Ci-dessous la première partie d'une
conférence donnée à l'école d'été du Parti de l'égalité socialiste à Ann Arbor
dans le Michigan, en août 2007.
Le développement et la chute de la Seconde
révolution chinoise de 1925-1927 a été l'un des évènements politiques les plus
importants du vingtième siècle. Cette révolution avortée se termina par la mort
de dizaines de milliers d'ouvriers communistes et la destruction totale du Parti
communiste chinois (CCP) en tant que mouvement de masse organisé de la classe
ouvrière. Il n'est pas possible de comprendre les problèmes fondamentaux de
l'histoire de la Chine moderne, en particulier la nature du régime maoïste qui
s'est mis en place en 1949, sans comprendre les leçons de 1925-27.
En 1930, Trotsky lança l'appel suivant :
« Une étude de la Révolution chinoise est une question très importante et
urgente pour tout communiste et tout ouvrier avancé. Il n'est pas possible de
parler sérieusement dans aucun pays de la lutte du prolétariat pour le pouvoir
sans une étude par l'avant-garde prolétarienne des événements fondamentaux, des
forces motrices, des méthodes stratégiques de la Révolution chinoise. Il n'est
pas possible de comprendre ce qu'est le jour sans savoir ce qu'est la
nuit ; il n'est pas possible de comprendre ce qu'est l'été sans avoir
expérimenté l'hiver. De la même façon, il n'est pas possible de comprendre la
signification de l'insurrection d'Octobre sans une étude des méthodes de la
catastrophe chinoise. » (traduction française reprise du site www.marxists.org : Oeuvre
de Léon Trotsky, août 1930).
La perspective proposée pour la Révolution
chinoise était au cœur de la lutte que menait Trotsky contre la bureaucratie
stalinienne. Au cours de cette lutte, sa théorie de la Révolution permanente
subit un test majeur — pour la deuxième fois. Avec le soutien de l’appareil
bureaucratique soviétique, Staline l’emporta, ce qui conduisit à la trahison de
l’une des opportunités révolutionnaires les plus prometteuses depuis 1917. La
défaite en Chine constitua un coup décisif porté à l'opposition de gauche. A la
fin de 1927, Trotsky fut exclu du Parti communiste de l’Union Soviétique (PCUS)
puis expulsé d’URSS.
Cette conférence examinera et mettra en
évidence le rôle déterminant de la direction révolutionnaire, en opposition
directe avec le point de vue de l’école de falsification post soviétique. Les
méthodes et les arguments avancés par deux membres de cette tendance, les
historiens britanniques Ian Thatcher et Geoffrey Swain ont déjà été dévoilés et
réfutés de façon approfondie par David North dans son ouvrage récent, Leon
Trotsky & the Post-Soviet School of Historical Falsification (Mehring
Books, Detroit, 2007). Ici, ce sont leurs positions sur la Révolution chinoise
qui méritent notre attention.
Selon Thatcher, pour ce qui est des
évènements de 1925-27, Staline et Trotsky partageaient les mêmes vues sur la
« nécessité d’une Chine socialiste ». Ceci sert à confondre deux
perspectives diamétralement opposées. Trotsky représentait la tendance
internationaliste qui reconnaissait que la première révolution socialiste dans
la Russie arriérée ne fut pas principalement rendue possible du fait des
conditions nationales, mais du fait des contradictions du capitalisme mondial.
La Révolution d’Octobre fut seulement le début de la révolution socialiste
mondiale intervenant tant dans les pays capitalistes avancés que dans les
colonies opprimées. Trotsky insistait sur le fait que le prolétariat chinois,
comme la classe ouvrière russe, était en mesure de prendre le pouvoir parce que
la bourgeoisie nationale n’était plus capable, à l’époque de l’impérialisme, de
jouer un rôle historiquement progressiste.
