Ce 4
février 2008, il y a eu soixante ans que le Sri Lanka est devenu officiellement
indépendant de la Grande-Bretagne. Le caractère même des célébrations
officielles ayant lieu aujourd’hui, une parade militaire alors que
Colombo est paralysé par les forces de sécurité et que la guerre civile fait
rage au nord du pays, témoigne de l’entière banqueroute des élites
dirigeantes du Sri Lanka. Soixante ans d’indépendance n’ont rien
apporté d’autre aux travailleurs ordinaires que les conflits
communautaristes, l’approfondissement de la misère sociale et un pouvoir
employant des méthodes de moins en moins démocratiques.
Pendant près de la moitié des soixante
dernières années, l’île a été empêtrée dans une guerre dont
l’objectif est de perpétuer la domination des élites bouddhistes sur la
minorité tamoule. Plus de 70 000 personnes sont décédées dans les combats,
des millions d’autres ont été déplacées sur l’île ou à
l’étranger et de vastes régions du pays ont été dévastées alors que les
ressources économiques étaient pillées dans un conflit fratricide. Toute
tentative d’établir un accord de paix a été sabotée par la politique
communautariste que la classe dirigeante utilise depuis l’indépendance
pour diviser et dominer la classe ouvrière.
Le président Mahinda Rajapakse, qui
présidera les événements aujourd’hui, n’a rien à offrir sauf la
grandiloquence nationaliste. Il y a un mois, son gouvernement a officiellement
brisé le cessez-le-feu de 2002 et a déclaré une guerre à en finir avec les
Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Même s’il réalisait
cet objectif militaire, Rajapakse n’a aucune solution aux tensions entre
communautés créées par des décennies de discrimination contre les Tamouls.
En 2006, Rajapakse a ramené le pays en
guerre en réponse au développement de la crise économique et à la montée du
mécontentement social. Comme ses prédécesseurs, le président a utilisé la
guerre pour souffler sur les braises de la haine ethnique et pour justifier la
mise en place de pouvoirs d’urgence draconiens visant à écraser toute
opposition. Les ouvriers en grève, les fermiers manifestants et les critiques
de la presse ont tous été accusés d’être des sympathisants et des
terroristes du LTTE. Des escadrons de la mort opérant dans l’ombre en
collaboration avec l’armée ont assassiné ou fait
« disparaître » des centaines de personnes.
Les conditions de vie de la majorité de la
population sont tout simplement intolérables. Les grandes augmentations des
dépenses militaires combinées avec les prix astronomiques du pétrole ont provoqué
une inflation galopante qui atteint 26 pour cent annuellement et qui rend les
produits essentiels hors de portée des gens ordinaires. La misère est empirée
par l’augmentation des impôts et les coupes dans les services et les
emplois publics. Le ralentissement annoncé aux Etats-Unis et à l'échelle
mondiale viendra ajouter aux problèmes économiques de l’île, frayant la
voie à une explosion sociale et politique.
L'histoire des soixante dernières années
représente une condamnation de la classe dirigeante sri-lankaise dont les
représentants politiques ne peuvent offrir de solution au désastre qu’ils
ont provoqué. L’histoire du Sri Lanka confirme, mais tragiquement, la
vérité fondamentale de la révolution permanente de Léon Trotsky : la
bourgeoisie des pays ayant connu un développement capitaliste tardif est
organiquement incapable de réaliser une seule des tâches démocratiques et
sociales non résolues. Le seul avenir qu’offre le gouvernement de
Colombo, c’est la guerre, la répression et une inégalité sociale de plus
en plus importante.
Le Sri Lanka n’est qu’un des
exemples les plus frappants de la faillite des différents arrangements
postcoloniaux ayant eu lieu en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Tout
près du Sri Lanka, l’Inde et le Pakistan, produits de la partition
réactionnaire du sous-continent en 1947, sont déjà entrés trois fois en guerre.
Les politiciens indiens corrompus, qui aiment se vanter du « miracle
économique » de la « plus grande démocratie au monde », sont
assis sur une bombe sociale à retardement alors que 400 millions de personnes
vivent dans la pauvreté. Ils n’hésitent pas à utiliser des méthodes
dignes d’un Etat policier pour supprimer l’opposition. Les régimes
actuels du Pakistan, du Bangladesh et de la Birmanie, basés sur l’armée,
ne font que souligner le fait que les élites dirigeantes locales n’ont
pas trouvé d’autres moyens pour contenir les explosives contradictions
sociales, politiques et économiques dans leurs pays.
