Ceci est le premier article d’une série sur
l’édition 2007 du Festival de San Francisco qui s’est tenu du 26
avril au 10 mai.
Pour sa cinquantième édition, le récent festival de cinéma
de San Francisco a présenté 200 films (dont 108 longs métrages) en provenance
de 54 pays. Ce sont les Etats-Unis qui ont présenté de loin le plus grand
nombre de films, suivis par la France, l’Allemagne, l’Italie, et le
Canada. Quelques films, dont certains étaient remarquables, venaient de pays
d’Afrique tandis qu’un nombre plus important provenait
d’Amérique latine, dont le cinéma donne des signes de renaissance. L’Asie
a contribué aussi, mais pas, dans l’ensemble, avec des films d’une
grande qualité. L’Iran et Taiwan ont présenté chacun un film, reflétant d’une
certaine manière l’impasse où se trouvent les industries
cinématographiques de ces deux pays.
Les organisateurs du festival ont attribué divers prix à des
réalisateurs comme Spike Lee et George Lucas, au scénariste Peter Morgan (The
Queen), à l’acteur Robin Williams, à l’historien du cinéma et
au défenseur du patrimoine, Kevin Brownlow et au réalisateur de documentaires
Heddy Honigmann.
Le 29 avril, le metteur en scène et directeur artistique
bien connu Peter Sellars a fait le discours annuel du festival sur « l’état
du cinéma ». Selon la presse, Sellars, dans son discours « est
sans cesse revenu sur la montée du fascisme en Europe pour souligner les défis
que doivent actuellement relever l’art et l’humanité. Insistant sur
la manière dont les médias numériques donnent le pouvoir aux voix issues du
monde entier dans ce nouveau siècle…, il a parcouru des millénaires et
des continents à la poursuite de son sujet, et est peut-être parvenu à faire
passer le message quand il a fait référence à l’industrie pénitentiaire de
Californie et à la politique draconienne d’immigration, que Sellars a présentées
sous un jour extrêmement dur et effrayant. »
Il a continué « Actuellement, alors que partout dans le
monde ce sont les gouvernements qui posent problème plutôt qu’ils n’apportent
de solution, il faut qu’en tant qu’artistes nous puissions créer
une nouvelle possibilité pour un nouveau modèle d’Etats auxquels nous puissions
appartenir, adhérer, souscrire et qui corresponde réellement à ce que nous
croyons, à ce à quoi nous aspirons, et à ce pour quoi nous luttons. » (SF
360)
La veille, l’acteur Danny Glover, avait participé à
une conférence de presse avant la présentation de Bamako,film du
Malien Abderrahmane Sissako, et plaidoyer contre la politique du FMI et de la
Banque mondiale en Afrique. Danny Glover est le producteur de ce film. Il a
parlé de « l’accroissement de la dette, l’accroissement des
inégalités » en Afrique et les dégâts provoqués par l’actuelle
politique économique « néo-libérale ».
Répondant à la question d’un journaliste du WSWS sur
l’actuel état déplorable du cinéma américain, Glover a salué des films
comme Good Night and Good Luck et Syriana, puis il a réclamé une
« démocratisation réelle » de l’industrie cinématographique américaine.
Il a attaqué ceux qui « s’attachaient au paradigme du succès »
qui ne mesure que le nombre d’entrées. Il a proposé « De ne pas se
cantonner aux médias pour avoir une idée exacte du monde. »
Les films les plus intéressants présentés cette année au
festival de San Francisco étaient ceux qui étaient honnêtes et exigeants, des
œuvres qui essaient au moins de montrer sous un jour artistique la vie des
gens, ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent (« notre vie
en trois dimensions »), de montrer leurs forces comme leurs faiblesses.
Bien sûr, les artistes sont libres de faire ce qu’ils
veulent, mais, pour créer une œuvre qui a un impact profond et durable,
ils doivent traiter de réalités importantes, des réalités vraiment indispensables.
