À l'université de Manchester a eu lieu
mercredi 12 novembre 2008 un débat exceptionnel sur la relation entre
l'écrivain et la révolution. Le célèbre auteur Trevor Griffiths y discutait
avec David Walsh, le rédacteur artistique du World Socialist Web Site (WSWS).
Griffiths a écrit autant pour le théâtre et la
télévision que pour le cinéma depuis la fin des années 60. Son œuvre a été présentée
dans le monde entier, et il a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix du
WGA [Writers Guild of America – Syndicat Américain des Auteurs, ndt] du
meilleur scénario et une nomination aux Oscars pour son film Reds écrit
en collaboration avec Warren Beatty.
Se penchant sur la carrière de Griffiths, qui
couvre presque un demi-siècle, les deux interlocuteurs ont exploré la relation
complexe entre art et société. En particulier, la diversité des sujets abordés
dans son œuvre par Griffiths a permis d'étudier l'impact de faits historiques
clés à la fois sur l'auteur et sur la révolution sociale.
David Walsh, qui réalise en Grande-Bretagne
une série d'entretiens sur le thème de « l'art et le socialisme », a
présenté Griffiths. Il a souligné que la discussion reflétait la convergence de
nombreux processus sociaux et culturels. La plongée du capitalisme mondial dans
une crise économique historique, a expliqué Walsh, a porté un coup dévastateur
à l'hégémonie dont jouissaient les idéologues du libre marché, et à son effet
suffocant sur la création artistique.
Cette évolution a mis fortement en relief le
sens du travail de Griffiths. Walsh a décrit le dramaturge comme « l'un
des écrivains contemporains les plus perspicaces sur le plan historique ».
Cela était vrai à plus d'un titre, a-t-il
poursuivi. Griffiths « a traité un nombre remarquable d'événements
historiques cruciaux : la Révolution américaine, la Révolution française,
la Russie prérévolutionnaire, la formation du Parti bolchevique, la montée du
stalinisme, la vague de grèves révolutionnaires en Italie en 1920, la Guerre
civile espagnole, la grève des travailleurs des transports en Grande-Bretagne
en 1911, le Parti travailliste sous divers angles, le Parti conservateur,
l'expérience du thatchérisme, le néo-nazisme, la Guerre du Golfe, et notre
propre parti en Grande-Bretagne à un stade plus précoce de développement »,
a énuméré Walsh.
Il a également traité d'autres sujets, « d'ordre
plus intime, la famille, le couple, les conséquences de la maladie, la mort des
proches », se confrontant aux émotions et comportements humains, a
expliqué Walsh. Il a souligné le point commun entre toutes ses œuvres :
elles sont toutes « sous-tendues par une approche historique ».
Griffiths s'est longuement étendu sur la vie
de Thomas Paine, le héros de son téléfilm « These are the Times »
[d'après les premiers mots d'un texte de Paine de 1776 : « These are the
Times that try men's souls» – « Nous vivons une époque qui éprouve l’âme
de l’homme », ndt], qui suit Paine depuis sa vie obscure en Angleterre à
la Guerre d'indépendance américaine et à la Révolution française. Il a expliqué
ce qui l'avait attiré chez Paine en tant que figure historique, sa relation
avec les Lumières, et a décrit les difficultés qu'il a eues à réaliser ce
projet et plusieurs autres depuis les années 80.
Griffiths a montré à un public majoritairement
jeune comment le sort de son travail était lié au déclin de la ferveur
révolutionnaire des visions socialistes associées aux années 60 et jusqu'au
début des années 70.
Parlant de sa pièce « The Party » [« Le
Parti »], compte-rendu fictif de réunions entre plusieurs artistes et
différents personnages de gauche, il a précisé que cela avait été monté pour la
première fois en 1973 au Théâtre national de Londres, dirigé par Kenneth Tynan,
avec pour vedette Sir Laurence Olivier dans le rôle principal basé sur le
dirigeant trotskyste Gerry Healy.
Il a lu plusieurs citations du programme de la
pièce, qui dépeignent une société dans laquelle « le marxisme était
monnaie courante », où une pièce contenant un monologue de 22 minutes qui
décrivait l’importance d’un parti révolutionnaire pouvait attirer une audience
de 900 personnes durant plusieurs semaines.
« C'est cette société que nous étions en
train de construire », a dit Griffiths, « et c'est cette société que
les conservateurs et les travaillistes devaient détruire. »
Il a expliqué comment les années 70 avaient vu
se succéder des tentatives répétées de détruire les traditions radicales et
socialistes associées à cette période – un « Kulturkampf » qu'ont
mené d'abord les conservateurs sous la direction de Margaret Thatcher, puis, et
de manière plus profonde et prolongée, le gouvernement travailliste de Tony
Blair.
Deux temps forts ont marqué l'entretien :
la lecture par Griffiths du discours de John Tagg (Healy) tiré de « The
Party », et la clôture de la réunion par les dernières scènes de « These
are the times ». Griffiths a également montré un extrait de son
dernier téléfilm, « Food for Ravens », qui parle des derniers
jours de Aneurin Bevan, le chef travailliste a qui l’on attribue la création de
la Sécurité sociale nationale britannique. Dans ce film, Bevan appelle de
manière émouvante à ne pas permettre que les fruits de la culture soient la
propriété exclusive des « aristos », et de les reconnaître comme
droits naturels de l'humanité.
Griffiths a expliqué que la période à venir
pouvait être l'avènement d'un nouvel éveil artistique et politique. Pour cela,
certaines vérités fondamentales devaient être comprises, a-t-il dit : « A
savoir, qui crée la richesse, et qui la dépense. »
Walsh a souligné le fait qu'il y avait une
raison sociale à l'abandon par de nombreux contemporains de Griffiths de leurs
anciens idéaux de gauche. Il a montré que la capacité de Griffiths à résister à
ces pressions était ancrée dans sa propre démarche historique, et dans le sens
des perspectives historiques qu'elle lui procurait.
Cela souligne la nécessité pour les écrivains
et les artistes actuels de se familiariser avec l'histoire, et en particulier
avec les multiples aspects de la lutte, pour développer une conscience
socialiste parmi de larges couches de la société. Le World Socialist Web Site
met particulièrement l'accent, a précisé Walsh, sur la nécessité d'élever le
niveau culturel de la classe ouvrière, de développer la sensibilité, le sens de
la solidarité et l'empathie vis-à-vis des autres, comme condition préalable à
un tel développement.
De nombreuses questions ont été posées par les
membres de l'assistance sur ces sujets, et les contributions des deux
intervenants ont été chaudement applaudies.