Cette
conférence fut présentée le 7 janvier 1998 à l'Université d'été sur le marxisme
et les problèmes fondamentaux du 20e siècle, organisée par le Parti de
l'égalité socialiste (Australie) à Sydney, du 3 au 10 janvier 1998.
Bill Van Auken
fait partie de l'équipe de rédaction du World Socialist Web Site et est
l'auteur de plusieurs ouvrages sur les luttes des masses opprimées en Amérique latine,
en Afrique du Sud, et au Moyen-Orient, tout au long de la période
d'après-guerre.
La parution en
français de cette analyse critique du castrisme est d'autant plus pertinente
que de nouveaux dirigeants nationalistes, en particulier le président
vénézuélien Hugo Chavez, sont chaudement applaudis aujourd'hui par toute la « gauche »
petite-bourgeoise internationale. Celle-ci voit en Chavez et Cie — tout
comme en Castro à une époque précédente — un substitut à la mobilisation
politique indépendante de la classe ouvrière.
Le castrisme a été
l’objet d'une confusion immense, due en grande partie à la tendance révisionniste
pabliste qui est née au sein de la Quatrième Internationale. Les pablistes ont
présenté — et certains continuent à présenter — le castrisme comme
une nouvelle voie vers le socialisme et comme une confirmation qu’il est
possible d’accomplir la révolution socialiste et de fonder un Etat
ouvrier sans la participation consciente de la classe ouvrière.
Sous Joseph Hansen
aux Etats-Unis et Ernest Mandel en Europe, les révisionnistes pablistes
abandonnèrent la lutte visant à former une avant-garde révolutionnaire dans la
classe ouvrière, cédant ainsi les tâches historiques du prolétariat, dans les
pays économiquement arriérés, aux nationalistes petit-bourgeois.
En ce faisant, ils
contribuèrent à préparer certaines des défaites les plus terribles subies par
la classe ouvrière pendant la seconde moitié du 20e siècle.
Le Comité international
de la Quatrième Internationale a mené une lutte implacable contre cette
perspective, défendant et développant ainsi les armes théoriques et politiques
forgées par le marxisme pendant toute la période précédente. Cette lutte
impliquait les questions les plus essentielles concernant les tâches des
marxistes.
Notre mouvement a
lutté contre tous ceux qui considéraient le marxisme uniquement comme un moyen
de découvrir, de décrire, et de s’adapter à des processus objectifs soi-disant
inéluctables contraignantd’autres forces politiques que la classe
ouvrière à diriger la lutte pour le socialisme. Il a défendu la perspective que
l’unique voie vers le socialisme était de construire des partis révolutionnaires,
basés sur le prolétariat international, dans une lutte implacable contre les
bureaucraties dominantes et les directions petites-bourgeoises, aussi
puissantes et populaires qu’elles puissent paraître.
En parlant du
castrisme 35 ans plus tard, nous sommes en droit de demander qui a eu raison
dans ce conflit. Le castrisme a-t-il percé une nouvelle voie vers le socialisme
ou bien s’est-il révélé être une impasse et un piège pour la classe ouvrière ?
Quelles ont été les conséquences de la renonciation par les pablistes du rôle
de la classe ouvrière et de son avant-garde révolutionnaire consciente ?
Dans cette conférence, nous saisirons l'occasion de réexaminer cette expérience
stratégique et ses enseignements pour le mouvement ouvrier.
Le culte du Che
Il convient de
commencer notre analyse avec les commémorations récentes du 30e anniversaire de
l'exécution d'Ernesto « Che » Guevara, propagandiste et praticien le
plus proéminent de la perspective de lutte de guérilla à laquelle on identifie
le castrisme. Nous avons assisté récemment à un regain d'intérêt en la personne
du Che, d'un genre auquel le guérillero, né en Argentine, ne se serait jamais
attendu, même dans ses pires cauchemars.
Le Che a fait
l'objet d'une commercialisation qui jure avec sa réputation de radical. On a
fait de son image même une marchandise. Le fabricant de montres suisse, Swatch,
a créé un modèle « révolution » arborant le visage du guérillero. Son
visage a même servi pour des publicités de ski, pour décorer des CDs de musique
rock, et même pour vendre de la bière.
En Argentine, le
gouvernement de Carlos Menem, favori de Washington pour son adhésion aux règles
du Fonds monétaire international (FMI) et pour son soutien enthousiaste à la
guerre de 1991 contre l'Irak, a même fait sortir un timbre commémoratif
célébrant le Che comme un « grand Argentin »
Le régime
castriste s'y est mis, aussi. Il a récemment rapatrié la dépouille de Guevara
depuis la Bolivie pour l'enterrer en grande pompe à Cuba. Le gouvernement
cubain organise des circuits touristiques sur le thème du Che pour des gauchistes
nostalgiques étrangers et vend des T-shirts et des bibelots « Che »,
offrant ainsi une nouvelle source de devises étrangères pour l'économie cubaine
en détresse.
Pourquoi le Che
est-il si facilement converti en icône inoffensive, et néanmoins profitable ?
Les qualités citées par ses admirateurs sont bien connues — bravoure
physique, abnégation, ascétisme, le fait qu’il soit mort pour une cause. Tous
ces traits peuvent être dignes d’admiration. Il ne fait pas de doute que
ces qualités présentent un contraste frappant avec l’éthique sociale
dominante de notre temps, où la valeur d'une personne se détermine par la
quantité de ses avoirs en bourse. Mais ces qualités, en elles-mêmes,
n'indiquent en rien le caractère politique ou de classe de ceux qui les
possèdent. Des sectes religieuses et même des mouvements fascistes peuvent
prétendre avoir produit des martyrs ayant des qualités semblables, dans des
luttes poursuivant des objectifs complètement réactionnaires.
Un examen critique
de la carrière de Guevara montre que ses conceptions politiques n'avaient rien
à voir avec le marxisme et que les panacées de la lutte armée et de la guerre
de guérilla, auxquelles il était identifié, étaient fondamentalement hostiles à
la lutte révolutionnaire socialiste de la classe ouvrière.
Au milieu du récent
regain d'intérêt à l’égard de Guevara, plusieurs biographies du leader de
guérilla ont été publiées. Celles de l'auteur mexicain Jorge Castaneda et de
l'Américain John Lee Anderson, bien qu’elles proposent en aucune façon
une analyse politique marxiste, fournissent néanmoins des précisions utiles sur
la trajectoire de Guevara et de la révolution cubaine.
Ce qui ressort
très clairement du récit détaillé de la carrière de Guevara dans ces livres est
la superficialité sans bornes et les résultats tragiques de sa perspective
politique.
Pendant qu’étaient
publiés ces récits factuels, il y a eu une nouvelle tentative, de la part de
diverses tendances petites-bourgeoises de gauche, de décrire Guevara comme un leader
révolutionnaire et un théoricien dont l'exemple et les conceptions continuent à
donner une perspective significative à la lutte contre le capitalisme. A la
différence des biographes, ces groupes ne donnent pas de nouveaux aperçus ou de
nouveaux détails. Ils mélangent une nostalgie malsaine pour l'âge d'or du gauchisme
petit-bourgeois avec ce qui est indubitablement une falsification des
véritables opinions de Guevara et de leurs conséquences politiques.
Certains, tel le Parti
ouvrier socialiste (SWP) aux Etats-Unis, font écho, sans critique, aux
commémorations officielles du gouvernement cubain. D'autres, tels le vieux vaurien
pabliste Livio Maitan en Italie ou le MAS moreniste en Argentine, tentent de
dépeindre Guevara comme ayant incarné une alternative révolutionnaire à la fois
au stalinisme et au régime castriste lui-même.
Dans une analyse
récente de la question cubaine, les morenistes font l'éloge du slogan
guévariste d'« Un, deux, de nombreux Vietnam » et déclarent: « Même
avec des méthodes désastreuses, les focos de guérilla, l’isolementvis-à-vis
le mouvement de masse, l'opposition à la construction des partis révolutionnaires
ouvriers, il exprimait la nécessité d'étendre la révolution à l'échelle
internationale. »
Comment est-ce
qu’une perspective nécessaire et révolutionnaire peut s’exprimer au
moyen de méthodes désastreuses — cela les morenistes ne se donnent pas la
peine de l’expliquer. Cette tendance, comme toutes les tendances
pablistes, a fait carrière en tentant de démontrer comment différentes forces
sociales — le péronisme, le stalinisme, la lutte de guérilla « sont
l’expression » de la lutte pour le socialisme.
En effet, à une
époque antérieure, les morenistes réussirent même à trouver cette expression
dans le dictateur cubain que Castro avait renversé, Fulgencio Batista. Le
proclamant « le Perón de Cuba », ils applaudirent les travailleurs
cubains pour n’avoir pas suivi un appel à la grève générale émanant du
mouvement du 26 juillet de Castro. Après la victoire de Castro, cependant, ils
mirent son portrait à côté de celui du Général Perón sur l’entête de leur
journal.
Nonobstant
l’alchimie politique des morenistes, les méthodes désastreuses de Guevara
étaient l’expression fidèle de sa perspective politique — ou pour
être plus précis, de son manque de perspective réelle.
Les morenistes,
comme toutes les autres tendances pablistes, n’ont aucune envie de soumettre
le castrisme et le guévarisme à une analyse de classe, de rechercher leurs
origines et leur développement historiques, ou de faire un bilan de
l’expérience de l’Amérique latine avec la lutte de guérilla de ces
presque quatre dernières décennies.
Cette tâche
critique ne peut être accomplie que par notre mouvement, basé sur la lutte
qu’il a menée pendant toute cette période pour l’indépendance et
l’unité internationale de la classe ouvrière.
