Le Parti communiste vietnamien accueille l'élite capitaliste à bras ouverts

Le 11e congrès du Parti communiste vietnamien (PCV) au pouvoir, qui s'est tenu du 10 au 19 janvier à Hanoi, a décidé d'autoriser officiellement les propriétaires d'entreprises privées à adhérer au PCV. Ce changement vise à renforcer l'image du Vietnam comme un pays propice aux affaires, dans la lignée de la réforme similaire adoptée par le Parti communiste chinois en 2002.

 

Près de 1377 délégués sélectionnés de façon bureaucratique, représentant les intérêts de la hiérarchie étatique et de l'élite du monde des affaires qui s'impose de plus en plus, étaient présents au congrès. Ils ont voté pour un élargissement de la politique adoptée au Congrès de 2006 visant à permettre aux membres du PCV de diriger des entreprises privées. En permettant à présent aux entrepreneurs privés de rejoindre le PCV le parti embrasse ouvertement la couche sociale des riches crée par la politique de « réforme du marché » de Hanoï depuis 1986.

 

À l'instar du Parti communiste chinois, la direction du PCV a abandonné ce qui lui restait de ses prétentions socialistes. Nguyen Duc Kien, délégué de la province de Soc Trance, a déclaré aux journalistes que le PCV « n'est pas nécessairement que pour la classe ouvrière. » Il a expliqué : « Nous devrions apprécier un bon entrepreneur qui peut faire de l'argent légalement et créer des emplois pour les gens en même temps. » Un autre délégué de la province de Dong Nai, qui est une zone industrielle près d'Ho Chi Minh Ville, a déclaré : « Cela aidera à augmenter la confiance des investisseurs étrangers parce qu'ils verront quelle importance nous accordons au secteur privé. »

 

Le secteur privé représentait 81,5 pour cent de la production industrielle du Vietnam en 2008, en augmentation constante depuis 1996 où il représentait 50,4 pour cent. L'"equitisation" [terme anglicisant inventé par le pouvoir vietnamien pour décrire une ­semi-privatisation, ndt] a transformé les entreprises publiques en sources de revenus pour leurs actionnaires et leurs dirigeants nommés par le PCV.

 

L'élite vietnamienne du monde des affaires a bien accueilli la nouvelle politique du PCV. Vu Duy Hai, président de la compagnie commerciale Vinacam Joint-Stock Co. Installée à Ho Chi Minh Ville, et membre du PCV, a déclaré à Bloomberg que la nouvelle politique justifierait l'exploitation des travailleurs pour obtenir des profits : « Appeler cela de l'exploitation n'est pas correct, » a-t-il insisté, « Quand ils travaillent pour nous, leur vie s'améliore. »

 

Cette prétendue amélioration de la vie des travailleurs vietnamiens, dont beaucoup ayant des origines dans la paysannerie appauvrie, ne signifie rien de plus que de les tirer de la pauvreté rurale pour les jeter dans une vie urbaine où ils s'épuisent à travailler de longues journées dans des conditions brutales. Sa déclaration selon laquelle les travailleurs « travaillent pour nous » reflète la réalité : les hommes d'affaire sont devenus les vrais maîtres de la mal nommée « République socialiste démocratique du Vietnam. »

 

La place des travailleurs vietnamiens sur l'échelle des salaires asiatiques en dit long sur le véritable statut de la classe ouvrière dans le pays. Le salaire moyen dans l'industrie au Vietnam est de 101 dollars par mois, soit moins de la moitié du salaire moyen chinois (217 dollars) ou thaïlandais (234 dollars), deux autres plateformes majeures du travail à bas prix.

 

L'humeur festive à l'occasion de l'accueil officiel par le PCV de l'élite capitaliste a cependant été sapée par les inquiétudes montantes sur l'avenir du capitalisme vietnamien, qui se dirige vers des crises économiques et sociales.

 

La conséquence des réformes économiques libérales, d'après la résolution du congrès du PCV, a été un « fossé de plus en plus large entre les riches et les pauvres. » La résolution met en garde contre « les facteurs qui risquent de causer une instabilité socio-politique. » Elle admet que « la bureaucratie, la corruption, le gaspillage, le crime, les fléaux sociaux, la dégradation de la morale et du mode de vie n'ont toujours pas été empêchés. »

 

Pour éviter les manifestations avant le congrès, le régime du PCV a lancé une campagne de répression des bloggeurs et des activistes humanitaires, emprisonnant 17 d'entre eux depuis octobre 2009. L'an dernier, Hanoi avait également bloqué les sites des réseaux sociaux tels que Facebook, de crainte qu'ils ne soient utilisés pour « transmettre des informations » qui iraient à l'encontre de l'Etat.

 

Le congrès du PCV a établi un objectif de croissance annuelle de 7 à 7,5 pour cent pour 2011-15, en augmentation par rapport aux 6,78 pour cent de l'année dernière. Cependant, en dépit de son rôle d'économie orientée majoritairement à l'export, le Vietnam a enregistré un déficit commercial de 13,24 milliards de dollars sur la dernière année. Cela a sérieusement entaché la confiance dans la monnaie vietnamienne. Hanoi a déjà dévalué le Dong trois fois depuis novembre 2009 pour réduire l'effet de la crise économique mondiale sur son secteur exportateur.

