Guardian écrit. Bref, elle n’est autre que la voix authentique de la contre-révolution.
(Article original paru le 28 juillet 2012)