La classe ouvrière est la seule force
sociale capable de résoudre l’impasse actuelle au Sri Lanka et dans toute
la région sur la base d’un programme socialiste et internationaliste.
Mais la construction d’un mouvement socialiste n’est possible que
si l’on fait un bilan historique des soixante dernières années. Le cas du
Sri Lanka est clair. Les trotskystes du Parti bolchevique léniniste de
l’Inde (BLPI), qui est devenu plus tard le Lanka Sama Samaja Party
(LSSP), avaient le soutien des couches les plus conscientes des travailleurs.
Les leçons politiques de la dégénérescence du LSSP sont très riches, non
seulement pour la classe ouvrière au Sri Lanka, mais partout en Asie et à
travers le monde. C'est la trahison des principes trotskystes par le LSSP,
lorsque ses dirigeants sont entrés dans le gouvernement bourgeois de Madame Sirima
Bandaranaike en 1964, qui a permis à la politique communautariste de la
bourgeoisie de dominer et qui a abouti à l’éruption de la guerre civile
en 1983.
Indépendance :
réelle ou factice ?
Il y a soixante ans, le BLPI a
organisé une manifestation sur Galle Face Green à Colombo qui était très
différente par son caractère que l’étalage honteux de militarisme que
nous présente aujourd’hui le gouvernement Rajapakse au même endroit. Les
trotskystes ont rejeté la fausse indépendance qui avait été concoctée derrière
des portes closes du Bureau colonial britannique à Londres. Le 4 février 1948,
le BLPI a mobilisé 50 000 travailleurs tamouls, cingalais et musulmans qui
venaient pour exprimer leur détermination à continuer la lutte pour le
socialisme et une véritable indépendance par la formation d'un gouvernement des
ouvriers et des paysans.
Se basant sur une compréhension
profonde de la révolution permanente de Trotsky, le dirigeant du BLPI, Colvin R
de Silva, a offert une analyse perspicace du départ de la Grande-Bretagne du
Sri Lanka qui est largement applicable à tous les régimes postcoloniaux de la
période de l’après-guerre. Dans une déclaration intitulée
« Indépendance : réelle ou factice ? », de Silva a
expliqué : « L’essence de ce changement n’est pas le
passage du Ceylan [Sri Lanka] d’un statut de colonie à un statut
d’indépendance, mais est un changement au Ceylan des méthodes de
gouvernance directe à celle de la gouvernance indirecte… Les classes
exploiteuses originaires du Ceylan se sont fait donner la tâche
d’administrer, presque complètement, les intérêts de l’impérialisme
britannique au Ceylan. L’impérialisme britannique s’est retiré en
arrière-plan, même s’il n’a en aucune façon abdiqué. »
Le premier premier ministre du Sri Lanka, D.S.
Senanayake était bien au fait des dangers que posait l’opposition du BLPI
à l’indépendance. Il a écrit au BLPI, suppliant ses dirigeants de
participer à la cérémonie officielle de passation des pouvoirs. Le prestige
politique du BLPI venait de son refus de mettre un terme à la lutte
anticoloniale durant la Deuxième Guerre mondiale et de subordonner les intérêts
de la classe ouvrière à l’effort de guerre britannique. Au contraire des
staliniens du Parti communiste du Sri Lanka (PCSL), le BLPI a rejeté
l’idée que la guerre était une lutte de la « démocratie »
contre le fascisme, insistant que les deux bandes rivales des puissances
impérialistes visaient la domination mondiale.
En 1945, le BLPI a émergé comme le parti
ayant le plus d’influence sur la classe ouvrière sri-lankaise, malgré
qu’il ait été interdit et que ses dirigeants furent emprisonnés durant la
guerre. Il a mené les grèves générales de 1946 et 1947 et lors des élections de
1947, les trotskystes, bien qu’ils aient manqué la majorité parlementaire
de peu, ont forcé le Parti national uni (UNP) à former une coalition avec
divers partis mineurs. Confronté à une classe ouvrière militante, l’UNP a
entrepris dès le début d’utiliser une politique communautariste afin de
la diviser.