Le socialisme prolétarien contre le nationalisme petit-bourgeois
Les révisionnistes
pablistes, comme les ex-gauchistes petits-bourgeois en général, sont hostiles à
une telle approche. Ils nourrissent les espoirs fervents d’un renouveau
du castrisme. Ils ont tous été enthousiasmés par l’apparition de
l’Armée de libération nationale au Chiapas, au Mexique, et ont aussi
applaudi les actions du Mouvement révolutionnaire de Tupac Amaru quand ils ont
occupé l’ambassade japonaise à Lima, il y a un peu plus d’un an.
Notre mouvement ne
s’est pas joint aux célébrations de cette apparence de renouveau du guevarisme
et de la formule politique creuse de la « lutte armée ». Nous avons
une longue histoire de luttes contre de telles conceptions, ayant reconnu
qu’elles expriment non pas les luttes socialistes et révolutionnaires du
prolétariat, mais plutôt la politique nationaliste de la petite bourgeoisie.
Elles ne tentent pas de résoudre les questions brûlantes de l’orientation
révolutionnaire de l’avant-garde ouvrière, mais plutôt de nier en bloc le
rôle révolutionnaire de cette classe et ainsi de leurrer des couches
estudiantines radicalisées, ainsi que des travailleurs et des paysans, et de
les écarter de la lutte pour le socialisme.
Elles
obscurcissent, plutôt qu’elles n’éclairent, les problèmes
stratégiques de la révolution socialiste élaborés par Trotsky dans sa théorie
de la révolution permanente. Des slogans tels que « le devoir du
révolutionnaire est de faire la révolution », « la lutte armée »,
et « la guerre populaire prolongée » laissent sans réponse la
question de savoir quelle classe jouera le rôle dirigeant dans la révolution,
quel sera le rapport entre la révolution dans un seul pays et la révolution
mondiale, et quelles relations s’établiront entre la lutte des
travailleurs et des masses opprimées des pays économiquement arriérés et celle
des travailleurs des pays capitalistes avancés.
Derrière leurs
discours radicaux, ces mouvements ont des conceptions bien définies sur ces
questions. Invariablement, elles tendent vers la suppression de la lutte
indépendante et révolutionnaire du prolétariat, et la subordination des masses
opprimées en bloc aux besoins de la bourgeoisie nationale.
Dans ce sens,
malgré le radicalisme de surface de pareils mouvements, ils sont, en dernière
analyse, parmi les dernières défenses de l’impérialisme contre la
révolution socialiste. C’est ce caractère essentiel du nationalisme
petit-bourgeois et de la lutte de guérilla qui permet d’entrevoir une
réponse à la question de savoir comment le capitalisme a pu apprivoiser
l’image de Guevara à ses fins propres.
Si l’on
examine attentivement la politique du MRTA péruvien et des zapatistes mexicains,
ce n’est qu’une manifestation différente de l’accommodement
avec l’impérialisme tenté par tous les régimes et les mouvements
nationalistes bourgeois. Le groupe armé Tupac Amaru a occupé l’ambassade
japonaise dans le but de faire pression sur l’impérialisme japonais et de
le contraindre à influencer et adoucir la politique du régime Fujimori. Le but
final du groupe, communiqué à certains des otages, était de forcer la négociation
d’un accord par lequel le groupe se transformerait en parti politique petit-bourgeois
légal.
Quant au mouvement
zapatiste, il a été universellement acclaméprécisément parce qu'il avait
renoncé, dès le départ, à tout objectif révolutionnaire. Les vagues
revendications du Subcomandante Marcos étaient pour la démocratisation, pour
mettre fin à la corruption, et pour davantage de droits culturels pour la
population indigène. Ces revendications auraient pu être et ont été adoptées
non seulement par la gauche petite-bourgeoise, mais aussi par le PRI au pouvoir
et même par le parti d'opposition de droite, le PAN. Marcos et les zapatistes,
plutôt que d'offrir une perspective révolutionnaire aux travailleurs et aux
paysans opprimés du Mexique, sont devenus un instrument de plus pour les règlements
de compte à l'intérieur de la bourgeoisie mexicaine.
Le rôle politique de la petite bourgeoisie
Que voulons-nous
dire exactement quand nous décrivons ces différents mouvements comme étant « nationalistes
petits-bourgeois » ? Ce n'est pas simplement une épithète dont les
marxistes accablent leurs opposants politiques. C'est une définition
scientifique des intérêts de classe et des méthodes qui caractérisent ces
mouvements. Marx, en se basant sur l'expérience de la révolution de 1848, et Trotsky,
dans sa théorie de la révolution permanente, ont démontré que la petite
bourgeoisie est incapable d’une action indépendante et cohérente. Ses
oscillations reflètent sa position sociale intermédiaire. Prise entre les deux
principales classes sociales et se divisant constammententre
exploiteurs et exploités, elle doit suivre l’une ou l’autre de ces
classes – soit la bourgeoisie soit le prolétariat.
Dans la période
d’après-guerre, l’impérialisme a créé et fini par dépendre d’une
nouvelle couche sociale désignée par « classe moyenne ». Dans les
pays capitalistes avancés, il s’agissait des fonctionnaires qui
peuplaient les bureaucraties gouvernementales et les bureaux des grandes
sociétés, administraient les services sociaux des États-providence nouvellement
établis, et dirigeaient les médias de masse.
Une strate
analogue est apparue dans les pays opprimés, et c’est entre les mains de
cette couche sociale que l’impérialisme a remis le pouvoir pendant la période
de la décolonisation. En Amérique latine, comme dans d’autres régions du
globe, opprimées par l’impérialisme, les occasions qui se présentaient à
cette couche sociale étaient beaucoup plus limitées que celles offertes à leurs
homologues dans les pays capitalistes avancés. Des milliers d’étudiants
sortaient des universités sans l’espoir de faire carrière dans une
profession libérale. Dans beaucoup de cas, ceux qui avaient une profession libérale
ou qui essayaient de gagner leur vie à la tête d’une petite entreprise ne
vivaient guère mieux que le travailleur moyen. C’est cette strate sociale
qui formait la principale base sociale de la politique nationaliste
petite-bourgeoise.
Il y avait donc
une base objective de classe pour l’émergence des théories pablistes
d’une « nouvelle réalité mondiale », selon lesquelles la lutte
pour le socialisme serait menée, non pas par la classe ouvrière et son
avant-garde consciente et révolutionnaire, mais plutôt par la petite
bourgeoisie radicalisée. Ces formulations révisionnistes reflétaient en
dernière analyse à la fois les impulsions de cette couche sociale, et aussi le
besoin ressenti par l’impérialisme d’un tampon qui le protègerait
de la menace de révolution prolétaire.
Les origines de la révolution cubaine
Comme tout
évènement majeur, la révolution dirigée par Fidel Castro en 1959 avait des
racines profondes dans des développements historiques antérieurs. Ces racines
historiques, généralement laissées de côté par les fans de Castro parmi les
pablistes et la gauche petite-bourgeoise en général, doivent être étudiées pour
comprendre le contenu de classe et l’importance politique du castrisme.
L’histoire
de Cuba fut marquée principalement par le caractère avorté de la lutte pour son
indépendance, qui enleva l’île aux possessions coloniales du colonialisme
espagnol moribond, pour ensuite la laisser au niveau d’une quasi-colonie
politique et économique des Etats-Unis.
Les Etats-Unis
intervinrent à Cuba en 1898 au terme d’une guerre d’indépendance
qui dura 30 ans. L’intervention fut courte et décisive. Les Espagnols
perdirent leur colonie dans le Traité de Paris, une négociation à laquelle les
Cubains eux-mêmes ne participèrent pas.
Ce processus
aboutit à la fondation de la République cubaine, dite de l'Amendement de Platt.
Ce texte, qui portait le nom du sénateur américain qui l'avait écrit, fut
imposé comme amendement à la première constitution cubaine. Il interdisait à la
république cubaine prétendument indépendante tout traité international qui
porterait préjudice aux intérêts américains. Il donnait aussi aux Etats-Unis le
droit d'intervenir par la force armée « pour la préservation de
l'indépendance cubaine, l'entretien d'un gouvernement capable de protéger la
vie, la propriété, et les libertés individuelles, et pour répondre à ses
obligations envers Cuba imposées par le Traité de Paris ». Les Etats-Unis allaient
à maintes reprises faire usage de ce « droit » pendant la première
moitié du vingtième siècle.
La dépendance de
Cuba vis-à-vis de l'impérialisme américain n'était pas seulement une dépendance
formelle imposée par l'amendement de Platt. Elle se basait sur l'exportation
cubaine de sucre vers le marché américain. Ce seul produit fournissait la grande
majorité des revenus d'exportation de l'île et était presque uniquement destiné
aux Etats-Unis. La monoculture du sucre condamnait la majorité de la population
à l’arriération, à la pauvreté, et au chômage chronique.
Les relations
sociales et politiques prédominantes à Cuba étaient liées au caractère inachevé
de la lutte démocratique bourgeoise pour l'indépendance nationale. Si le statut
quasi-colonial de Cuba était parmi les plus crûment évidents au monde, il était
loin d'être unique.
La Quatrième
Internationale devait lancer cette mise en garde, à la veille de la Deuxième guerre
mondiale, « Les Etats nationaux attardés ne peuvent plus compter sur un
développement démocratique indépendant. Cerné par un capitalisme décadent et empêtré
dans les contradictions impérialistes, l’Etat attardé n'aura qu'une indépendance
quasi-fictive et son régime politique, sous l’influence des
contradictions internes de classe et les pressions externes, ne manquera pas de
s’incliner vers la dictature contre le peuple. »
Un autre déclaration,
de la même année, soulignait qu'il n'y avait aucune possibilité de mettre fin à
l'oppression impérialiste sinon par la révolution socialiste mondiale: « Les
espoirs de libération des peuples coloniaux sont donc liés de façon encore plus
étroite qu'avant à l'émancipation des travailleurs du monde entier. Les
colonies ne seront libérées politiquement, économiquement, et culturellement que
lorsque les travailleurs des pays capitalistes avancés mettront fin au régime
capitaliste et commenceront, avec les peuples économiquement arriérés, à
réorganiser l'économie mondiale sur une nouvelle échelle, basée sur les besoins
sociaux et non pas les profits des monopoles. »
Comme nous le verrons,
l'histoire cubaine a démontré la validité de cette thèse, bien que
négativement. Sans une telle lutte unitaire et internationale des travailleurs,
la véritable libération économique, politique, et culturelle s'est avérée
impossible.