Les gens sont curieux de tout, ils aiment le spectacle et le théâtral. Ceci
peut revêtir des formes voyeuristes, morbides et faciles (comme c’est
actuellement trop souvent le cas), mais il peut en être autrement.
Un des vifs intérêts que les gens possèdent et qu’ils
peuvent développer (s’ils y sont encouragés), c’est une fascination
pour l’histoire et pour la nature de leur propre société. Ceci peut
revêtir l’aspect de romans, de pièces de théâtre ou de films qui concentrent
dans leurs histoires individuelles les dilemmes moraux les plus difficiles de
notre époque.
Actuellement, le cinéma ne parvient presque jamais à
satisfaire voire même à traiter des intérêts les plus larges de l’humanité.
Nous rencontrons trop d’étroitesse, d’égocentrisme et
d’égoïsme, un manque de profondeur et d’ampleur.
Cette année, parmi les films qui ont eu le meilleur accueil
on peut citer Rome plutôt que toi (réalisé par l’Algérien Tariq
Teguia) , le film sud-coréen, Le vieux jardin (Im Sang-soo), Etrange
Culture, réalisé par l’Américaine Lynn Hershman Leeson), Le ciel
deSuely, du Brésilien Karim Aïnouz, Si le vent soulève les
sables, réalisé par la franco-belge Marion Hänsel, Le Violon, du Mexicain
Francisco Vargas, A Walk to Beautiful, del’américano-éthiopienne,
Mary Olive Smith, et Le viol de l’Europa, de Richard Berge, Bonni
Cohen et Nicole Newnham, un film sur le pillage par les nazis des œuvres
d’art en Europe.
Il y a des passages remarquables dans.After This Our
Exile, du réalisateur originaire de Hong-Kong et Malaisie, Patrick Tam et L’immeuble
Yacoubian, de l’égyptien Marwan Hamed, Singapore Dreaming (des
singapouriens Yen Yen Woo et Colin Goh) et Fresh Air, de la hongroise
Agnes Kocsis méritent tous d’être évoqués.
Rome plutôt que
toi
Dans le film Rome plutôt que toi, Kamel et Zinna sont
deux jeunes algérois qui cherchent à sortir d’une situation qui ne marche
pas. Kamel dit à Zinna : « Viens avec moi à Rome, à Marseille, à
Barcelone, à Madrid, en Amérique. » Puis il ajoute ironiquement :
« Vive la mondialisation ! ». Elle est beaucoup plus sceptique
quant à partir. Elle travaille dans une clinique et elle y fait aussi des ménages.
Au restaurant, il lit un journal avec pour gros titre, « Massacre près
d’Alger ». Entre 1992 et 2002, 160 000 personnes ont trouvé la mort
au cours de la lutte sanglante entre l’establishment nationaliste
bourgeois et les intégristes islamistes. Rien n’a été résolu.
Ils partent tous deux à la recherche d’un homme qui
peut leur fournir de faux papiers pour voyager. Tout ce qu’ils savent de
cet homme, c’est qu’il habite dans une maison avec « des
colonnes en béton et un garage ». Ils roulent dans une banlieue quelconque,
où toutes les maisons se ressemblent et où beaucoup d’entreelles semblent inachevées. On ne trouve aucunpanneau indicateur parce qu’on « ne les
met que quand tout est construit ». Ils se renseignent sur l’homme
en question, et ajoutent « on n’est pas là pour
l’assassiner ».