L’un des premiers gestes du gouvernement Senanayake
en 1948 fut de priver de leur droits électoraux plus d’un million de
travailleurs agricoles tamouls, que l’on était allé chercher au sud de
l’Inde durant le siècle précédent pour travailler dans les plantations de
thé et de caoutchouc de l’île. D’un seul coup, on retira les droits
de citoyenneté de dix pour cent de la population insulaire. Le BLPI
s’opposa à la mesure raciste et avertit que la discrimination serait
inévitablement étendue aux Tamouls du nord et de l’est, en dépit de leur présence
depuis plusieurs siècles sur l’île.
L’année 1953 marqua un
point tournant crucial. En août, un arrêt de travail généralisé d’une
journée préconisé par le LSSP (le BLPI et le LSSP fusionnèrent en 1950) explosa
en un soulèvement de masse qui ébranla le pouvoir capitaliste jusqu’à ses
fondations. Des manifestations s’opposant à la hausse des prix et aux
coupes dans l’aide sociale se poursuivirent durant trois jours,
s’attirant un large soutien à travers toutes les communautés —
tamoules, cingalaises et musulmanes — et s’étendant jusqu’aux
campagnes. Le cabinet de l’UNP, qui se réunit en situation de crise à
bord d’un navire de guerre britannique dans le port de Colombo, fut forcé
d’annuler la plupart de ses mesures économiques.
La bourgeoisie sri lankaise tira des leçons bien précises
de cette expérience troublante. Immédiatement après l’arrêt de travail, S.W.R.D.
Bandaranaike, qui avait quitté l’UNP en 1951 et formé le Parti de la
liberté du Sri Lanka (SLFP), mit de l’avant un programme défendant ouvertement
la suprématie cingalaise, exigeant que le cingalais devienne la seule langue
officielle de l’île, excluant ainsi les Tamouls. Bandaranaike en était
arrivé à la conclusion que l’attisement des préjugés anti-Tamouls était
le seul moyen de contrer l’influence du LSSP. Il embellit son racisme
« Cingalais seulement » avec une rhétorique pseudo socialiste sur la
« nationalisation » et des mesures pour venir en aide aux pauvres.
1953 fut aussi une année décisive pour le mouvement
trotskyste international. En novembre, le Comité international de la Quatrième
Internationale (CIQI) fut fondé en opposition au courant opportuniste mené par
Ernest Mandel et Michel Pablo. Profondément sceptiques quant à la possibilité
du socialisme à la suite de la stabilisation du capitalisme après la guerre,
ils rejetèrent les leçons fondamentales de la Révolution russe. Les partis de
la Quatrième Internationale, affirmèrent Pablo et Mandel, ne pourraient pas
répéter l’expérience des bolcheviques et parvenir à la tête d’un
mouvement révolutionnaire grâce à la lutte pour l’indépendance politique
de la classe ouvrière. Ils déclarèrent plutôt que les trotskystes devaient
s’intégrer aux « véritables mouvements de masse » — ce
qui signifiait subordonner leurs partis aux dirigeants staliniens,
sociaux-démocrates et nationalistes bourgeois.
La position du LSSP sur la scission allait avoir de
profondes conséquences pour la classe ouvrière au Sri Lanka. Ayant mené une
lutte contre le CPSL, les chefs du LSSP étaient critiques face à l’orientation
pro-stalinienne de Pablo et Mandel. Mais ils refusèrent d'adhérer au CIQI et
rejoignirent éventuellement le Secrétariat unifié pabliste, qui obligeamment
offrit sa bénédiction aux reculs politiques subséquents du LSSP.
L’orientation vers le « véritable mouvement de masse » prit un
sens bien précis au Sri Lanka. Plutôt que de mener une lutte politique acharnée
contre le pseudo socialisme de Bandaranaike, les dirigeants du LSSP
s’adaptèrent à sa politique communautariste. Le crétinisme parlementaire
remplaça de plus en plus la défense des principes de l’internationalisme
socialiste.
La capitulation du LSSP ne se fit pas d’un seul coup.
Dans l’élection de 1956 qui porta Bandaranaike au pouvoir, le LSSP
s’opposa à sa politique « Cingalais seulement » et appela à la
parité du cingalais et du tamoul comme langues d’Etat. Le parti défendit
les Tamouls des pogroms de plus en plus violents menés par des gangs cingalais.