Les relations
américano-cubaines avaient créé un establishmentpolitique
bourgeois remarquable par son impuissance, sa corruption extrême, et ses
éruptions fréquentes de violence. La domination américaine de l'économie,
jointe à la prédominance des immigrés dans les milieux bourgeois et des
propriétaires terriens, donna également naissance à un nationalisme cubain
empreint d'un anti-américanisme extrême et même de tendances xénophobes.
Une autre
perspective se dégagea, cependant. En 1925 le Parti communiste cubain se forma
et intégra la Troisième Internationale. Son personnage le plus éminent était
Julio Antonio Mella, un étudiant en droit qui était devenu le leader d'un
mouvement de réforme universitaire au début des années 1920 et qui avait essayé
d'orienter les étudiants vers la classe ouvrière.
Mella et ses
camarades dirigèrent la lutte contre la dictature de Gerardo Machado, que Mella
décrivait comme « un Mussolini tropical ». Emprisonné par la
dictature, les pressions populaires le libérèrent et il quitta le pays, et voyagea
en Union soviétique, en Europe, et finalement au Mexique.
Mella rompit avec
le Parti communiste au Mexique en 1929, et déclara son soutien à la lutte de Trotsky
contre la bureaucratie stalinienne. Peu de temps après, il fut assassiné.
Mella faisait
partie d'un large mouvement d'étudiants et d'intellectuels cubains qui
voulaient mettre fin au système politique corrompu du pays et à sa domination
par l'impérialisme américain. Mais il renonça aux conceptions nationalistes qui
prédominaient alors et adopta la perspective de l'internationalisme socialiste.
Le stalinisme
allait empêcher la classe ouvrière d'arriver à une résolution des problèmes
historiques de Cuba basée sur cette perspective. On peut donc dire que le
stalinisme avait préparé l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro longtemps avant
que ce dernier et le Parti communiste cubain aient jamais considéré la
possibilité de joindre leurs forces. En supprimant la perspective pour laquelle
Mella et la première génération de marxistes cubains avaient lutté, le
stalinisme favorisa le développement du nationalisme petit-bourgeois gauchiste.
Dans la première
conférence de cette université d’été, David North a longuement discuté le
fait que l'histoire ne consiste pas seulement en des réponses aux questions « que
s'est-il passé ? » et « qui a gagné ? » mais
qu’il s’agit plutôt de savoir quelles étaient les alternatives
existantes et quelles furent les conséquences des alternatives choisies et de
celles qui ne le furent pas. Que se serait-il passé si l'Opposition de gauche
avait prédominé? On peut poser la même question en relation à la question
cubaine, bien qu'à une plus petite échelle.
Il y a des
limites, bien sûr, à ce que l'on peut dire avec assurance sur « ce qui aurait
pu se passer ». On ne peut pas affirmer avec certitude, par exemple, que
s’il y avait eu un authentique Parti communiste à Cuba, une révolution
socialiste se serait produite en telle ou telle année. Cependant, on peut dire
avec certitude que si un véritable parti révolutionnaire de la classe ouvrière
avait existé, à la différence de l'appareil politique corrompu du stalinisme
cubain, l'émergence de la tendance spécifique nommée castrisme aurait été
impossible.
A la suite de la
dégénérescence stalinienne du Parti communiste cubain, le pays passa par une
crise révolutionnaire profonde. Une insurrection nationale se produisit en
1933, forçant le dictateur Machado à fuir le pays. Le point culminant de ce
mouvement fut une grève générale de la classe ouvrière qui s’empara des
usines, des raffineries de sucres, et des plantations.
Alors que la grève
générale gagnait en intensité et s’étendait dans le pays, le Parti
communiste stalinien cubain (PC), qui dominait les syndicats, donna l'ordre de
reprendre le travail, prétextant que la grève faisait peser la menace d'une
intervention américaine. Alors que la vaste majorité des travailleurs refusait
de tenir compte de cet appel, le PC entama des pourparlers secrets avec le
dictateur Machado, obtenant des concessions pour le parti en échange de son attitude
« responsable » pour chercher à mettre fin à la grève.
Ce pacte, dont la
courte durée n'est imputable qu'au fait que l'insurrection força Machado à
s'exiler, allait servir de modèle pour le PC pendant les 25 prochaines années.
Les staliniens conservèrent leur domination du mouvement ouvrier, tout en
forgeant une série d'alliances avec des partis conservateurs bourgeois et même
des régimes militaires. Dans les années 1940, les staliniens entrèrent au
gouvernement de « l'homme fort » désigné par les Etats-Unis, Batista.
Castro et le castrisme
Le stalinisme
étant méprisé pour sa collaboration avec les partis de droite et les
dictatures, la rhétorique de l'anti-impérialisme et de la révolution sociale
devint de plus en plus le monopole de nationalistes radicalisés des classes
moyennes, notamment parmi les étudiants de l'Université de La Havane. C'est dans
cet environnement de serre chaude que Fidel Castro commença sa carrière
politique.
Fils d'une famille
de propriétaires terriens espagnols, Castro fit ses premiers pas en politique
comme étudiant dans un lycée jésuite. Il s'y trouva sous l'influence de prêtres
espagnols qui soutenaient le fascisme de Franco. Il lut tous les ouvrages de
José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange fasciste espagnole et
était, selon ses camarades, fortement attiré par l'idéologie fasciste.
A la fin des
années 1940 et début 1950, Castro participa aux activités des gangs armés
d'étudiants qui dominaient l'université. L'idéologie de ces gangs était à la
fois nationaliste et explicitement anti-communiste.
Castro commença à
lutter contre Batista comme membre du Parti Ortodoxo bourgeois. Il se présenta
comme candidat à la législature cubaine en 1952, mais le coup d’état de
Batista cette année-là barra le chemin à ses ambitions parlementaires. Il
commença alors à organiser un petit groupe de fidèles pour une action armée. Il
mena un assaut sur les casernes à Moncada en juillet 1953. Les 200 participants
furent tous tués ou emprisonnés.
Castro était loin
d'être le seul à organiser de telles actions. Tout au long de cette période, des
membres de différents partis et de différentes factions petites-bourgeoises
attaquèrent des casernes, tentèrent des assassinats, et même occupèrent le
palais de Batista. Il n'y a rien dans les déclarations politiques de Castro
pendant cette période avant la révolution de 1959 qui le sépare du nationalisme
cubain anti-Batista le plus ordinaire. Son discours le plus célèbre, « L'histoire
m'absoudra », préparé pour sa défense au procès sur l'assaut de Moncada,
consiste en dénonciations de la répression de la dictature et en une liste de
réformes démocratiques assez modérées.
Après un court
séjour en prison, Castro partit au Mexique d'où, à la fin de 1956, il organisa le
débarquement à Cuba de quelque 80 hommes. Comme à Moncada, l'opération fut une
catastrophe - à peine une douzaine d'hommes survécurent aux premiers heurts
avec les forces répressives de Batista. Cependant, deux ans à peine plus tard
Castro devait prendre le pouvoir.
Le pouvoir tomba littéralement
aux mains des guérilleros de Castro parce qu'il n'existait aucune autre force
politique crédible sur l'île.
Ce vide politique
était le fait, avant tout, de l'absence de toute avant-garde révolutionnaire de
la classe ouvrière cubaine. Malgré les limitations du réformisme castriste, sa
politique sociale était bien plus avancée que celle prônée par les staliniens. De
plus, ses actions armées, malgré leurs maigres succès, lui assuraient un large soutien
populaire, alors que les staliniens cubains étaient perçus comme étant des
complices de la dictature.
Les premières
intentions de Castro étaient d'arriver à un arrangement avec les Etats-Unis.
Lors de son premier voyage aux Etats-Unis, quatre mois après son arrivée au
pouvoir, Castro déclara: « J'ai déclaré de manière claire et définitive
que nous ne sommes pas des communistes. La porte est ouverte aux investissements
privés qui contribuent au développement de l'industrie à Cuba. Il nous est absolument
impossible de progresser si nous ne parvenons pas à nous entendre avec les
Etats-Unis. »
Le mouvement de
Castro, cependant, s'était engagé à faire une réforme agraire limitée ainsi
qu’à certaines mesures sociales visant à aider le peuple cubain. Dans ses
premiers mois, il avait décrété la redistribution des terres en friche, une
réduction des loyers, des augmentations de salaire, et diverses mesures
généralisant l'accès à l'éducation et aux soins médicaux.
Washington ne
voulait rien entendre.
Les Etats-Unis
tentèrent de discipliner Castro par la pression économique pure et simple. Dans
un conflit en spirale avec le régime cubain, les Etats-Unis stoppèrent leurs
importations de sucre cubain - la principale source de revenus du pays - puis
refusèrent de lui vendre du pétrole.
Le régime cubain riposta
par des nationalisations, d’abord de la propriété américaine, ensuite des
entreprises cubaines, et en se tournant vers la bureaucratie soviétique pour
avoir de l’aide.