De façon opposée, Staline ignorait le fait
que les forces productives de l’époque impérialiste avaient débordé le cadre
obsolète de l’Etat nation. Il concevait l’oppression impérialiste seulement
comme un obstacle extérieur au développement du capitalisme
« national » chinois, lequel aurait eu la capacité de suivre le
chemin des révolutions classiques bourgeoises d’Europe de l’Ouest et de
l’Amérique du Nord. De façon à permettre à la bourgeoisie chinoise d’accomplir
ses tâches nationales démocratiques, Staline insistait sur le fait que la
classe ouvrière devait d’abord se subordonner au régime bourgeois du
Kuo-Min-Tang (KMT). De ce fait, la perspective de la révolution prolétarienne
se retrouvait repoussée pour des années, sinon pour des décennies.
De ces deux conceptions opposées dérivaient
des politiques très différentes. Trotsky exigeait l’indépendance politique de
la classe ouvrière ; Staline forçait les communistes chinois à travailler
comme « coolies » du Kuo-Min-Tang. Trotsky appelait à l’instauration
de soviets en tant qu’organes de pouvoir des ouvriers et des paysans, Staline
regardait le KMT comme une sorte de régime déjà démocratique et
révolutionnaire. Trotsky avertissait les ouvriers chinois du danger imminent
que représentaient à la fois l’aile droite et l’aile gauche du KMT. Staline
capitula d’abord devant l’ensemble du KMT puis, après que Tchang Kaï-chek ait
massacré les ouvriers de Shanghai en avril 1927, il ordonna aux communistes de
se tourner vers la direction « de gauche » du KMT dirigée par Wang
Jingwei au Wuhan — pour finir par les voir éliminés dans un bain de sang à
peine trois mois plus tard.
Après que la révolution soit entrée dans une
période de déclin dans la deuxième moitié de 1927, Trotsky en appela à une
retraite systématique de façon à protéger le parti ; Staline ordonna alors
de façon criminelle au CCP de mener des coups de force, ce qui ne fit que
conduire, dans les principales localités, à la destruction totale des
organisations de travailleurs communistes déjà en voie de désintégration et
entraina la mort de milliers de cadres.
En dépit du caractère fondamental de ces
différences, Thatcher soutint qu’elles étaient sans aucune importance en ce qui
concernait la fin de la seconde Révolution chinoise. Il prétendit que, même si
le Parti communiste avait abandonné le Kuo-Min-Tang en 1926, comme le demandait
Trotsky, « Il n’y a pas d’éléments de preuve qui puissent suggérer qu’il
aurait pu obtenir une meilleure réussite en 1927 » (Trotsky, Ian
D. Thatcher, Routledge, 2003, p. 156).
Pour Thatcher, un programme révolutionnaire,
une perspective, une direction et des tactiques ne jouent aucun rôle dans les
évènements décisifs de l’histoire humaine.
Les origines de la Révolution chinoise
Alors que la première révolution socialiste,
la Révolution russe, se produisit en octobre 1917, sa préparation théorique au
sein du mouvement marxiste avait pris des décennies. Mais il n’y avait pas eu
un tel développement prolongé en Chine. Tout comme l’émergence de la classe
ouvrière chinoise avait été produite par l’importation directe de capital
étranger et d’équipement industriel dans un pays arriéré et semi-colonial, le
développement du mouvement marxiste chinois a été une prolongation directe de
la Révolution russe, passant par dessus des siècles de pensée sociale
occidentale et de traditions de la social-démocratie. L’expérience de la
Révolution d’Octobre était très pertinente pour la Chine compte tenu des
caractéristiques similaires dans le développement social et historique des deux
pays. Les deux étaient de façon prédominante des sociétés agraires avec des
tâches démocratiques non résolues et une classe ouvrière peu nombreuse mais en
développement rapide.
La grande tragédie de la Révolution chinoise
a été que l’autorité monumentale de la Révolution russe soit utilisée, sous la
direction de Staline, pour défendre une politique opportuniste fondée sur la
théorie menchevique des « deux étapes ».