Kamel, toujours à la recherche de l’homme, pénètre dans
un café. Pendant ce temps, Zina attend dans la voiture que leur a prêtée
l’oncle de Kamel. Kamel rencontre une connaissance. Ils parlent de la
vie : « La chose la meilleure au monde, c’est dormir sur une
plage après avoir trop bu. » « Qui a dit cela ? Cheb
Hasni ? » (un chanteur algérien célèbre qui a été assassiné par les
islamistes en 1994) « Non, c’est Arthur Rimbaud. Ils étaient sur la
même longueur d’onde. »
Indépendante et même un peu contrariée, Zina descend vers la
mer, les deux hommes vont à sa rencontre. Kamel lui reproche de ne pas être
restée dans la voiture. Elle répond : « Nous devions aller à la
plage, mais tu m’as emmenée dans ce quartier pourri. »
Dans la meilleure scène du film (qui est aussi la plus
longue), Kamel, Zina et son ami sont interpellés par une patrouille de
policiers. Ils savent que Kamel est à la recherche d’un passeur et de faux
papiers, même si Kamel ne reconnaît rien. Les policiers se montrent brutaux et
menaçants, ils forment une équipe très soudée. Leur chef essaie
d’intimider Kamel et Zina et il philosophe aussi. Il demande, sans
vraiment attendre une réponse : « A votre avis l’Amérique
a-t-elle une opinion sur le monde ou bien simplement des intérêts ? »
Toujours au sujet des Etats Unis, il continue : « Coca-Cola et le
hidjab (le voile islamique porté par les femmes) ou Coca-Cola et jeans
moulants, mais c’est toujours Coca-Cola. »
Les flics emmènent le trio au commissariat et les retiennent
quelques heures. Après leur libération, les trois jeunes errent en voiture,
complètement perdus. Et il y a toujours le couvre-feu. Ils passent la nuit chez
une de leurs connaissances. Chacun est désemparé, ou assez déprimé. Un ancien
journaliste explique à Kamel : « Personne n’imprime plus mes
articles. »
Une fois seuls, Kamel dit à Zina : « Allez,
courage, je veux t’emmener à Anvers. ». Elle répond : « Je
ne veux rien du tout. » La question d’un passeport suisse falsifié
est soulevée. Zina fait remarquer : « Comment pouvons-nous nous faire
passer pour Suisses ? » Elle continue, parlant d’émigrer en Europe :
« Est-ce que je suis censée vivre là-bas dans la
clandestinité ? » Il répond « Et ici, tu vis comment ? »
Elle ne sait que répondre.
Kamel peut aussi être romantique. « Je veux entendre ta
respiration. La respiration d’une fille vivante. »
De façon inattendue, ou peut-être pas, la tragédie finit par
frapper.
Romeplutôt que toi est
un film fait avec intelligence et sensibilité. On perçoit très bien l’esprit
et les sentiments de toute une génération (où d’une partie de cette
génération), une jeunesse qui ne veut pas choisir son camp dans une guerre
civile ou qui ne veut pas non plus s’intégrer à l’Algérie. Ils ne
se font pas non plus d’illusions sur ce qu’ils vont trouver en
Europe. Le film, loin de condamner ou d’excuser, donne à voir leur
situation difficile.
Dans ses notes, le réalisateur, Tariq Teguia explique à
propos des personnages principaux du film : « Non, toutes les jeunes
filles ne baissent pas les yeux dans la rue ; oui, beaucoup de jeunes Algériens
veulent émigrer ! Pas seulement pour des raisons matérielles — travail
ou logement —, mais parce qu’ils rejettent — même si
c’est inconscient — une société qui les emprisonne. »
Il écrit également que le sujet de son film : « C’est
autant la politique que les filles, les cigarettes et le terrorisme, les faux
papiers, les coupures d’eau, dans la langue de ceux qui vivent cela.Tout est organisé de façon assez désordonnée afin de
mieux comprendre ce dont la situation sociale prive les personnages… »
Rome plutôt que toi n’est pas un film
pessimiste, même s’il comporte des aspects potentiellement
démoralisateurs comme l’atmosphère étouffante, l’omniprésence de la
police, la présence des islamistes, le manque de perspective économique, les
perspectives politiques gâchées, l’impression d’encerclement,
l’impression d’avoir à affronter des attaques omniprésentes. Tariq
Téguia explique qu’en Algérie, il n’existe pas de « zone de
conflit ouvert. La violence est brève même si elle revêt parfois une forme
extrêmement sanglante. La violence est quotidienne, elle n’en est pas
moins présente. Ce n’est rien d’extraordinaire, c’est le lot
de la vie de tous les jours. » Néanmoins, Téguia fait part de son espoir, celui
de « faire naître la joie, cachée sous le poids de la violence ».