La politique
extérieure américaine était rigidement idéologique et revancharde. La
Grande-Bretagne avait réagi à de telles situations très différemment – les
leaders africains tels Nkrumah, Kuanda, et Kenyatta étaient courtisés malgré
leurs discours radicaux et même « socialistes », préservant ainsi
l’influence et les intérêts de l’impérialisme britannique dans la
région.
Ironiquement,
l’arrogance et la stupidité américaines furent parmi les piliers centraux
du régime castriste de ces 40 dernières années. Elles lui ont permis de se
présenter comme l'incarnation du nationalisme cubain et de dénoncer toute
opposition comme étant un outil de l'impérialisme yankee.
En se tournant
vers Moscou, Castro forgea une alliance avec les staliniens cubains. Les
pablistes, et la gauche petite-bourgeoise en général, applaudirent ce geste
comme une indication de plus de la radicalisation de la révolution et de son
caractère socialiste. Il n’en n’était rien. Comme nous l'avons vu,
le Parti Socialiste Populaire (PSP) --le nom du parti stalinien cubain à
l'époque--était une force politique complètement réactionnaire et discréditée.
Il représentait une partie de l'establishment politique bourgeois à
Cuba, ayant fidèlement servi même le régime de Batista.
Se trouvant
inopinément catapulté au pouvoir, Castro se tourna par nécessité vers le PSP.
Il n’avait ni parti, ni programme, ni une vraie armée. Les staliniens
cubains lui fournirent un appareil et une idéologie par desquels il pouvait
régner.
Castro réinterpréterait
par la suite son propre passé politique, déclarant qu’il était devenu « marxiste-léniniste »
longtemps avant le coup d’état de Batista, mais « pas exactement »
un communiste. Toutes ses aventures politiques - depuis son temps avec les
gangs anti-communistes à l’Université de La Havane jusqu’à sa
campagne électorale comme candidat d’un parti bourgeois - furent
expliquées comme de simples initiatives tactiques visant à préparer les
conditions pour une révolution socialiste.
Que trouvait
Castro—tout comme les autres nationalistes bourgeois de gauche--dans le « marxisme-léninisme? »
Il est clair qu’ils ne cherchaient pas une perspective scientifique pour
guider la lutte des travailleurs pour leur propre émancipation sociale et
politique. Mais c’était en même temps bien plus qu’un simple
prétexte pour obtenir le soutien de Moscou.
Ils comprenaient
le marxisme-léninisme qu’ils apprenaient des staliniens comme une
politique promouvant l’utilisation de l’Etat pour effectuer des
changements voulus à l’ordre social. Ils y voyaient aussi la
justification de leur propre contrôle illimité sur l’Etat, dirigé par un « parti
révolutionnaire » omnipotent couronné par un leader national infaillible
et irremplaçable. Il faut rappeler que Chiang Kai Shek avait aussi pris les
staliniens comme modèle pour le régime interne de son parti, le Kuomintang.
Le mythe de la guérilla
Comme presque tous
les régimes et tendances nationalistes qui sont nés pendant
l’après-guerre, le castrisme reposait sur une série de mythes concernant
ses origines et son développement. Le besoin de mythes leur est incontournable,
du fait qu’ils reposent sur la petite bourgeoisie ou la bourgeoisie
nationale, tout en prétendant représenter les intérêts des masses opprimées.
Après leur arrivée
au pouvoir, Castro et ses fidèles dépeignirent leur victoire comme le résultat
exclusivement de la lutte armée menée par les guérilleros des montagnes de la
Sierra Maestra: une victoire militaire contre l’impérialisme et la
bourgeoisie locale remportée par une petite force grâce à la volonté et à la
détermination. A peine un mois après le renversement de Batista, Che Guevara
écrivait:
« Nous avons
démontré qu’un petit groupe d’hommes déterminés, qui ont le soutien
du peuple, et qui ne craignent pas la mort [...] peuvent venir à bout
d’une armée régulière. [...] Il y a une autre leçon pour nos frères en
Amérique [latine], qui sont économiquement dans la même catégorie agraire que
nous, qui est que nous devons faire des révolutions agraires, lutter dans les
champs, et de là conduire la révolution aux villes, et non pas la faire dans
ces dernières. »
Cette conception,
qui devint l’explication officielle de la révolution cubaine, était une
déformation radicale des faits. Au cours des six années pendant lesquelles
Batista était au pouvoir, 20,000 Cubains furent tués par le régime. Parmi
ceux-là, 19,000 furent tués dans les villes. Des actes de sabotage, des grèves
politiques, et d’autres formes de résistance, la plupart hors du contrôle
du mouvement castriste du 26 juillet, étaient largement répandus et donnèrent
l’impulsion principale à la chute du régime.
Les guérilleros
castristes étaient, au plus, de quelques milliers d’hommes. Il n’y
eut aucune bataille militaire concluante et la bataille la plus grande ne vit
combattre, au plus, que 200 guérilleros. Batista perdit le soutien à la fois de
la bourgeoisie cubaine—dont une bonne partie soutenait Castro--et de
Washington, qui imposa un embargo d’armes sur son régime. Privé de ce
soutien, le régime se désintégra rapidement.
A
l’intérieur de Cuba, ce mythe de la défaite de l’impérialisme
américain et des classes dirigeantes nationales par les guérilleros castristes,
du fait uniquement de leur audace et de leur prouesse militaire, servait un
objectif politique bien défini. Il justifiait la consolidation d’un
régime qui plaçait tout le pouvoir de l’Etat incontestablement entre les
mains de Castro lui-même.
Le mythe développé
par Castro et Guevara serait exporté, avec des résultats désastreux. La
soi-disant « voie cubaine » était présentée à travers
l’Amérique latine comme la seule forme possible de lutte révolutionnaire.
Des milliers de jeunes en Amérique latine allèrent à leur mort après avoir reçu
la promesse que tout ce qu’il fallait pour renverser des gouvernements et
mettre fin à l’oppression sociale était du courage et quelques armes.
L’écrit le
plus célèbre de Guevara, « Guerra de Guerrillas » (guerre de guérilla)
était le manuel d’usage de cette stratégie condamnée d’avance. Il
résumait ce que Guevara décrivait comme les trois grandes leçons de
l’expérience cubaine pour la « mécanique des mouvements
révolutionnaires en Amérique: »
1) Les forces
populaires peuvent gagner une guerre contre l’armée.
2) Il n’est
pas nécessaire que toutes les conditions soient réunies pour faire une
révolution ; le foco insurrectionel [l’unité de guérilla] peut les créer.
3) Dans les
Amériques sous-développées, le terrain de la lutte armée doit principalement
être les zones rurales.
Ce qu’il y
avait d’analyse politique dans ces écrits était radicalement faux. La
voie du développement en Amérique latine était depuis longtemps capitaliste. La
fondation essentielle de l’oppression en Amérique latine n’était
pas, comme disait Guevara, les latifundia--c’est-à-dire la concentration
des terres aux mains d’un petit nombre de propriétaires--mais des
relations capitalistes de travail salarié et de profit. Alors même que Guevara écrivait
ces lignes, le continent subissait de plein fouet d’importants changements
structurels qui prolétarisaient encore plus la population et avaient pour
conséquence une migration massive des zones rurales vers les villes.
Rien de ceci
n’était analysé. La préparation révolutionnaire était limitée à un
processus impressionniste de choix d’une région rurale bien adaptée à une
guerre de guérilla. Ceux qui suivirent cette perspective se virent terrés dans
des jungles et des arrière-pays, condamnés à des combats au corps à corps avec
les armées latino-américaines.
Ce qui ressort
constamment dans la politique de Guevara est le rejet de la classe ouvrière
comme classe révolutionnaire et le mépris pour la capacité des travailleurs et
des masses opprimées de devenir politiquement conscients et de lutter pour leur
propre libération.
En proposant la
campagne comme seule arène possible à la lutte armée, il ne s’agissait
pas de mobiliser les paysans autour de revendications sociales. Au contraire,
la conception de Guevara était d’utiliser la violence pour « obliger
la dictature à utiliser la violence, démasquant ainsi sa véritable nature comme
dictature des classes sociales réactionnaires. » C’est-à-dire que le
but des unités de guérilleros était de provoquer la répression contre les
paysans, qui étaient supposés répondre en soutenant la lutte contre le
gouvernement.
Pour une telle
lutte, on n’avait besoin ni de théorie ni de politique, et encore moins
d’intervenir activement dans les luttes des travailleurs et des masses
opprimées. En préparant la construction de groupes de guérilleros à travers
l’Amérique latine, Guevara insista sur l’exclusion de toute
controverse ou discussion politiques. L’unité devait se baser seulement
sur l’assentiment à la tactique de la « lutte armée ».
Le désastre du Guévarisme
Les résultats
furent, comme on pouvait le prévoir, désastreux. Guevara mit en place ses
premiers groupes de guérilleros dans son Argentine natale, sous la direction du
journaliste Jorge Masetti. Dans sa biographie de Guevara, Anderson donne des
détails particulièrement terrifiants de ce désastre. Les guérilleros ne virent
jamais le combat. Certains se perdirent et seraient apparemment morts de faim
dans la campagne; d’autres furent capturés par la police. Avant la
décimation de son groupe, cependant, Masetti avait ordonné l’exécution de
trois de ses membres pour de prétendues infractions à la discipline.
L’auteur cite un des guérilleros ayant survécu, qui remarque que les
trois hommes condamnés étaient tous juifs. Il se trouve que Masetti, avant de
s’aligner sur le castrisme, avait été membre d’un groupe
nationaliste d’extrême-droite et anti-sémite en Argentine.
