Les difficultés sociales qui pèsent sur la population grecque déjà frappée par la pauvreté sont sans équivalent dans l'Europe d'après-guerre. Chaque jour on peut lire des comptes rendus déchirants des effroyables conséquences des mesures d'austérité de la troïka, constituée de l'Union européenne, du Fonds monétaire International et de la Banque centrale européenne.
Nulle part les coupes n’ont été aussi brutales que dans le secteur de la santé. Selon les termes du premier mémorandum négocié avec la troïka, les dépenses de santé ont fait l’objet d’une réduction brutale de plus de 10 %. En application des termes du second, une réduction supplémentaire de 1 milliard € a été effectuée.
Beaucoup de ceux qui payaient d’habitude entre 10 et 25 % pour les médicaments de prescription, y compris pour les maladies cardiaques et le cancer, doivent maintenant payer la totalité. Ils peuvent demander un remboursement aux Fonds d'assurance sociale qui sont membres de l'Organisation nationale pour la prestation des soins de santé (EOPPY), mais la probabilité d’obtenir un paiement en retour est des plus minces. EOPPY, récemment créé, dans le cadre des rationalisations exigées par la troïka est déjà en état de quasi faillite, incapable de rembourser les patients lorsqu'ils présentent les justificatifs de leurs dépenses de médicaments.
En avril, le gouvernement a suspendu les versements à EOPPY, dont les pharmaciens dépendent pour le financement des médicaments de prescription.
L'effet sur le service de santé publique a été catastrophique. Il y a deux semaines six hôpitaux publics ont indiqué qu'ils étaient définitivement en rupture de stock pour les fournitures de gaze, de seringues et d'autres articles de base. Leurs fournisseurs ont allégué qu'ils n'avaient pas été payés depuis plus d'un an et demi.
L’administrateur d’un hôpital a déclaré au Financial Times, “Nous avions l’habitude de fournir les médicaments pour tous les patients recevant un traitement, mais nous sommes tellement restreints maintenant que nous leur demandons d'apporter leurs propres médicaments d'ordonnance.”
À une conférence de presse le 11 juin à Thessalonique, des personnes atteintes de cancer, de sclérose en plaques, d’affections rénales, de thalassémie [anémies d’origine génétique, ndt], de diabète et d’autres maladies chroniques ont témoigné de leur situation désespérée.
Michalis Tsakantonis, un patient au chômage atteint de cancer, également diabétique, avec une faiblesse cardiaque, a dit qu'il n'avait plus les moyens d'acheter les médicaments dont il avait besoin. Selon Athens News, il lui est “impossible d'obtenir une pension parce qu'il lui manque l'équivalent de 99 jours de timbres de cotisation d'assurance. On lui a aussi coupé l’électricité, ce qui fait qu’il ne peut plus faire fonctionner l'appareil de respiration assistée qui lui est nécessaire.”
La Secrétaire générale de la société grecque des patients atteints de sclérose en plaques, Dimitra Kontogiann, a déclaré : “Nos médicaments de base coûtent jusqu'à 1 000 € par mois, sans compter les autres médicaments que nous recevions gratuitement. Maintenant vous devez vous lancer dans un marathon afin d'obtenir une boîte de médicaments et dès que vous la trouvez, vous vous angoissez en vous demandant si vous pourrez obtenir la prochaine boîte.”
Une autre mesure rétrograde adoptée afin d'assurer que la classe ouvrière paye pour la crise de la dette a été l'imposition d'une taxe foncière sur les propriétaires. Environ 80 % des personnes en Grèce possèdent leur maison. La taxe a été imposée par le biais des factures d'électricité avec la menace que si elle n'était pas payée, l'électricité pourrait être coupée. Cette mesure fait suite à une loi votée sous le gouvernement social-démocrate du PASOK.
Les chiffres officiels révèlent que les contribuables et les propriétaires doivent payer, pour cette année seulement, la deuxième tranche de la taxe foncière pour 2011, la taxe pour 2012 et une tranche d'impôt pour 2013. Pour le propriétaire d'un appartement de 100m2 dans une zone de valeur moyenne à Athènes, cela équivaut à un montant total d'environ 2 000 € d'impôts supplémentaires.