Les personnages et les dialogues sonnent vrai. Ils parlent sans
détour, mais leur discours n’est pas simpliste. Leur situation est bien
exprimée ou bien évoquée, mais il n’y a aucun cri, ni aucune exagération.
Ce film algérien atteint un niveau de sophisticationmoral et social qui
fait cruellement défaut de nos jours à la plupart des films américains ou
européens.
Des films
brésiliens ou des films sur le Brésil
On pourrait dire la même chose du film brésilien Le ciel
de Suely. Le scénario est encore plus simple. Partie de São Paulo, Hermila
revient dans la ville d’Iguatu — à l’extrême nord-est du
Brésil — avec son bébé dans les bras. Son mari Mateus doit la rejoindre.
« La vie est trop chère à São Paulo, nous avons décidé de rentrer au
pays. » Elle vit avec sa grand-mère, quelque peu désapprobatrice, et sa
tante et elle attend l’arrivée de Mateus. Elle se rend très souvent à la
cabine téléphonique : « Je t’aime.Tu me manques. Quand est-ce
que tu viens ? » Il devient de plus en plus clair (pour nous, puis
pour Hermila) que Mateus ne va pas venir. En fait, il disparaît dans la ville.
Hermila essaie de s’en sortir, en lavant des voitures
et en vendant des tickets de loterie. Elle renoue avec un de ses anciens petits
amis, mais cette relation a des perspectives limitées. Elle aussi veut partir,
dans une autre région du Brésil, pour repartir à zéro (à la gare routière, on
la voit demander le nom de la ville la plus éloignée de Iguatu – « Pouvez-vous
m’écrire cela s’il vous plaît ? »). Sa meilleure amie est
une prostituée, Georgina. Hermila décide de devenir le prix d’une tombola.
Celui qui aura le ticket gagnant aura « une nuit au paradis ». Elle
prend le nom de Suely et commence à vendre des billets dans toute la ville.
Ceci provoque un scandale, sa grand-mère la met dehors, mais elle est
déterminée à poursuivre son idée.
Dans Le ciel de Suely Karim Aïnouz évoque également
des événements plus ou moins directs et l’approche du cinéaste est
empathique. Les problèmes des personnages et leurs joies sont pris au sérieux. Karim
Aïnouz (Madame Sata) explique : « Quand je regarde le Brésil,
je suis hanté par une question : quel avenir peut espérer une jeune femme
avec de faibles moyens, surtout si elle doit élever un enfant et si son corps
est en train de bouillir de désirs et d’aspirations? »
Il note : « Iguatu est une ville où il fait
extrêmement chaud, le soleil est implacable, et il y a un grand ciel bleu.
C’est une petite ville éloignée de tout, située au milieu d’une
vaste plaine presque déserte. C’est une ville que beaucoup de gens
quittent et où peu de gens restent. C’est une ville de passage où le 21e
siècle semble arriver par petits bouts, par fragments qui résonnent d’un
avenir lointain. Pour la plupart des gens, c’est un lieu de départ....
« Je voulais dresser un portrait de la vie quotidienne
à Iguatu sans en faire quelque chose d’exotique. Le nord-est du Brésil
(qui est aussi le lieu de naissance du réalisateur) est une région qui est
également célèbre pour le nombre de personnes qui la quittent. Comme la qualité
de vie là-bas laisse à désirer, beaucoup de ses jeunes partent à Rio ou à São
Paulo à la recherche de travail. »
Pourquoi « Suely » (Hermila) est-elle « dans
le ciel » ? Aïnouz explique que le ciel est « un endroit éloigné
où chacun peut être heureux. Le ciel est à la fois partout et nulle part. Le film,
ce sont les étapes d’Hermila pour y arriver. » Le fait que ses rêves
sont surtout illusoires et que les choses ne seront pas vraiment différentes
dans une autre ville ne sont pas des questions insignifiantes.