Le groupe de
Guevara en Bolivie connut une fin semblable. L’élément le plus
remarquable de son activité était son indifférence envers la situation
politique et sociale dans le pays. Les mineurs d’étain, la force la plus
puissante de la révolution bolivienne de 1951, participaient à des grèves et à
des confrontations avec l’armée dans les mois précédant l’arrivée
de Guevara en Bolivie. Dans son journal intime, Guevara remarque ces évènements
simplement comme toile de fond de ses propres activités. Il n’avait
aucune perspective ni politique à présenter aux travailleurs boliviens. Quant
aux paysans boliviens, leur réaction à l’initiation de la lutte armée
n’était pas de soutenir les guérilleros, mais de les livrer à
l’armée.
En Bolivie, les
castristes avaient compté sur le soutien du Parti communiste pro-moscovite. Ce
soutien ne se fit jamais sentir, et beaucoup d’observateurs attaquèrent
les staliniens et la bureaucratie de Moscou elle-même pour avoir condamné les
guérilleros à un isolement total et peut-être même pour avoir donné au
gouvernement américain des renseignements sur l’emplacement du Che.
C’est tout à
fait possible. Le secrétaire général du PC bolivien, Monje, était apparemment
en contact avec le KGB; il partit vivre de façon permanente à Moscou peu de
temps après la mort de Guevara. Une chose qui ressort de la biographie de Castaneda
est de voir que les principaux partis communistes d’Amérique latine
étaient dominés de façon extraordinaire par de telles personnes, dans bien des
cas, des hommes qui avaient joué un rôle direct dans l’assassinat de Trotsky
en 1940. Il établit aussi, à partir de documents récemment devenus disponibles
dans les archives soviétiques, que ces partis étaient financés par des
subventions directes depuis Moscou. La bureaucratie soviétique se payait des
agences politiques fiables dont le but était d’aider sa quête pour une
coexistence tranquille avec Washington.
Mais finalement on
a l’impression qu’une telle trahison n’était pas vraiment si
nécessaire. L’idée qu’une révolution se ferait grâce à
l’arrivée d’une vingtaine d’hommes armés dans une région où
ils n’avaient aucun antécédent politique, aucun soutien ni même un
programme politique ou une perspective politique à développer, était condamnée
d’avance. On a un certain aperçu du caractère lamentable de cette
aventure en apprenant que, pendant ses derniers jours, cerné par l’armée
bolivienne, Guevara projetait de faire appel au soutien international ... en
adressant des lettres à Bertrand Russell et à Jean-Paul Sartre.
Cuba et la Quatrième Internationale
La révolution
cubaine fut un tournant critique dans l’histoire de la Quatrième
Internationale.
Après avoir dirigé
la lutte contre le pablisme en 1953, la section américaine, le Socialist Workers
Party (SWP), se réunifia avec la principale tendance pabliste dirigée par
Ernest Mandel dix ans plus tard. Cette réunification se basa principalement sur
une évaluation commune du castrisme et du rôle du nationalisme petit-bourgeois.
Le SWP et les pablistes déterminèrent, au vu de la nationalisation de la
majorité des forces productives à Cuba, que Cuba était devenu un Etat ouvrier. De
plus, ils avancèrent la perspective que le castrisme pourrait devenir une
tendance internationale, donnant naissance à un nouveau leadership
révolutionnaire de la classe ouvrière internationale.
Cette perspective
avait des implications allant bien au-delà de Cuba. Comme Trotsky l’avait
fait remarquer pendant le débat sur la définition de l'Etat soviétique en
1939-40, toute définition sociologique recouvre un pronostic historique. La
désignation de Cuba comme Etat ouvrier représentait une rupture avec toute la
conception historique et théorique de la révolution socialiste développée
depuis Marx.
A Cuba, le pouvoir
était tombé aux mains d'une armée de guérilleros d'un caractère clairement
nationaliste et petit-bourgeois, sans attaches sérieuses aux travailleurs. Les
travailleurs eux-mêmes n'avaient joué aucun rôle sérieux dans la formation du
nouveau régime, et ils n'avait pas plus établi de manière d'exercer un contrôle
démocratique sur l'Etat nouvellement constitué.
Désigner un tel Etat
d’« Etat ouvrier » avait d'immenses ramifications. Cela
signifiait l'abandon de toute la lutte menée par le mouvement marxiste pour
l'indépendance politique et d'organisation de la classe ouvrière. Cela
indiquait au contraire que la voie vers le socialisme était la subordination
des travailleurs aux leaders politiques petit-bourgeois. Ce serait les
castristes, les armées de guérilleros et d'autres nationalistes rattachés à la
petite bourgeoisie, qui dirigeraient la révolution socialiste, non pas la
classe ouvrière éduquée et organisée par les partis de la Quatrième
Internationale. C'était le principal pronostic historique qui se dégageait de
la définition sociologique d'un Etat ouvrier cubain émise par les pablistes.
La perspective
élaborée par Joseph Hansen du SWP sur la question de Cuba reposait sur une grossière
vulgarisation du marxisme. Il prenait comme point de départ la décision antérieure
du mouvement trotskyste d'utiliser la définition très conditionnelle et un peu
improvisée « d'Etat ouvrier déformé » pour décrire la Chine et les Etats-tampons
d'Europe de l'Est.
Dans ces précédentes
discussions, le SWP avait mis l'accent sur l'adjectif « déformé »,
pour indiquer que ces Etats n'étaient pas historiquement viables. Il
s’était opposé à la tentative de Pablo d’utiliser cette définition
comme un moyen de doter le stalinisme d’un potentiel révolutionnaire.
Hansen, cependant,
même plus crûment que Pablo, tenta de démontrer que le fait que Cuba répondait
à une série de critères abstraits--surtout la nationalisation économique-- le
plaçait prétendument dans la catégorie des Etats ouvriers.
La classe ouvrière
n'avait pas fait la révolution, et elle n'exerçait aucun contrôle sur
l'appareil d'Etat après la révolution. Mais ces faits étaient relégués à une
position de vagues critères normatifs auxquels la révolution cubaine ne
répondait pas encore, montrant qu’il était nécessaire qu'elle fasse des
progrès et qu’il fallait d’autant plus la soutenir
inconditionnellement.
Comme Hansen l’écrivit
à l'époque: « Le gouvernement cubain n'a pas encore institué de formes
démocratiques de pouvoir prolétaire comme des conseils ouvriers, de soldats, ou
de paysans. Mais il a cependant fait des pas dans une direction socialiste il a
donné des preuves de ses tendances démocratiques. Il n'a pas hésité à armer le
peuple et instituer une milice populaire. Il a garanti la liberté d'expression
à tous les groupes qui soutiennent la révolution. A cet égard, il présente un
contraste bienvenu avec les autres Etats non capitalistes, qui ont été entachés
de stalinisme.
« Si la
révolution cubaine pouvait se développer librement, sa tendance démocratique
l'amènerait sans doute à la création rapide de formes prolétaires démocratiques
adaptées à ses propres besoins. Une des plus fortes raisons pour soutenir
vigoureusement cette révolution est donc de donner à cette tendance la
possibilité maximale d'opérer. »
La réalité cubaine
était très différente du scénario en rose dépeint pas Hansen. Les trotskystes
cubains, par exemple, furent réprimés sans merci, leurs chefs emprisonnés et
leur presse détruite. L'île a depuis longtemps un des chiffres les plus élevés
de prisonniers politiques au monde, dont un bon nombre sont d'anciens camarades
de Castro dans le mouvement du 26 juillet.
Du point de vue
théorique, l'aspect le plus trompeur de l'analyse de Hansen était sa suggestion
que, s'il évoluait dégagé de toute contrainte extérieure, le régime castriste
instituerait « des formes prolétaires démocratiques », c'est-à-dire
ces conseils ouvriers ou, pour utiliser le terme forgé par la révolution russe,
des soviets.
De telles organes
de pouvoir ouvrier, cependant, ne sont pas institués ou accordés par les
autorités supérieures d'un régime créé par des nationalistes petit-bourgeois.
De telles institutions - qu'elles soient créées par Castro, Khadafi, ou Saddam
Hussein - ne sont jamais rien de plus qu'une devanture pour un régime
bonapartiste. D’authentiques conseils ouvriers ou soviets ne peuvent être
créés que par les travailleurs eux-mêmes, comme moyen d'organiser les masses,
de renverser le capitalisme, et d'établir un nouvel Etat basé sur le pouvoir prolétaire.
Lénine et les bolcheviques
n'ont pas accordé les soviets aux travailleurs après être arrivés au pouvoir.
Ils ont au contraire dirigé la lutte pour le pouvoir au sein de ces organes que
le prolétariat russe lui-même avait créés au cours du développement de sa lutte
de classe et grâce au développement de la conscience de classe politique
produite par l'intervention dans la durée des marxistes russes.
Les pablistes ont
adopté la position que les nationalisations de Castro et l'auto-proclamation de
son marxisme-léninisme, constituaient la confirmation de la révolution
permanente.
En réalité Cuba,
comme tant d'autres pays opprimés dans les décennies qui ont suivi la Deuxième
guerre mondiale, ne confirmait que négativement la théorie de la révolution
permanente. C'est-à-dire que là où il manquait un parti révolutionnaire à la
classe ouvrière, qui se trouvait donc incapable d'offrir une alternative
politique aux masses opprimées, les représentants de la bourgeoisie nationale
et de la petite bourgeoisie ont pu agir pour imposer leurs propres solutions.
Nasser, Nehru, Peron, Ben Bella, Sukarno, les baasistes et, dans une période
plus tardive, les intégristes islamiques en Iran et les sandinistes aux
Nicaragua, sont tous des exemples de ce processus. Dans presque tous ces cas,
des nationalisations ont également eu lieu.
Dans un document
adressé au SWP par la Socialist Labour League (SLL) en 1961, les trotskystes
britanniques critiquèrent durement l'adulation par Hansen des leaders nationalistes
petit-bourgeois.