Pour beaucoup, la taxe a été a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, et des centaines de milliers de personnes à l'échelle nationale ont refusé de payer. En février, selon le syndicat des travailleurs de l'électricité Genop-Dei, 1,5 millions de factures ont dépassé leur date d'échéance. Parmi celles-ci, 250 000 avaient dépassé le seuil de 80 jours, à partir duquel le gouvernement a légiféré qu’il pouvait faire couper l'approvisionnement en électricité. En conséquence, 50 000 ordres de coupures de l'approvisionnement en électricité pour des ménages ont été émis par la compagnie publique d'électricité DEI.
Du fait que de nombreux employés de DEI ont refusé de couper l'électricité des ménages, 20000 ordres de fermeture ont été transmis à des sous-traitants privés. Comme ni DEI ni le gouvernement n'ont communiqué de chiffres officiels, on ne sait pas combien de personnes ont eu leur électricité effectivement coupée.
En janvier, le ministère des finances, alors dirigé par l'actuel dirigeant du PASOK, Evangelos Venizelos, a feint de s’inquiéter de l'impact de l'impôt. Mais, loin de dispenser qui que ce soit de le payer ou de réduire la taxe, il a placé sur le dos du contribuable la charge de prouver son insolvabilité.
Dès le mois de mars, le gouvernement avait recueilli plus de 2 milliards d’euros grâce à la taxe. Le même mois, en réponse à un certain nombre d'actions en justice de contribuables, la Haute Cour a statué que couper l'électricité pour non paiement était inconstitutionnel. Toutefois, la décision a également enjoint à l'Etat de trouver d'autres formes de sanctions pour défaut de paiement, telles que des amendes.
Lundi 18 juin, des journalistes du World Socialist Web Site ont parlé à un certain nombre de résidents du quartier ouvrier de Peristeri à Athènes à propos des élections de dimanche et de l'impact de la crise sociale sur leur vie quotidienne.
Pour gagner sa vie, Georgos vend du pain qu’il transporte dans une charrette à bras et il nous a dit qu'il avait été auparavant mécanicien pendant 25 ans. Il a ensuite été propriétaire d'un bar pendant huit ans, mais il a fait faillite à la suite de la récession. Georgos dispose maintenant d'un faible revenu, et son épouse travaille comme femme de ménage. On lui a coupé l'électricité comme à beaucoup de familles.
Georgos installe régulièrement son étal devant le Bureau du chômage et dit que le nombre de chômeurs est beaucoup plus élevé que les chiffres officiels, qui sont de plus de 20 % pour les adultes et de 50 % pour les jeunes. “Beaucoup de gens viennent ici et arrivent à obtenir du travail pendant deux mois et ils sortent des statistiques du chômage”, dit-il, “mais deux mois après, ils sont de nouveau ici et au chômage.”
Iaonna était en route pour le bureau local de la DEI, où elle tentait d'éviter une coupure d'électricité en raison de factures impayées. Elle nous a dit: “J'ai longtemps travaillé dans une petite entreprise privée et je suis maintenant au chômage, tout comme mon fils, qui a obtenu un diplôme de l'Université. Mon mari travaille comme chauffeur de taxi et doit financer toute la famille avec ses petits revenus.”
Au bureau de la DEI, une file d'attente de personnes avec des factures d'électricité impayées s’était formée dans l'entrée. Une indication de la colère sociale montante était la présence d'un agent de sécurité privée devant l'entrée de l'immeuble.
Yannis, un retraité, nous a dit : “Je suis venu ici aujourd'hui et ils m'ont dit que je devais payer cette facture de 600 € le 24 juin. Je leur ai dit que je toucherai ma pension le 1er juillet, et que je ne peux pas payer quoi que ce soit pour l'instant. Même avec ma pension, je ne pourrai payer que 50 €. Ils m'ont répondu, “Non, vous devrez payer maintenant”. Je viens juste de sortir de chez eux et je leur ai dit que je ne payerai pas. Donc s'ils viennent couper mon électricité je vais essayer de les en empêcher.”
(Article original publié le 20 juin 2012)