Pour une étude plus détaillée des trois conceptions
de la Révolution russe, la théorie des « deux étapes », la formule de
Lénine sur la « dictature démocratique du prolétariat et de la
paysannerie » et la théorie trotskyste de la Révolution permanente, la
lecture de la conférence de David North de 2001, « Pour une
réévaluation de l'héritage de Trotsky et de sa place dans l'histoire du XXe
siècle », est particulièrement importante.
La théorie de la Révolution permanente de
Trotsky, validée dans un sens positif par la Révolution russe fut tragiquement
validée en négatif par les défaites révolutionnaires en Chine.
Le problème principal de la Révolution
chinoise était très similaire à celui qui avait surgi en Russie. La Chine était
confrontée aux tâches urgentes, premièrement de l’unification nationale et de
l’indépendance face aux divisions créées par les seigneurs de la guerre et les
puissances impérialistes et, deuxièmement, de la réforme agraire pour des
centaines de millions de paysans pauvres affamés de terre et souhaitant se
débarrasser des barbaries d’une exploitation semi-féodale. Mais la bourgeoisie
chinoise se révéla encore plus vénale que son homologue russe — dépendante de
l’impérialisme, incapable d’intégrer la nation, liée organiquement aux
seigneurs de la guerre et aux usuriers de la campagne et ainsi incapable de
réaliser la réforme agraire. Par dessus tout, elle était profondément effrayée
par la jeune et combative classe ouvrière chinoise.
Comme en Russie, le développement de
l’industrie chinoise dépendait du capital international. Entre 1902 et 1914,
l’investissement étranger avait doublé. Dans les 15 années suivantes, le
capital étranger doubla à nouveau, totalisant 3.3 milliards de dollars et dominant
les principales industries chinoises, en particulier textiles, ferroviaires et
navales. En 1916, il y avait un million de travailleurs industriels en Chine et
en 1922 il y en avait deux fois plus. Ces ouvriers étaient concentrés dans
quelques centres industriels tels que Shanghai et Wuhan. Des dizaines de
millions de semi-prolétaires — artisans, boutiquiers, employés et citadins
pauvres — partageaient les aspirations sociales de la classe ouvrière.
Bien que numériquement réduit — quelques
millions au sein d’une population de 400 millions — le prolétariat chinois
était propulsé par les contradictions mondiales du capitalisme pour prendre un
rôle dirigeant dans les luttes révolutionnaires du début du vingtième siècle.
L’échec de la première Révolution chinoise en 1911, sous le leadership de Sun
Yat-sen, démontra que la bourgeoisie chinoise était tout à fait incapable
d’accomplir ses propres tâches historiques.
Sun Yat-sen commença à rassembler
des soutiens dans les années 1890 après que la dynastie mandchoue ait rejeté
des appels en faveur de l’établissement d’une monarchie constitutionnelle.
Inspirée par les révolutions bourgeoises classiques en Amérique et de France,
Sun prônait les « Trois principes du peuple » — le renversement du
système impérial, une république démocratique et la nationalisation de la
terre. Toutefois, Sun ne tenta pas de construire un mouvement politique de
masse et se confina largement à des activités conspirationnelles, des petits
coups de forces armées ou des activités terroristes contre des officiels
mandchous.
La soi-disant « révolution » de
1911 se résuma à un léger coup porté à une structure totalement vermoulue.
Financièrement, le gouvernement impérial était au bord de la banqueroute après
des décennies de pillages par les puissances occidentales. Politiquement, la
cour mandchoue était totalement discréditée après que les puissances
impérialistes aient annexé une partie du territoire chinois, soit sous la forme
de colonies telles que Hong Kong ou Taïwan, ou de « concessions »
dans des villes portuaires où les troupes étrangères, la police et le système
légal dominaient. En 1900, la dynastie mandchoue moribonde fut contrainte de
s’appuyer sur des troupes étrangères pour mettre fin à la révolte des Boxers —
un vaste soulèvement anticolonial des paysans et des citadins pauvres.