Le slogan du LSSP — « Une langue, deux pays; deux langues, un
pays » — faisait remarquablement preuve de prescience en prévoyant
les violentes implications de la discrimination anti-tamoule. Au même moment
cependant, la préoccupation du LSSP pour les manœuvres parlementaires et
son adaptation croissante à Bandanaraike étaient claires à travers ses pactes
électoraux avec le SLFP dès 1956.
La
grande trahison
Une décennie de dégénérescence politique, facilitée et
encouragée par le Secrétariat unifié, culmina par l’entrée du LSSP dans
le gouvernement de coalition du SLFP de la veuve de Bandaranaike en 1964. Le
prix de ses sièges ministériels fut d’exiger la fin du mouvement explosif
des travailleurs, « les 21 demandes », qui menaçait de répéter le
débrayage de 1953. Bien que le nouveau gouvernement s’effondra après
quelques mois, l’ampleur de la trahison du LSSP était déjà apparente dans
son appui à l’entente Sirima-Shastri entre Colombo et New Delhi visant à
déporter 300 000 travailleurs agricoles vers le sud de l’Inde. Cela
équivalait à un rejet complet de la défense des droits de citoyenneté des travailleurs
tamouls par le mouvement trotskyste en 1948.
La coalition SLFP-LSSP ne fut pleinement consommée
qu’après avoir remporté l’élection de 1970. Faisant face à une
instabilité économique croissante, le nouveau gouvernement mit rapidement au
rancart ses promesses électorales et commença à appliquer les mesures
d’austérité exigées par le FMI. La participation du LSSP dans le
gouvernement ouvertement capitaliste créa beaucoup de confusion dans la classe
ouvrière. Des sections radicalisées de jeunes se tournèrent vers des groupes
comme le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), ou le Front de libération nationale,
avec sa mixture idéologique toxique de maoïsme, de guévarisme et de chauvinisme
cingalais. L’une des premières actions du gouvernement Bandaranaike fut de
réprimer sauvagement la première expérience du JVP dans la politique de
guérilla — un soulèvement armé de jeunes Cingalais de la campagne en
1971. Plus de 10 000 personnes furent tuées et 15 000 autres détenues
dans des camps de concentration autour de l’île.
En réaction à l’opposition du JVP, le gouvernement se
tourna encore plus ouvertement vers le communautarisme cingalais, avec en tête
le LSSP. En 1972, Colvin R de Silva eut la charge de présenter un projet de
constitution pour la nouvellement baptisée République démocratique socialiste
du Sri Lanka. La constitution n’était ni socialiste ni démocratique. Sous
le prétexte d’en finir avec les vestiges de la domination coloniale
britannique, de Silva intégra une discrimination anti-tamoule dans la constitution
en y enchâssant le bouddhisme comme religion d’Etat et le cingalais comme
seule langue officielle.
En tant que ministre des Plantations, de Silva supervisa
aussi la « nationalisation » de grandes plantations de thé qui furent
placées sous le contrôle de dirigeants cingalais. Des milliers de travailleurs
agricoles tamouls furent déportés de force sous les conditions de
l’accord Sirima-Shastri alors que les terres étaient accordées aux
fermiers cingalais. Les difficultés économiques de la période étaient
particulièrement importantes dans les zones de plantation, où les travailleurs
ciblés pour déportation furent privés de gagne-pain. Des dizaines de personnes
moururent de faim.
Le gouvernement Bandaranaike « normalisa » les
examens d’entrée à l’université — une mesure conçue pour
donner un avantage aux étudiants cingalais par rapport à leurs homologues
tamouls. La décision indigna de nombreux jeunes tamouls qui commencèrent à
conclure qu’ils n’avaient aucun avenir dans l’Etat sri
lankais et se tournèrent vers le séparatisme tamoul du LTTE et d’autres
groupes armés afin de lutter pour leurs droits.
Le ministre des Finances du pays — le chef du LSSP N.M.
Perera — réagit à l’intensification de la crise économique en
imposant un rationnement. Affirmant de façon absurde qu’il implémentait
ainsi le socialisme, il interdit la consommation de riz les mardis et
vendredis. Même le transport de petites quantités de riz était devenu un crime.
Cette tentative visant à réguler l’économie capitaliste de l’île et
à la protéger des impacts des tempêtes économiques mondiales échoua
inévitablement, entraînant une colère généralisée. La colère accumulée des
travailleurs explosa lors d’une grève générale en 1976 qui marqua la fin
de la coalition. Lors des élections de 1977, l’UNP remporta une victoire
écrasante par une majorité parlementaire à plus de 80 pour cent et déclencha
immédiatement un projet ambitieux de réformes de type libre-marché et
d’ouverture de l’économie aux capitaux étrangers.
