Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Montréal et de la ville de Québec vendredi pour soutenir la grève étudiante, qui dure depuis quatre mois, contre l'augmentation de 82 pour cent des frais de scolarité universitaires et pour s'opposer au gouvernement droitier libéral de Jean Charest .
Selon le quotidien Le Soleil de la ville de Québec, la capitale du Québec a assisté à la manifestation la plus importante depuis le début de la grève. Selon les organisateurs de la manifestation de Montréal, il y avait autour de 100 000 personnes.
Cette participation importante témoigne de l'échec du gouvernement à briser la grève malgré la campagne sans précédent de violence policière et l'adoption de la loi 78, une législation qui criminalise la grève des étudiants et place des restrictions radicales sur le droit de manifester sur quelque question que ce soit au Québec.
Le fait de savoir que la ténacité et la combativité de la grève et le raz-de-marée de l'opposition à la loi 78 ont ébranlé le gouvernement et l'establishment du Québec a contribué à créer un climat de défiance festive.
La taille et la composition des manifestations soulignent aussi que la grève elle-même fait maintenant partie d'un mouvement social plus vaste d'opposition au gouvernement libéral pro-patronal.
Un grand nombre de travailleurs et de retraités ont rejoint la manifestation de Montréal, bien qu'il n'y avait qu'une poignée de délégations syndicales officielles et que celles-ci étaient assez petites.
Les syndicats déclarent soutenir les étudiants et ont critiqué la loi 78. Mais ils ont systématiquement travaillé à isoler la grève. Dès que la loi 78 a été promulguée, les syndicats ont déclaré qu'ils la respecteraient, y compris les dispositions qui les contraignent juridiquement à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir que les enseignants et les autres syndiqués aident le gouvernement à briser la grève.
Les syndicats et les deux associations d'étudiants les plus directement sous leur influence et leur parrainage, la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) cherchent ouvertement à canaliser la grève des étudiants derrière l'élection d'un gouvernement du PQ (Parti québécois). Parti de gouvernement alternatif de la bourgeoisie du Québec, le PQ a imposé les coupes sociales les plus importantes de l'histoire du Québec lorsqu'il était au pouvoir.
Prenant la parole vendredi, la présidente de la FEUQ Martine Desjardins a déclaré, « les jeunes vont changer le visage du Québec dans les prochaines années et vont être appelés à se mobiliser massivement dans le cadre des prochaines élections. »
Ces dernières semaines, les porte-paroles de la CLASSE (Coalition large de l'ASSE), association étudiante qui a initié le mouvement de grève en février dernier, ont parlé de la nécessité d'une « grève sociale » où les syndicats joueraient un rôle central dans un mouvement d'opposition plus large contre d'autres éléments du programme d'austérité du gouvernement Charest.
Mais les syndicats ont aussitôt rejeté cette idée. Le président de la Confédération des syndicats nationaux, Louis Roy, a publiquement dénigré l'idée d'une « grève sociale » et la plus grande fédération travailliste de la province, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a proclamé son principal slogan « après la rue, les urnes ».
L'opposition véhémente des syndicats à des actions même limitées sur le lieu de travail contre le gouvernement Charest a été confirmée par leur boycottage de fait de la manifestation de Montréal de vendredi qui avait été organisée principalement par la CLASSE.
La CLASSE pour sa part n'a pas cherché à utiliser la manifestation et la présence de dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs, dont beaucoup cherchent activement un moyen d'élargir la lutte, pour lancer son appel à une « grève sociale ».
Prenant la parole durant le rassemblement qui a précédé la manifestation, Yvonne Saulnier de « Profs contre la hausse » a critiqué le principe de faire payer les usagers pour les services publics et le démantèlement de l'enseignement public. « Nous refusons d'accepter, » a dit Saulnier, « que le modèle des affaires soit le seul modèle acceptable pour l’éducation et la société. L’université n’est pas une entreprise, et plus nous luttons, plus nous empêcherons qu’elle ne le devienne. »
l'Université de Montréal et membre de
la CLASSE
Arnaud Theurillat-Cloutier, étudiant de l'Université de Montréal et membre de la CLASSE a dit qu'au moment de l'énorme manifestation du 22 mars l'idée d'un « Printemps érable » était un « souhait ». « Ensuite il y a eu la loi 78 et le mouvement des casseroles, et c’est devenu réalité pour des masses de gens répondant à notre appel de solidarité. Notre mouvement n’a jamais eu aussi peu d’appui dans les sondages, mais il n’a jamais été aussi fort dans la rue. »
Chaque fois que Theurillat-Cloutier condamnait le patronat, la foule applaudissait et acclamait. Il a accusé l'élite de chercher à « créer la richesse à n’importe quel prix » et de « gérer l’État comme on gère un Wal-Mart ».
En réponse aux critiques des médias accusant les étudiants d'être « égoïstes » et d'organiser une lutte « corporatiste » (c’est-à-dire uniquement pour défendre leurs intérêts), Theurillat-Cloutier a fait remarquer que la grève avait déjà coûté à la plupart des étudiants plus que ce qu'ils devraient payer en plus si l'augmentation de 82 pour cent des frais de scolarité universitaires était appliquée. « Ceux qui ont toujours agi pour leurs propres intérêts, et uniquement pour leurs propres intérêts, c’est le patronat. Ce sont les plus grands corporatistes du Québec. »
« Ceci, » a-t-il poursuivi, « n’est pas une grève pour les intérêts des étudiants. C’est pour la redistribution de la richesse et maintenant pour revitaliser la démocratie. »
Ni Saulnier ni Theurillat-Cloutier n'ont fait référence au PQ favorable au patronat, ni à la campagne des syndicats pour détourner la grève des étudiants et la canaliser derrière la campagne pour l'élection d'un gouvernement péquiste. Ils n'ont pas non plus attiré l'attention sur les mesures d'austérité que le gouvernement conservateur fédéral est en train d'imposer, ni celles qui sont imposées par les gouvernements capitalistes de par le monde, sans parler d'un appel à une lutte unifiée contre eux.
Les sympathisants du Parti de l'égalité socialiste ont distribué plus de 2 000 exemplaires d'une déclaration mettant en avant un programme socialiste. Cette déclaration dit que si les étudiants veulent gagner leur lutte pour faire de l'éducation un droit social, la grève doit devenir le catalyseur d'une contre-offensive de la classe ouvrière de tout le Canada. Cette contre-offensive doit avoir pour objectif de renverser les gouvernements conservateurs de Charest et Harper et de développer un mouvement politique de la classe ouvrière, qui soit indépendant, pour briser le pouvoir du patronat sur la vie socio-économique par la mise en place de gouvernements ouvriers voués à la défense de politiques socialistes.
On peut lire la déclaration dans sa totalité: « La voie à suivre pour les étudiants ».
(Article original publié le 23 juin)