Quand la dynastie mandchoue finit par
promettre des réformes constitutionnelles, il était déjà trop tard. Des
sections importantes de la bourgeoisie chinoise s’étaient tournées vers Sun
Yat-sen. Le 10 octobre 1911, des milliers de militaires des troupes du Wuchang
dans la province de Hubei déclenchèrent une rébellion et proclamèrent la
République. La révolte se répandit rapidement dans de nombreuses provinces
chinoises, mais l’absence de tout véritable mouvement de masse laissa les
intérêts en place inchangés. Le résultat fut une fédération aux liens très
lâches, la « République de Chine » avec Sun comme président
provisoire.
Cependant, cette nouvelle république était
en fait entre les mains du vieil appareil militaro-bureaucratique, qui s’opposa
à toute tentative de donner la terre à la paysannerie. Sun se compromit
rapidement avec ces forces réactionnaires, cherchant uniquement à obtenir la reconnaissance
internationale de la République de Chine. Mais les puissances impérialistes
exigèrent que Sun remette la présidence au dernier premier ministre de la
dynastie mandchoue, Yuan Shikai, considéré par les grandes puissances comme un
dirigeant plus fiable — quelqu'un à qui on pourrait faire confiance pour
préserver le statut semi-colonial de la Chine. Après que Yuan soit devenu
président, il se retourna contre Sun et son KMT, le parti nationaliste, mit la
constitution au rebut et procéda à la dissolution du parlement. En 1915, avec
le soutien du Japon, Yuan se proclama empereur. Sa tentative de courte durée
pour restaurer le système impérial se termina par des révoltes organisées par
des généraux du Sud de la Chine qui soutenaient la République. Yuan fut contraint de démissionner et mourut peu après.
Quoique la République de Chine ait continué
à exister nominalement, elle fut démembrée par des seigneurs de la guerre
rivaux, chacun soutenu par différentes puissances impérialistes. Le KMT
survivait dans les cités de Guangzhou ou Canton dans le sud de la Chine, avec
l’appui de généraux locaux. Sun lança un appel aux plus petits seigneurs de la
guerre pour qu’ils contestent les plus puissants et unifient le pays, mais
personne ne répondit à son appel.
Le mouvement du 4-Mai
et la Révolution russe
L’échec de 1911 eut un impact
profond sur différents milieux d’intellectuels chinois. Chen Duxiu, qui fut
plus tard le fondateur du Parti communiste chinois et du mouvement trotskyste,
fut le pionnier de la recherche de nouveaux horizons intellectuels. Cela fut
une époque extraordinaire, qui vit la politisation rapide de nombreux jeunes
gens, qui commencèrent à participer activement à des luttes d’une grande portée
dans les domaines idéologiques, culturels et politiques, dans le but de changer
le cours de l’histoire. Le magazine de Chen, Nouvelle Jeunesse, devint
par la suite l’organe officiel du Parti communiste. Chen attira un grand nombre
d’étudiants qui le considéraient comme un combattant sans compromission de
l’influence réactionnaire du confucianisme. Il prit le parti radical
d’introduire ces jeunes chinois à la littérature occidentale, à la philosophie
et aux sciences sociales et naturelles.
Les impulsions politiques décisives eurent
pour origine les évènements internationaux. Le déclenchement de la Première
Guerre mondiale en 1914, quoique se déroulant pour l’essentiel en Europe, eût
un impact majeur en Chine, qui se poursuivit avec les implications monumentales
de la victoire de la Révolution russe de 1917. Li Dazhao, le cofondateur du
Parti communiste (PCC), fut le premier à introduire le marxisme en Chine. L’un
des premiers essais marxiste en Chine a été son ouvrage « La victoire du
bolchevisme » écrit en 1918 et largement inspiré du travail de Trotsky
« La guerre et l’Internationale ».