« Ce n'est
pas la tâche des trotskistes d'applaudir de tels leaders nationalistes »,
écrivirent-ils. « S’ils sont en mesure de disposer du soutien des
masses c’est uniquement du fait de la trahison de la démocratie sociale
et particulièrement du stalinisme, et ils deviennent ainsi des tampons entre
l'impérialisme et les masses de travailleurs et de paysans. La possibilité de
l'aide économique de l'URSS leur permet souvent d'obtenir de meilleurs
conditions dans leurs négociations avec l'impérialisme et permet parfois même
aux éléments plus radicaux parmi les leaders bourgeois et petit-bourgeois
d'attaquer les biens des impérialistes et ainsi de renforcer leur soutien parmi
les masses. Mais, pour nous, dans chaque cas la question essentielle dans ces
pays est que la classe ouvrière puisse conquérir son indépendance politique en
construisant un parti marxiste, dirigeant les paysans pauvres vers la création
de soviets, et reconnaissant les rapports nécessaires avec la révolution
socialiste internationale. A notre avis, les trotskystes ne devraient en aucun
cas substituer à cela l’espoir que les nationalistes puissent devenir des
socialistes. »
Ceux qui sont au
fait de la dégénérescence ultérieure du Workers Revolutionary Party britannique
reconnaîtront que ce passage est une accusation directe de la ligne de Healy,
Banda, et Slaughter, à peine une décennie plus tard, envers l’OLP et
différents régimes arabes. Ceci ne fait que démontrer la justesse de
l’analyse, et le fait que l’attaque révisionniste sur la Quatrième
Internationale était basée sur des forces objectives de classe. Ayant abandonné
la lutte contre le pablisme, la direction de la section britannique allait être
victime des mêmes forces qui avaient fatalement touché le SWP.
L’enjeu de
la proclamation de Cuba comme Etat ouvrier, et de sa révolution comme nouvelle
voie vers le socialisme, c’était la renonciation de la perspective de la
révolution permanente. La classe ouvrière n’avait plus un rôle dirigeant
à jouer dans les pays attardés, et on n’avait plus à lutter pour l’éveil
de la conscience socialiste de cette classe. Au lieu de cela, des bandes de
guérilleros, basés sur les paysans, pouvaient faire naître le socialisme sans
l’aide des travailleurs, voire même malgré eux.
Ceci marquait un
rejet des fondements les plus essentiels du marxisme. La lutte pour le
socialisme était séparée du prolétariat. La libération de la classe ouvrière
n’était pas la tâche de cette classe elle-même. Elle devenait plutôt la
spectatrice muette des actions de guérilleros héroïques.
En considérant
cette perspective, on peut comprendre clairement les bases de classe de
l'engouement durable de la gauche petite-bourgeoise dans son ensemble avec
Fidel Castro. Ce qu'ils voient dans Castro, c'est la capacité de la petite
bourgeoisie à dominer la classe ouvrière et à jouer un rôle apparemment
indépendant. Cuba, pour eux, démontrait que l'intellectuel de gauche,
l'étudiant gauchiste, ou le manifestant des classes moyennes n'avaient pas à se
subordonner à la classe ouvrière et à la lutte difficile et prolongée pour le
développement de la conscience socialiste parmi les travailleurs. Ils pouvaient
simplement révolutionner la société par leur propre activité spontanée.
En combattant
cette attaque révisionniste sur le marxisme, la SLL faisait remonter le conflit
sur Cuba à des questions fondamentales de méthode. Elle démontrait que le SWP
faisait ce que Trotsky avait nommé « le culte du fait accompli »,
c'est-à-dire qu'ils s'adaptaient à une prétendue réalité déterminée par la
structure sociale existante, les organisations politiques existantes de la
classe ouvrière et les formes de conscience bourgeoise qui prédominaient parmi
de larges couches de travailleurs et de personnes opprimées. Le tout était
traité comme une série de facteurs objectifs et déterminants, entièrement
séparés de la lutte consciente du parti révolutionnaire prolétarien.
La méthode du SWP
était de contempler passivement ces « faits » et de s'adapter aux
organisations existantes, en cherchant la stratégie qui offrait le plus de
chances d'un succès rapide. Ils devinrent ainsi des apologuespour ces
organisations, justifiant chacune de leurs actions en disant que, vu les
circonstances, que pouvaient-elles faire? Ces « circonstances »
excluaient cependant toujours la lutte consciente des trotskystes pour
mobiliser la classe ouvrière indépendamment sur la base de son propre programme
socialiste et internationaliste.
La SLL défendait
les conquêtes théoriques du mouvement trotskyste dans sa lutte contre le
stalinisme. Elle insistait pour dire que les expériences stratégiques de toute
l'époque impérialiste avaient démontré que des mouvements politiques qui se
basaient sur d'autres classes que la classe ouvrière ne peuvent pas mener à bien
les luttes pour la libération de l'oppression impérialiste et de
l’arriération économique et culturelledans les pays coloniaux ou
anciennement coloniaux.
Ces luttes ne
pouvaient aboutir que par la conquête du pouvoir par la classe ouvrière et
l'extension de la révolution socialiste mondiale. La tâche principale qui
découlait de cette analyse était la construction de partis indépendants
révolutionnaires de la classe ouvrière, basés sur une lutte contre toutes les
tendances opportunistes, particulièrement les staliniens, qui essayaient de subordonner
la classe ouvrière au nationalisme et aux partis nationalistes.
Surtout, le pablisme
niait que l'accomplissement de la révolution socialiste nécessitait le
développement d'un haut niveau de conscience politique socialiste dans les
sections les plus avancées de la classe ouvrière. Du point de vue pabliste, la
conscience politique des travailleurs était, en dernière analyse, une question
sans grande importance. S'il leur arrivait de considérer que la classe ouvrière
avait une relation à la révolution socialiste, c'était simplement en tant que
force objective dirigée et manipulée par d'autres.
La résolution
rédigée par les pablistes après la réunification avec le SWP énumérait les
implications politiques des révisions théoriques développées sur la question
cubaine: « La faiblesse de l’ennemi dans les pays arriérés laisse
ouverte la possibilité d’arriver au pouvoir même avec un instrument contondant. »
C'est-à-dire qu’il était possible d’établir des états ouvriers sans
même construire des partis de la classe ouvrière.
Dans ces pays,
déclaraient-ils, et particulièrement en Amérique latine, les conditions de
pauvreté massive et la faiblesse relative des structures de l'état bourgeois « créent
des situations où la faillite d'une vague révolutionnaire ne produit pas
automatiquement une relative stabilisation sociale ou économique, même
temporaire. Une succession apparemment inépuisables de luttes de masses
continue ... La faiblesse de l'ennemi offre à la révolution de plus importants moyens
de récupérer après des défaites temporaires que dans les pays impérialistes. »
C'était une
déformation grossière de la théorie de la révolution permanente de Trotsky.
Quand Trotsky désignait la faiblesse de la bourgeoisie dans la Russie tsariste,
ce n'était pas dans un vide intemporel, mais plutôt en relation à la domination
de l'impérialisme d'un côté, et de la force objective de la classe ouvrière
russe, peu nombreuse mais concentrée. La bourgeoisie n'était jamais trop faible
pour écraser ou contrôler la démocratie petite-bourgeoise. Elle était faible en
ce sens qu'elle confrontait un prolétariat jeune, à la tête duquel marchait un
parti révolutionnaire.
Les pablistes,
cependant, avaient rejeté le rôle du prolétariat industriel et avaient donné la
tâche de faire la révolution à précisément de telles forces
petites-bourgeoises.
Leur théorie des « instruments
contondants » et des « luttes de masses inépuisables » fut
élaborée à la veille du début d'une série de coups d’Etat soutenus par
Washington--commençant par celui du général Castelo Branco au Brésil--qui
plongeraient l'Amérique latine dans une décennie de répression cauchemardesque,
dont l'ombre plane toujours sur le continent.
Non seulement les
pablistes n’avaient pas préparé la classe ouvrière à de tels évènements, mais
ils avaient facilité ces évènements en insistant pour dire que d'autres forces
que la classe ouvrière pouvaient faire la révolution et en approuvant la
perspective castriste d'actions armées entreprises par des bandes isolées de
guérilleros.
Le pablisme et la crise de la direction ouvrière
Pourquoi le
castrisme devint-il un tel pôle d'attraction en Amérique latine? Si l'histoire
a réfuté la théorie selon laquelle les conditions préalables existaient pour
une lutte de guérilleros à travers le continent, il y avait une chose que tous
ces pays avaient en commun. Les représentants politiques dominants de la classe
ouvrière, particulièrement les partis communistes staliniens, n'offraient pas
de voie pour aller de l'avant dans une situation de crise révolutionnaire
grandissante.
La prétendue « nouvelle
réalité » célébrée par les pablistes--l'émergence d'une tendance
nationaliste radicale dirigée par la petite-bourgeoise, telle le
castrisme--était essentiellement une manifestation de la crise non résolue de
l'orientation politique de la classe ouvrière. Ils la présentaient, cependant,
comme une résolution de cette crise, désavouant l’objectif stratégique de
la Quatrième Internationale. Abandonnant une orientation indépendante vers la
classe ouvrière et la lutte pour construire un parti qui pourrait briser la
domination politique de la bureaucratie, ils réduisirent le rôle de la
Quatrième Internationale à celui de conseiller et d'assistant aux nationalistes
petit-bourgeois et aux staliniens, essayant de les influencer et de les pousser
subtilement vers la gauche.
Comment cette
perspective se réalisa-t-elle en pratique ? En 1968 les pablistes eurentleur
Neuvième Congrès, immédiatement après le désastre bolivien de Guevara, à la
veille de grandes luttes de classe en Amérique latine. Leurs instructions aux
partis membres du Secrétariat Unifié en Amérique latine étaient d'abandonner la
classe ouvrière et de mener des luttes de guérilla.