 

Ce déficit commercial croissant a entraîné un déclin des réserves de monnaies étrangères de 24,2 milliards de dollars en 2008 à 16,8 milliards en 2009. Le déficit budgétaire annuel est monté à 7,4 pour cent du PIB en 2010, enfreignant l'objectif gouvernemental de 6,2 pour cent. La tâche que s'est fixé le PCV de réduire ce déficit à 4,5 pour cent pour 2015 impliquera des destructions supplémentaires des industries d'Etat et des services publics.

 

La dette publique totale du Vietnam a été estimée à 56,7 pour cent du PIB en 2010, en augmentation de 6,78 pour cent en une seule année. Conséquence de cette explosion, les agences de notation mondiales des crédits ont abaissé la note du pays. L'agence Fitch a baissé le Vietnam de BB- à B+ en août 2010. La note de la monnaie vietnamienne pour les prêts de longue durée est actuellement B1 chez Moody's – quatre niveaux en dessous de celui normalement requis pour obtenir des investissements.

 

Le Vietnam est devenu de plus en plus dépendant des investissements étrangers. En 2008, les investisseurs étrangers avaient placé 11,5 milliards de dollars au Vietnam, un record. Mais dans la foulée de la récession mondiale, les investissements directs étrangers se sont effondrés de 70 pour cent au premier trimestre 2009 comparé à celui de 2008.

 

Comme ailleurs dans le monde, les prix en augmentation risquent maintenant de déclencher des luttes des ouvriers et des paysans au Vietnam, et ont également ajouté à la pression des banques centrales pour augmenter les taux d'intérêts, une évolution qui va ralentir la croissance économique. En janvier, l'indice officiel des prix était de 12,17 pour cent plus élevé qu'au même mois de l'année précédente, dépassant le taux d'inflation de 11,75 pour cent enregistré en décembre.

 

En autorisant ouvertement les capitalistes à rejoindre le parti, le PCV a atteint la conclusion logique de la perspective stalinienne d'Ho Chi Minh qui prônait une voie nationale vers le socialisme. En 1986, une petite dizaine d'années après la victoire militaire contre l'impérialisme américain en 1975, le PCV suivit l'exemple des successeurs de Mao en Chine en adoptant une politique de « réformes du marché » pour transformer le pays en une source de travail à bas coût pour les grands groupes mondiaux, et notamment les Américains.

 

Les dirigeants du PCV ont normalisé les relations avec Washington en 1995. Ils se sont rapprochés encore plus des États-Unis ces dernières années, devenant l'allié de Washington dans sa rivalité avec la Chine, en particulier en Mer de Chine du Sud. En août dernier, le Vietnam a participé à des rencontres militaires de haut niveau avec les États-Unis pour la première fois et a invité le porte-avions nucléaire géant USS Georges Washington dans ses eaux.

 

À peine plus de 35 as après la guerre du Vietnam, le pays se trouve à nouveau dans le rôle d'un pion dans une lutte entre grandes puissances. La résolution du congrès du PCV annonce des troubles dans les relations entre les « nations puissantes » pour la période à venir. « La compétition économico-commerciale et le combat pour les ressources naturelles, les énergies, les marchés, les technologies, les capitaux, et la main d'œuvre qualifiée entre les pays deviendrons encore plus sévère. » prévient-il. En particulier, les rivalités entre les grandes puissances en Asie du Sud-Est contiennent « de nombreux facteurs pouvant entraîner des instabilités. Des conflits territoriaux, maritimes et insulaires plus nombreuses auront lieu. De nouvelles forces et des intérêts enchevêtrés prendront forme. »

 

Le congrès a réélu le Premier ministre Nguyen Tan Dung, en dépit de sa mauvaise gestion d'une grande entreprise publique de constructions navales, qui a failli faire faillite avec des dettes équivalentes à 5 pour cent du PIB vietnamien. L'approbation donnée par Dung à l'ouverture d'une grande mine de bauxite par les Chinois l'an dernier a également été critiquée par l'Assemblée nationale pour avoir « vendu » le pays. Pourtant, il va probablement travailler en bonne intelligence avec le nouveau secrétaire général, Nguyen Phu Trong, 67 ans, qui est considéré comme prochinois.

 

Le secrétaire précédent, Truong Tan Sang, 61 ans, qui a remplacé le vieillissant Nguyen Minh Triet au poste de président, a quant à lui développé des relations étroites avec le rival de la Chine, le Japon. De plus, le ministre de la défense Phung Quang Thant est resté en place. Il avait soutenu activement un achat d'armes russes, comprenant notamment six sous-marins d'attaque de classe Kilo pour protéger les îles contrôlées par le Vietnam en Mer de Chine du Sud contre la Chine.

 

Afin de préparer le régime à la suppression de l'opposition ouvrière, la représentation de la police dans le bureau politique suprême est passée de 1 à 2 membres, sur 14. L'ouverture du parti à l'élite capitaliste, loin d'annoncer un nouvel âge de stabilité pour la strate dirigeante vietnamienne, ne fera qu'approfondir les tensions sociales et politiques du pays.

 

(Article original paru le 10 février 2011)

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