Li soutenait que la Première
Guerre mondiale marquait le début de « La guerre des classes… entre les
masses prolétariennes et les capitalistes du monde entier. » La révolution
bolchevique n’était que le premier pas vers « la destruction des
frontières nationales actuellement existantes qui sont des barrières au
socialisme et la destruction du système de production capitaliste fondé sur le
monopole et le profit » Li acclamait la Révolution d’Octobre comme
« Un nouveau cours donné au vingtième siècle », ce qui devait être
bientôt confirmé par les événement en Chine. (Li
Ta-chao and the Origins of Chinese Marxism, Maurice Meisner, Harvard
University Press, 1967, p 68)
Sous la pression des puissances alliées, la
Chine déclara la guerre à l’Allemagne et fit officiellement partie du camp de
la victoire. Mais lors des négociations de maquignons de la Conférence de
Versailles de mai 1919, les puissances impérialistes piétinèrent à nouveau la
souveraineté chinoise en confiant les concessions coloniales allemandes de
Shandong au Japon. Les nouvelles de Paris provoquèrent une vague de
protestations furieuses de la part des étudiants à Pékin et des grèves
ouvrières à travers tout le pays contre toutes les puissances impérialistes.
Les illusions populaires sur la
« démocratie » anglo-américaine furent réduites à néant. Il y eut une
prise de conscience générale parmi les étudiants et les ouvriers que les camps
rivaux de la Première Guerre mondiale avaient combattus pour la domination
mondiale et pour les intérêts de leurs classes capitalistes respectives. Quel
que soit le vainqueur, l’exploitation impérialiste de la Chine et des autres
pays coloniaux se poursuivrait. La victoire de la classe ouvrière russe
ouvrait, par contre, une nouvelle perspective pour les masses chinoises.
La fondation du Parti communiste chinois en
juillet 1921, sous la direction de Chen Duxiu et Li Dazhao, se fit sur la base
de l’internationalisme socialiste. En dépit de faibles effectifs initiaux, le
PCC acquis de la force grâce à son programme et au prestige de la Révolution
d’Octobre et connut une croissance rapide. Le PCC s’appropria rapidement les
tactiques élaborées au Deuxième et Troisième congrès de la nouvelle
Internationale communiste, le Komintern, pour combattre pour la direction des
mouvements de libération nationale qui se développaient.
Lors des discussions du Deuxième congrès,
Lénine avait exhorté les nouveaux partis communistes des pays coloniaux à
participer activement au développement des mouvements de libération nationaux,
mais souligna expressément la « La nécessité de lutter résolument contre
la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération
démocratique bourgeois des pays arriérés ; l'Internationale communiste ne doit
appuyer les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des
pays arriérés qu'à la condition que les éléments des futurs partis
prolétariens, communistes autrement que par le nom, soient dans tous les pays
arriérés groupés et éduqués dans l'esprit de leurs tâches particulières, tâches
de lutte contre les mouvements démocratiques bourgeois de leur propre nation ;
l'Internationale communiste doit conclure une alliance temporaire avec les
démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec
eux, et maintenir fermement l'indépendance du mouvement prolétarien, même sous
sa forme la plus embryonnaire ; » (traduction française reprise du site www.marxists.org : Première
ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale).
Après la défaite de la révolution allemande
et la mort de Lénine en 1924, l'axe politique essentiel indiqué par Lénine fut
abandonné. Au nom de l'opposition au « trotskysme », une section
conservatrice de la direction bolchevique conduite par Staline rejeta les
leçons fondamentales de 1917. Plutôt que d'encourager une percée
révolutionnaire en Chine, cette direction cherchait à établir des relations
avec les factions prétendument « démocratiques » de la bourgeoisie
chinoise, dans le but de contrebalancer la pression des impérialismes anglais
et japonais en Extrême-Orient.