Leur communiqué
disait: « Même dans le cas de pays où il pourrait y avoir d'abord de
grandes mobilisations des classes urbaines, la guerre civile prendra des formes
variées, et l'axe principal d'une période entière sera la guérilla rurale, un
terme dont le sens principal est géographique et militaire, et qui n'implique
pas exclusivement (ou même principalement) une composition paysanne. »
Leur résolution
continuait: « La seule perspective réaliste en Amérique latine est la
lutte armée, qui peut durer bien des années. On ne peut concevoir la
préparation technique comme simplement un aspect du travail politique, mais
plutôt comme l'aspect fondamental à l'échelle internationale et l’un des
aspects fondamentaux dans ces pays où les conditions minimales n'existent pas
encore. »
Les instructions
n'auraient pas pu être plus explicites. Au cas où quiconque dans les sections
latino-américaines aurait pu avoir des doutes sur la question de savoir s'ils
avaient un soutien suffisant parmi les paysans, ou le soutien politique
nécessaire pour mener une insurrection dans les campagnes, la résolution
assurait qu'aucun soutien paysan n'était nécessaire et que la situation
politique n'avait rien à voir. On avait simplement à faire la « préparation
technique » de la lutte armée.
Le résultat fut la
liquidation politique et la destruction physique des cadres dirigés par les
pablistes en Amérique latine.
En Argentine, par
exemple, la section officielle du Secrétariat Unifié se reconstitua en ERP
avant de rompre formellement avec les pablistes. Elle s'engagea dans
l'enlèvement et la demande de rançon d’hommes d'affaires, ajoutant
simplement des revendications telles des augmentations de salaire et de
meilleures conditions pour les travailleurs.
Quel fut l'effet
de telles actions? On enseignait aux travailleurs que leur rôle n'était pas de
lutter pour mettre fin au capitalisme. Ils devaient simplement agir en
spectateurs reconnaissants, tandis que des guérilleros héroïques luttaient pour
eux.
Au Chili, les
travailleurs menèrent une offensive soutenue, qui fut finalement étranglée par
le gouvernement d'Unité Populaire d'Allende, dont la politique prépara le
chemin pour la dictature de Pinochet. En Argentine, le Cordobazo de 1969,
pendant lequel les travailleurs de Cordoba prirent contrôle de la ville,
inaugura une offensive soutenue qui fut réprimée par les péronistes et puis
liquidée par la dictature de Videla. En Bolivie, les mineurs se soulevèrent
mais se trouvèrent subordonnés par leurs dirigeants politiques à une section
prétendument de gauche et nationaliste de l'armée, dirigée par le général
Torres. Comme on pouvait le prévoir, Torres céda bientôt le pouvoir à ses
collègues plus traditionnels, qui usèrent d'une répression sans merci contre
les travailleurs boliviens.
En se tournant
vers le castrisme, les pablistes avaient abandonné et la classe ouvrière et la
lutte pour la libérer de la domination des vieilles bureaucraties. Tout comme
Castro avait soi-disant confirmé la révolution permanente, il avait aussi rendu
superflue cette lutte essentielle.
Hansen, du SWP,
avança cette thèse avec son cynisme et son manque de finesse habituels,
proclamant que Castro avait triomphé du rôle contre-révolutionnaire du
stalinisme.
« Incapable
de faire sauter l'obstacle stalinien, la révolution a fait un important retour
sur elle-même et a fait un détour. Ce détour nous a conduit dans des contrées
très accidentées, telles la Sierra Maestra de Cuba, mais il est clair que l'on est
à présent en train de contourner le barrage routier stalinien.
« On n'a pas
besoin de se tourner vers Moscou pour notre orientation. C'est la principale
leçon à tirer de l'expérience cubaine. Pour rompre finalement avec l'hypnose
stalinienne, il a fallu ramper à quatre pattes à travers les jungles de la
Sierra Maestra. »
Cette conclusion eut
des implications politiques bien définies, qui dépassaient largement Cuba. Si
l'on pouvait simplement « contourner le barrage routier stalinien »
grâce à une guerre de guérilla menée par des nationalistes petit-bourgeois, la
lutte difficile et soutenue menée par la Quatrième Internationale pour briser
l'emprise du stalinisme sur la classe ouvrière était non seulement superflue,
mais même contreproductive.
L'effet net de
cette perspective fut non pas de briser, mais plutôt de renforcer l'emprise du
stalinisme sur le mouvement ouvrier dans les pays opprimés et particulièrement
en Amérique latine. Elle contribua à éloigner toute une génération de jeunes
latino-américains de toute lutte au sein de la classe ouvrière. Ce virage vers
la lutte de guérilla fut un soutien inespéré aux staliniens et aux autres
directions bureaucratiques, isolant les éléments les plus révolutionnaires de
la jeunesse et une section des ouvriers radicalisés et renforçant ainsi le
contrôle des bureaucraties sur le mouvement ouvrier.
En fin de compte,
l'adaptation pabliste au nationalisme petit-bourgeois contribua à garantir que
la classe ouvrière n'aurait pas d'orientation révolutionnaire développée en
entrant dans les grandes luttes de classe de la fin des années 1960 et début
1970. Les aventures de guérilla qu'ils recommandaient donnèrent aux armées et à
l'impérialisme le prétexte nécessaire pour instaurer la dictature. Ainsi la
tendance révisionniste a joué un rôle essentiel dans la préparation des
défaites les plus sanglantes de l'histoire des travailleurs en Amérique latine.
Bilan de la guérilla
Que sont devenus
les mouvements guévaristes-castristes que les pablistes déclaraient être les
nouveaux instruments de la révolution socialiste? Tracer leur évolution
concrète signifie révéler le caractère de classe de ces mouvements depuis leurs
origines.
Le FALN
vénézuélien était un des principaux mouvements de guérilla dans les années
1960, formé avec le soutien cubain. Citons une déclaration d'un des leaders du
mouvement pendant cette période.
« Quand nous
parlons de la libération du Venezuela nous voulons dire la libération de toute
l'Amérique latine; nous ne reconnaissons pas de frontières en Amérique latine.
Nos frontières sont des frontières idéologiques. Nous interprétons la
solidarité internationale d'une façon vraiment révolutionnaire, et nous avons
donc résolu de combattre, combattre l'impérialisme jusqu'à ce qu'il n'existe
plus; nous sommes décidés de ne pas déposer les armes avant que l'impérialisme
nord-américain en particulier ne soit réduit à l'impuissance. »
L'auteur de ces
lignes était Teodoro Petkoff. Il a non seulement déposé les armes, mais il est
devenu depuis Ministre du Plan au Venezuela et le principal architecte de
l'application des programmes d'austérité du FMI. Après sa proclamation de
solidarité continentale et d'une lutte à mort contre l'impérialisme yankee, Petkoff
s'occupe à présent de réduire les salaires et de privatiser les entreprises
d'état, à fin de mieux concurrencer les autres pays de la région dans la lutte
pour obtenir des capitaux de l'étranger. Il est pressenti pour être le
principal candidat à l'élection présidentielle au Venezuela cette année.
Son cas a valeur
d'exemple. Les guérilleros Tupamaro de l'Uruguay font à présent partie du Frente
Amplio, un front électoral bourgeois qui gère les conditions de désintégration
sociale de la capitale, Montevideo. Le mouvement M-19 est arrivé à un
arrangement avec le gouvernement colombien qui lui assurait non seulement des
sièges au parlement, mais aussi l'occasion de troquer leurs armes pour des
prêts bancaires afin de créer de petites entreprises.
Au début des
années 1980, le régime castriste et ses défenseurs prétendirent qu'en Amérique
centrale, l'arrivée au pouvoir des Sandinistes au Nicaragua et l'éruption de la
guerre civile d'El Salvador offrait une nouvelle confirmationde leur
perspective.
Qu'est-il devenu
de tous ces mouvements? Les Sandinistes, le FMLN d'El Salvador, l'URNG au
Guatemala ont tous signé des pactes avec les forces responsables du meurtre de
centaines de milliers de travailleurs et de paysans. Castro a aidé à négocier
ces pactes dans les négociations de Contadora et Esquipulas, qui ont consolidé
le pouvoir aux mains de sections de la bourgeoisie soutenues par les
Etats-Unis, qui ont transformé les cadres des prétendus mouvements de
libération en députés parlementaires, en officiers militaires, et en policiers
des nouveaux régimes. Tous ces groupes se sont scindés en factions diverses, se
dénonçant mutuellement—à raison--pour leurs trahisons politiques et leur
corruption financière.
Entre-temps, les
masses de la région font face à des conditions de pauvreté et d'oppression autant,
voire plus sévères que celles qui propulsèrent les vagues révolutionnaires dans
la région il y a 20 ans. L'effet net de ces mouvements nationalistes
petit-bourgeois influencés par Castro fut de semer la démoralisation au sein
d’une couche de travailleurs, de jeunes, et de paysans les plus
militants.
Cuba aujourd’hui
Que dire du
Cuba ? Quel est le résultat final de la nouvelle voie vers le socialisme
proclamée par le régime de Castro et par les pablistes il y a 35 ans ?
Pendant 30 ans
l’île a survécu grâce aux énormes subventions versées par la bureaucratie
de Moscou. Selon les admirateurs de Castro et les estimations américaines, les
subventions économiques versées par l’URSS à Cuba s’élevaient à
entre $3 et $5 milliards par an. Le mécanisme pour ces subventions était
l’achat, par le bloc soviétique, de produits agricoles cubains,
particulièrement de sucre, à des prix supérieurs à celui du marché mondial
– parfois 12 fois supérieurs ! – et la vente du pétrole à des
prix en dessous du marché mondial. Avec cet arrangement, Cuba était arrivé à un
stade où il achetait du sucre de la République Dominicaine voisine, et
revendait le pétrole soviétique sur les marchés internationaux pour obtenir des
devises.