25
années de guerre
Loin de résoudre la crise politique du pays, le déploiement
des forces du marché approfondit les divisions sociales et intensifia le
mécontentement. Comme ses prédécesseurs, le chef de l’UNP, J.R.
Jayawardene, réagit en encourageant les divisions communautaristes et en
employant des méthodes anti-démocratiques. En 1980, le gouvernement répondit à
une grève générale contre la privatisation et les pertes d’emploi en
congédiant sommairement plus de 100 000 travailleurs. Au même moment, des
gangs de voyous cingalais encouragées par l’UNP se servirent
d’attaques isolées réalisées par les séparatistes tamouls pour perpétrer
des atrocités communautaristes. En 1981, la bibliothèque de Jaffna fut
entièrement brûlée, détruisant sa collection irremplaçable de manuscrits et de
livres tamouls. En juillet 1983, des horribles émeutes racistes contre les
Tamouls furent perpétrées dans toute l’île. Des centaines de personnes
furent tuées et des milliers de maisons et d’entreprises furent brûlées.
Le résultat fut la guerre civile.
Pendant un quart de siècle, l’élite dirigeante du Sri Lanka
s’est montrée incapable de mettre fin à la guerre, malgré le fait que le
conflit ait eu un impact dévastateur sur ses propres intérêts économiques. Au
milieu des récriminations de l’establishment politique contre toute
concession aux Tamouls, toutes les tentatives pour en arriver à un accord de
paix ont échoué. Ayant manié l’arme de la politique communautariste
pendant 60 ans pour diviser la classe ouvrière, les représentants politiques de
la bourgeoisie sont organiquement incapables d'accorder les droits
démocratiques les plus élémentaires à tous ses citoyens.
Les efforts les plus récents pour mettre fin à la guerre ont
suivi une série de défaites militaires subies par le gouvernement en 2000, en
pleine crise écnomique profonde. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux
Etats-Unis, des sections de l’élite économique du Sri Lanka ont conclu
que le moment était venu du forcer le LTTE « terroriste » à s’asseoir
à la table des négociations. Lorsque la coalition menée par le PLSL résista, de
nouvelles élections furent organisées et un gouvernement de l’UNP fut
installé. Il appelait à des accords de paix avec le LTTE dans le cadre de leur
objectif plus général d’intégrer l’île dans l’économie
mondialisée et de profiter de l’essor économique grandissant de
l’Inde.
Dès le début, cependant, le
cessez-le-feu de 2002 a été vigoureusement dénoncé par le PLSL et les groupes
extrémistes cingalais comme le JVP ainsi que par des sections de l’armée
et de la bureaucratie d’état. Six décennies de communautarisme et 25 ans
de guerre ont généré de puissants intérêts qui voient toute concession comme
une trahison. Tout l’establishment de Colombo est très sensible à tous
ceux qui prétendent qu’il trahit la nation cingalaise bouddhiste.
L’élection de Rajapkse en 2005 lors de l’élection présidentielle,
sur la base d’un programme calculé pour provoquer le LTTE, marqua la
véritable fin du cessez-le-feu.
L’évolution du JVP est une expression claire de la
banqueroute politique des différents mouvements radicaux de la classe moyenne
qui ont émergé après la trahison du LSSP. Il a maintenant abandonné son
ancienne rhétorique socialiste et anti-impérialiste pour s' intégrer à
l’establishment politique et devenir le plus fervent partisan de la
guerre. Quant au LTTE, son séparatisme tamoul n’a jamais représenté les
intérêts des masses tamoules, mais ceux de la bourgeoisie tamoule. Sa
perspective pendant les pourparlers de paix de 2002-2003 était d’en
arriver à un partage du pouvoir qui aurait permis aux élites tamoules et
cingalaises d’exploiter conjointement la classe ouvrière. Avec
l’échec des négociations, le LTTE a été réduit à faire des appels
inefficaces aux grandes puissances pour forcer la main au gouvernement de
Colombo.