L’action de Fish Dreams (Rêves de poissons) de
Kirill Mikhanovsky, un réalisateur né en Russie, mais qui a étudié aux Etats
Unis se déroule également dans le nord-est du Brésil. Ce film prend aussi la
vie de ses personnages au sérieux. Jusce, jeune pêcheur orphelin, plonge
illégalement tous les jours à moins 30-40 mètres afin de pêcher des homards. Il
est amoureux d’Ana, une jeune femme qui rêve de quitter le pays. Ana et
sa famille regarde dévotement leur feuilleton mélo préféré.
Le patron déduit des frais du maigre salaire de ses
employés. Les pêcheurs sont en colère « Ce n’est pas juste ».
Il répond « Moi aussi, j’ai aussi une famille. » Jusce
économise pour acheter son propre bateau. Lors d’une réunion, un
représentant officiel dit aux hommes que « La plongée pour pêcher des homards
demeurera illégale. » Les pêcheurs répondent : « Nous avons des
bouches à nourrir. Si j’arrête la plongée, ma vie est terminée. »
Ils continuent à enfreindre la loi, dangereusement. En fait, le père de Jusce s’était
noyé dans l’océan.
Son ancien ami, Rogerio, a un buggy et un peu
d’argent ; il attire l’attention d’Ana. Jusce doit faire
tout son possible pour regagner l’intérêt d’Ana. Pendant ce temps,
un des collègues de Jusce se noie.
Encore une fois, les images de Fish Dreams sont
claires et honnêtes. Elles ne sont pas crées pour juste impressionner ou pour
en mettre plein la vue aux spectateurs. Les actions sont crédibles tout comme
leurs conséquences. Le film est un peu plus distant de ses personnages, mais cela
peut être l’inévitable conséquence de ce que le réalisateur est « étranger ».
Mikhanovski dit de son film : « L’image des
pêcheurs mettant un bateau à l’eau présente le leitmotiv central de mon
film : l’effort. C’est à travers les efforts de Jusce, un
jeune pêcheur, aussi bien dans son travail que dans le domaine amoureux (son amour
fou réclamant le plus gros de tous les efforts) que nous racontons une
histoire plus grande de la lutte d’un homme qui va si loin qu’il
n’est plus possible de comprendre la signification de ses actes.
« J’ai fait de mon mieux en tant que réalisateur pour
montrer toute la beauté et toute la noblesse du travail des pêcheurs en
plongeant dans leur vie quotidienne et dans leurs habitudes. Le traitement
visuel patient et respectueux des détails spécifiques de leur labeur et de
leurs relations était crucial pour rendre la dignité et la noblesse de leur
profession et de leur vie.
En cela, au moins, il a réussi.
Le film mexicain LeViolon est une oeuvre plus
clairement politique. C’est l’histoire de la brutalité policière et
de la naïveté populaire pendant la révolte des paysans des années 70. Don
Plutarco est un musicien âgé et vit avec son fils Genaro et avec la famille de celui-ci.
Plutarco joue du violon, Genaro joue de la guitare et la musique leur fournit
un très maigre revenu. Ils prennent également part à la guérilla et, quand leur
village est investi par l’armée, ils doivent trouver comment récupérer
les munitions qui sont cachées dans un champ de maïs.
Plutarco revient au village. Il n’est qu’un
vieil homme inoffensif (à qui il manque un bras) avec un violon. Il attire
l’attention du commandant militaire local et de ses hommes avec sa
musique. Le commandant insiste pour que Plutarco revienne jouer tous les jours.