La dépendance sur
les subventions soviétiques a eu l’effet de consolider la monoculture du
sucre, fondation historique de son arriération économique et de son
oppression. Tout comme avant la révolution de 1959, les exportations du Cuba,
dont 83 pourcent allaient en URSS et en Europe de l’est, consistaient en
sucre, tabac, nickel, et quelques autres produits agricoles. Du bloc soviétique,
il importait des produits de consommation manufacturés et des machines, ainsi
qu’une bonne partie de son alimentation.
Aucun des
ajustements ou des changements abrupts de politique économique de l’infaillible
« lider maximo » Fidel Castro n’a changé cette relation
essentielle. Finalement, les importantes réformes gagnées par le peuple cubain en
matière de santé, d’éducation et de nutrition ont été soutenues par ces
subventions. Maintenant que le régime fait appel à l’investissement
direct de l’étranger, ces réformes sont systématiquement rongées.
Castro est entré
dans un pacte faustien avec la bureaucratie soviétique, fonctionnant comme un
pion dans les relations soviético-américaines en échange de subventions du
Kremlin. Fatalement, le diable est venu prendre ce qui lui est dû.
La dissolution de
l’URSS fut une catastrophe économique pour Cuba. La réponse du régime
castriste fut d’encourager davantage d’investissement en provenance
de l’étranger et de permettre le développement d’une stratification
sociale grandissante à l’intérieur du pays même.
Le ministre des
affaires étrangères Roberto Robaina a récemment expliqué la politique de Cuba
dans une interview pour le journal de l’Etat, Granma :
« Ce qui se passe à Cuba, c’est une ouverture économique avec entière
garantie pour les investisseurs étrangers. Cette ouverture est stratégique et
s’amplifie et s’approfondit chaque jour. […]
« Mitsubishi Motors,
Castrol, Unilever, Sherrit Gordon, Grupo Sol, Total, Melia Hotels, Domos, ING Bank,
Rolex, DHL, Lloyds, Canon, Bayer, ce sont tous des noms à succès dans
l’univers des affaires et on les trouve à Cuba. Certaines de ces firmes
ont le plus grand capital au monde et ils nous ont fait confiance.
« La facilité
de l’investissement, la sécurité et le respect, les garanties de rapatriement
des profits, la disponibilité de personnels excellents, les logements, le désir
d’avancer, le sérieux des négociations, et la loyauté des partenaires
cubains sont certains des éléments les plus appréciés par ceux qui ont choisi
de rejoindre Cuba ».
S’il ne
l’a pas dit dans Granma, on dit sans doute en privé à ces
investisseurs qu’à Cuba le travail est payé à des prix parmi les plus bas
de l’hémisphère, et que l’absence de grèves est assurée par un état
policier formé par les staliniens.
Le régime
castriste a l’habitude de dire qu’il recherche
l’investissement des capitalistes étrangers pour sauver « les
conquêtes sociales » de la Révolution Cubaine. La réalité est que le
régime de Castro, comme les régimes bourgeois à travers l’ancien monde
colonial, est en train de vendre de la main d’œuvre bon marché aux
multinationales.
Dans le cas de
Cuba, ce processus prend une forme très directe et centralisée. Le travail
cubain est vendu aux entreprises étrangères, qui paient le gouvernement cubain
en devises étrangères. Le gouvernement embauche les travailleurs nécessaires et
leur paie une fraction de cette somme en pesos, la devise locale. Les entreprises
étrangères conservent le droit de licencier les travailleurs.
La montée de
l’inégalité sociale se nourrit aussi d’une économie parallèle à
base de dollars. La plus grande source de devises étrangères à Cuba provient de
l’envoi par des exilés cubains, installés pour la plupart aux Etats-Unis,
d’argent à leurs familles. Que peut-on dire d’une révolution qui
dépend économiquement de ceux qu’elle a récemment dénoncés comme étant
des « gusanos » (des vers) contre-révolutionnaires ?
D’autres
devises étrangères entrent dans le pays par le biais du tourisme, que le régime
castriste a mis au centre de sa planification économique. Le résultat est
ce que certains ont appelé un apartheid touristique. De nouveaux hôtels,
restaurants, et magasins se construisent, réservés uniquement aux étrangers et
dont l’accès est interdit aux Cubains ordinaires. La prostitution
s’étend. L’immense majorité de la population vit dans la pauvreté.
Le régime
castriste met toutes les difficultés économiques de l’île sur le compte
de l’embargo américain. La politique américaine est, sans l’ombre d’un
doute, l’exercice brutal et irrationnel de la puissance impérialiste
envers un petit pays opprimé. Mais cette politique est en place depuis 35 ans.
Entre-temps, Cuba a eu des relations économiques avec presque tous les autres
grands pays du monde.
La crise cubaine
est fondamentalement le produit du caractère bourgeois de la révolution
elle-même. Elle n’a résolu aucun des problèmes historiques de la société
cubaine. Ces contradictions ont été simplement cachées par les subventions
massives de la bureaucratie soviétique.
Peu de pays au
monde ont vu un tel exode de réfugiés. Dans les premières années de la
révolution, c’était largement des couches bourgeoises ou de la classe
moyenne aisée. Mais ceux qui dans les années 80 et 90 fuyaient à bord de
radeaux et dans des chambres à air étaient motivés par les mêmes forces qui faisaient
fuir des milliers de personnes de Haiti, du Mexique, et de bien d’autres
pays: le désir d’échapper à la faim et à l’oppression.
En plus de cette
situation, il y a un régime qui étouffe les aspirations des masses de
travailleurs cubains. Castro règne à travers une dictature politique organisée
sur un tracé militaire. L’institution essentielle de l’état est
l’armée, qui dirige la plupart des entreprises économiques de Cuba.
Castro est enchâssé
dans la constitution cubaine comme président à vie. S’opposer à lui est donc
non seulement « contre-révolutionnaire », mais aussi
anticonstitutionnel. Il est à la fois chef de l’Etat, chef du
gouvernement, premier secrétaire du Parti Communiste et commandant en chef des
armées. Bref, tout pouvoir est concentré entre ses mains et il impose son
diktat personnel sur chaque décision importante. A présent que Castro est septuagénaire,
la succession devient une question de plus en plus pressante. Son frère Raul
occupe toutes les positions de second dans le gouvernement, l'armée, et le
parti.
Dans la mesure où
Cuba était identifié au socialisme--une idée promue par les impérialistes d'un
côté et le régime castriste et ses partisans radicaux de l'autre--ceci avait
l'effet de discréditer la conception d'une alternative socialiste au
capitalisme, particulièrement en Amérique latine.
Résumé
La Première
Internationale sous Marx a adopté le slogan que « La libération des
travailleurs sera la tâche des travailleurs eux-mêmes ».
C’est-à-dire que le socialisme est, en dernière analyse, l’auto-détermination
de la classe ouvrière. On ne peut pas l’accorder aux travailleurs ;
une autre classe agissant au nom des travailleurs ne peut pas la gagner pour
eux. Le socialisme ne peut être le produit que de la lutte consciente de la
classe ouvrière, organisée démocratiquement en classe par elle-même, luttant
pour transformer la société pour elle-même et pour le bien de toute
l’humanité.
Le Comité
international a défendu cette perspective contre toutes les théories en vogue dans
les années 1960 et 1970 qui niaient le rôle révolutionnaire de la classe
ouvrière et qui disaient avoir découvert d’autres raccourcis, plus
révolutionnaires et plus commodes, pour arriver au socialisme. Plus de trente
ans après, rien ne reste de ces théories. L’histoire a puissamment donné
raison à la lutte entreprise par le CIQI.
Nous voulons
rappeler ce que Joseph Hansen a dit sur la lutte intransigeante du Comité international
et son refus de s’incliner devant le castrisme. Cette position, a-t-il
prévenu, serait « un suicide politique en Amérique latine ». Que
s’est-il passé, en fait ? Le révisionnisme pabliste et son soutien
au castrisme ont encouragé une génération de jeunes radicalisés à tenter des
aventures suicidaires dont la classe ouvrière a payé le prix le plus lourd.
Que se serait-il
passé si, au lieu de s’adapter au castrisme, les forces influencées par
le pablisme avaient soumis le nationalisme petit-bourgeois à une critique sans
merci ?
Certainement le
résultat aurait pu être un isolement temporaire, du moins vis-à-vis des
mouvements dominés par la petite bourgeoisie, mais ils auraient ainsi éduqué
les sections les plus avancées des travailleurs et des jeunes. Cette lutte
aurait pu préparer une formation politique capable de mobiliser la classe
ouvrière dans une lutte révolutionnaire. Au lieu de tomber sous la domination
de dictatures militaires qui ont contribué à stabiliser un temps le capitalisme
mondial, l’Amérique latine aurait pu donner une impulsion puissante à la
révolution socialiste mondiale.
Les leçons
centrales que nous devons tirer de cette expérience stratégique concernent les
responsabilités essentielles des marxistes. Leur tâche n’est pas de
découvrir et de s’adapter à d’autres forces qui accompliront
spontanément la révolution socialiste. Elle est plutôt de construire des partis
indépendants et révolutionnaires de la classe ouvrière, des sections du Comité international
de la Quatrième Internationale, qui se basent sur une rigueur théorique
implacable et disent la vérité aux travailleurs.
Les conditions
objectives en Amérique latine et à travers le monde sont en train de mûrir vers
une situation où la lutte entreprise par le mouvement trotskyste rencontrera le
mouvement révolutionnaire de millions de personnes. Les leçons que le mouvement
trotskyste a assimilées des luttes pour le socialisme au 20e siècle deviendront
décisives pour leur réalisation au 21e.