Rejoindre le KMT
La politique initiale du PCC consistant à
former une alliance temporaire avec le Kuo-Min-Tang était fondée sur la
conservation de l'indépendance des deux partis, chacun ayant sa propre
organisation. Mais en août 1922, la direction du Komintern ordonna au PCC
d'adhérer au KMT en tant que membres à titre individuel du parti.
Le PCC s'opposa à la décision, mais ses
objections furent rejetées par la direction du Komintern sous l'autorité de
Zinoviev. Zinoviev justifia la décision sur le fondement que le KMT libéral
démocrate était la « seule organisation nationaliste révolutionnaire
importante » en Chine. Le mouvement indépendant de la classe ouvrière était
encore faible, aussi le petit PCC devait entrer dans le KMT pour étendre son
influence.
Plusieurs années plus tard, en novembre
1937, Trotsky écrivit à Harold Isaacs : « L'entrée en elle-même en
1922 n'était pas un crime, peut-être même pas une erreur, en particulier dans
le Sud, selon la présomption que le Kuo-Min-Tang à cette époque comprenait un
certain nombre d'ouvriers et que le jeune parti communiste était faible et
composé presque entièrement d'intellectuels... Dans ce cas, l'entrée aurait été
un mouvement isolé vers une indépendante [sic], similaire dans une certaine
mesure à votre entrée dans le parti socialiste. La question est de savoir quel
était leur intention en entrant et quel a été la politique qui en a
découlé ? » (The Bolsheviks and the
Chinese Revolution 1919-1927, Alexander Pantrov, Curzon Press 2000, p.106)
Alors que Staline prenait le contrôle du
Komintern, il considérait l'entrée du PCC dans le KMT non comme un pas vers la
construction d'un parti de masse indépendant, mais de plus en plus comme une
politique à long terme visant à réaliser une révolution démocratique bourgeoise
en Chine. Aux yeux de Staline, l'importance du KMT l'emportait de loin sur
celle de la section chinoise du Komintern. En 1917, un tel point de vue aurait
été dénoncé par les bolcheviques comme une capitulation politique devant la
bourgeoisie. Mais à présent Staline imposait cette politique à la Chine,
prétendant qu'elle représentait la continuation du léninisme et l'héritage de
la Révolution d'Octobre.
Après le Troisième congrès du Komintern, le
CCP appela officiellement tous les membres du parti à rejoindre le KMT et
abandonna de fait sa propre activité indépendante. Quand le Komintern envoya
Mikhail Borodin comme son nouveau représentant en Chine, il agit en tant que conseiller
pour le KMT, qui fut restructuré du sommet à la base selon des principes
organisationnels bolcheviques. Dix membres dirigeants du PCC furent placés au
comité central exécutif du KMT, environ un quart du total de ses membres. Des
cadres communistes prirent souvent en charge différents aspects des activités
du KMT.
La construction de l'appareil militaire du
KMT a résulté directement de la politique du Komintern. Jusqu'à ce que Sun
Yat-sen ait établi son « Armée nationale révolutionnaire » en 1924,
il n'avait que 150 à 200 gardes loyaux — à comparer avec les 200 à 300 000
soldats que contrôlaient chacun des seigneurs de la guerre du Nord. La
dépendance de Sun à l'égard des généraux du Sud devint évidente en 1922
lorsqu'il fut obligé de fuir à Shanghai après une tentative de coup d'Etat
local. C'est seulement alors que Sun se tourna vers Moscou pour obtenir de
l'aide.
L'académie militaire de Whampoa à Guangzhou
— à partir de laquelle Tchang Kaï-chek construisit son accession au pouvoir —
fut établie avec l'assistance de conseillers soviétiques. Sans l'aide militaire
soviétique et l'aptitude du PCC à mobiliser les ouvriers et les paysans, la
construction d'une armée du KMT capable de défaire les puissants seigneurs de
la guerre aurait été totalement inimaginable.