Pendant ce temps, Plutarco doit trouver les munitions pour les livrer aux
combattants. Malheureusement, le militaire n’est pas dupe.
Francisco Vara a bâti un film convaincant avec des acteurs
non professionnels. La scène d’ouverture du Violon estune
scène effroyable de torture menée par des militaires sur des prisonniers
rebelles. On sait tout de suite dans quel camp le film se place. Les scènes dans
la ville, où on se procure les armes sont très réussies. Don Angel Tavira, né à
Guerrero en 1924, lui-même musicien et descendant d’une longue lignée de
musiciens, campe Plutarco avec une remarquable dignité.
D’où Francisco Vargas a-t-il tiré l’inspiration
pour son film ? « J’ai toujours voulu écrire un scénario à
propos d’une réalité ignorée au Mexique, ce que Luis Buñuel a appelé en
1950 Los Olivadados (les Oubliés) » et il ajoute : « par
son réalisme voulu, le film fait vraiment référence à ces épisodes de guérilla
qui ont marqué l’histoire politique du Mexique au vingtième
siècle. »
Le Violon n’est pas un manifeste politique, c’est
un film qui offre une vue de la réalité sociale au Mexique, celle du passé
comme celle d’aujourd’hui, qui donne à réfléchir. La musique
traditionnelle tout au long du film vous reste en mémoire.
Des réticences
Tous les réalisateurs dont nous venons de parler, sauf peut-être
Vargas, ont des réticences à faire des généralisations. Aïnouz, en fait,
explique très clairement qu’il voulait regarder la situation au Brésil
sans « faire aucune généralisation ». De son côté, Teguia met aussi l’accent
sur les situations particulières, en expliquant qu’il souhaitait filmer
« non pas une grande histoire, mais simplement une mosaïque
d’événements ».
Une espèce de dogmatisme socio-esthétique ne sera pas d’une grande utilité. Il est bon
d’être mesuré, mais pas au point de s’accommoder d’une
atmosphère détestable ou d’une situation sociale désespérante. Ces
réalisateurs sont directs et honnêtes. Ils s’accommodent pas
intentionnellement à quoi que soit. Le monde qui les entoure les interpelle.
Mais on peut également s’habituer aux difficultés
politiques actuelles, au profond sentiment qu’il n’existe pas
d’alternative au statu quo. En Algérie, la population semble prise au piège
entre, d’un côté la bourgeoisie laïque en pleine banqueroute, corrompue
et privilégiée et de l’autre, les éléments islamistes réactionnaires. AuBrésil, Lula, le champion de la classe ouvrière,
s’est révélé être un défenseur de plus des riches et des puissants. Au
Mexique, il n’existe aucune solution immédiate à l’impasse
politique et à la cruauté du système actuel.
Les artistes ne voient encore aucune issue. Il y a donc un
penchant à traiter la situation actuelle – catastrophique pour la
plupart des gens – comme étant presque inévitable, comme faisant
« partie de la vie » et à considérer la recherche
d’amélioration ou de progrès social comme quelque chose qui n’a pas
de sens dans le contexte.
Teguia écrit donc: « Mais si l’on doit dire tragédie,
c’est pour garder en mémoire que quelque chose persiste, quelque chose de
consubstantielavec le malheur, la vie et rien de
moins. Alors que signifiedonc "faire un
film joyeux" ? Un film sans sentiment de culpabilité, sur la simple joie
d’être en vie, même si, ici la vie se résume simplement à une supposée
bonne humeur des personnages qui traversent un désert urbain. »
Dans tous les cas, il n’y a aucune raison de parler de
« culpabilité », et il n’y a rien de mal à « la simple
joie d’être en vie », mais on ne devrait pas franchir la limite où
ce procédé devient un moyen de faire de la nécessité une vertu, ou plus
exactement, de faire une vertu de ce qui n’est précisément pas
nécessaire, c'est-à-dire les actuelles conditions sociales désastreuses.