Un programme pour
mettre fin à la guerre et aux inégalités sociales
Comme le BLPI l’avait fait
en 1948, le Parti de l’égalité socialiste (PES) appelle la classe
ouvrière du Sri Lanka à rejeter les célébrations officielles de nationalisme et
de militarisme. Soixante ans plus tôt, les trotskystes ont lancé un défi en
déclarant : « Y a-t-il pour les masses quelque chose à célébrer [dans
l’indépendance] ?... La réponse du BLPI à cette question est un
« Non ! » sans équivoque. Pour les masses, il n’y a rien,
dans ce « nouveau statut », de quoi se réjouir ». Ce qui a été écrit
par le BLPI a été validé plusieurs fois par la suite.
Nous affirmons que seule la classe ouvrière est capable de
mettre fin à la guerre et de fournir une voie pour sortir du désastre actuel.
Les travailleurs ont souffert de nombreuses catastrophes aux mains de ceux qui
voudraient lier leur destin à l’une ou l’autre des sections de
l’élite dirigeante. Le PES rejette aussi les appels de ceux qui veulent que
la classe ouvrière mette sa confiance dans la « communauté
internationale ». Toutes les grandes puissances, les Etats-Unis en
particulier, ont accepté l’échec du cessez-le-feu de 2002 et du
« processus de paix » sans broncher. Leur intervention n'a jmais visé
à aider le peuple sri lankais, mais à défendre leurs propres intérêts
économiques et stratégiques dans la région.
Les leçons des soixante dernières années ont montré clairement
que la lutte contre la guerre doit être basée sur le rejet de toutes les formes
de nationalisme et de communautarisme, qu’elles se réclament de la
suprématie cingalaise ou du séparatisme tamoul. La classe ouvrière doit
défendre les droits démocratiques de tous les travailleurs, indépendamment de
leur langue, de leur religion ou de leur origine ethnique. La première étape
est de demander la fin immédiate et inconditionnelle de l’occupation
militaire du Nord et de l’Est. À ceux qui se lamentent que cela donnera
la victoire au LTTE, nous répondons que cette demande est fondamentale pour
unifier les masses cingalaises et tamoules dans une lutte commune contre le
règne oppressif du gouvernement de Colombo et du LTTE.
Le PES lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan ainsi que
pour l’établissement de la République socialiste du Sri Lanka et de
l’Eelam. Nous appelons à la tenue d’une authentique assemblée
constituante pour abolir les décennies de discrimination et d’oppression
sur la base de la religion, de l’origine ethnique, de la caste et du
genre. Les droits démocratiques ne peuvent être défendus qu'en mettant fin aux
inégalités sociales. Le PES insiste pour dire que la société doit être
restructurée du haut vers le bas sur la base d’un programme socialiste,
pour que la richesse produite par la classe ouvrière soit utilisée pour satisfaire
les besoins sociaux urgents de tous, et non la soif de profit de quelques
riches
Dès sa fondation, le BLPI rejeta
le programme stalinien du « socialisme dans un seul pays » et
commença à construire un mouvement pan-indien dans le cadre d’une lutte
internationale pour le socialisme. Aujourd’hui, l’économie
internationale, et avec elle la classe ouvrière internationale, est globalement
intégrée à un niveau sans précédent, rendant archaïque tout programme de
régulation économique nationale. La lutte pour le socialisme sur cette petite
île ne pourra aller de l’avant que si elle fait partie d’un
mouvement plus large de la classe ouvrière dans le Sud de l’Asie et
internationalement. Les alliés des travailleurs sri lankais ne sont pas dans
l’establishment politique à Colombo mais parmi leurs frères et soeurs de
classe à travers la région et partout dans le monde. Le PES lutte pour une
fédération de républiques socialistes de l’Asie du Sud comme un moyen
pour mettre de l’avant l’unité de la classe ouvrière dans la région
et internationalement.
Le prédécesseur du PES était la Ligue communiste
révolutionnaire (LCR), qui fut fondée en 1968 par la section sri lankaise du CIQI.
À travers la confusion considérable engendrée par la trahison du LSSP, la LCR
lança une lutte politique longue et difficile pour l’indépendance de la
classe ouvrière sur la base des principes de l’internationalisme
socialiste. Le PES peut dire fièrement, et sans avoir peur d’être
démenti, qu’aucun autre parti n’a passé l’épreuve du temps. Nous
appelons les travailleurs, les étudiants, les intellectuels et les pauvres des
campagnes à étudier sérieusement notre programme et notre perspective et à
adhérer au parti de la révolution socialiste mondiale.