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WSWS : Nouvelles et analyses : Histoire et culture

L’édition 2007 du festival international du film de San Francisco

Pour un cinéma honnête et exigeant

Par David Walsh
21 juin 2007

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Ceci est le premier article d’une série  sur l’édition 2007 du Festival de San Francisco qui s’est tenu du 26 avril au 10 mai.

Pour sa cinquantième édition, le récent festival de cinéma de San Francisco a présenté 200 films (dont 108 longs métrages) en provenance de 54 pays. Ce sont les Etats-Unis qui ont présenté de loin le plus grand nombre de films, suivis par la France, l’Allemagne, l’Italie, et le Canada. Quelques films, dont certains étaient remarquables, venaient de pays d’Afrique tandis qu’un nombre plus important provenait d’Amérique latine, dont le cinéma donne des signes de renaissance. L’Asie a contribué aussi, mais pas, dans l’ensemble, avec des films d’une grande qualité. L’Iran et Taiwan ont présenté chacun un film, reflétant d’une certaine manière l’impasse où se trouvent les industries cinématographiques de ces deux pays.

Les organisateurs du festival ont attribué divers prix à des réalisateurs comme Spike Lee et George Lucas, au scénariste Peter Morgan (The Queen), à l’acteur Robin Williams, à l’historien du cinéma et au défenseur du patrimoine, Kevin Brownlow et au réalisateur de documentaires Heddy Honigmann.

Le 29 avril, le metteur en scène et directeur artistique bien connu Peter Sellars a fait le discours annuel du festival sur « l’état du cinéma ». Selon la presse, Sellars, dans son discours «  est sans cesse revenu sur la montée du fascisme en Europe pour souligner les défis que doivent actuellement relever l’art et l’humanité. Insistant sur la manière dont les médias numériques donnent le pouvoir aux voix issues du monde entier dans ce nouveau siècle…, il a parcouru des millénaires et des continents à la poursuite de son sujet, et est peut-être parvenu à faire passer le message quand il a fait référence à l’industrie pénitentiaire de Californie et à la politique draconienne d’immigration, que Sellars a présentées sous un jour extrêmement dur et effrayant. »

Il a continué « Actuellement, alors que partout dans le monde ce sont les gouvernements qui posent problème plutôt qu’ils n’apportent de solution, il faut qu’en tant qu’artistes nous puissions créer une nouvelle possibilité pour un nouveau modèle d’Etats auxquels nous puissions appartenir, adhérer, souscrire et qui corresponde réellement à ce que nous croyons, à ce à quoi nous aspirons, et à ce pour quoi nous luttons. » (SF 360)

La veille, l’acteur Danny Glover, avait participé à une conférence de presse avant la présentation de Bamako, film du Malien Abderrahmane Sissako, et plaidoyer contre la politique du FMI et de la Banque mondiale en Afrique. Danny Glover est le producteur de ce film. Il a parlé de « l’accroissement de la dette, l’accroissement des inégalités » en Afrique et les dégâts provoqués par l’actuelle politique économique « néo-libérale ».

Répondant à la question d’un journaliste du WSWS sur l’actuel état déplorable du cinéma américain, Glover a salué des films comme Good Night and Good Luck et Syriana, puis il a réclamé une « démocratisation réelle » de l’industrie cinématographique américaine. Il a attaqué ceux qui « s’attachaient au paradigme du succès » qui ne mesure que le nombre d’entrées. Il a proposé « De ne pas se cantonner aux médias pour avoir une idée exacte du monde. »

Les films les plus intéressants présentés cette année au festival de San Francisco étaient ceux qui étaient honnêtes et exigeants, des œuvres qui essaient au moins de montrer sous un jour artistique la vie des gens, ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent (« notre vie en trois dimensions »), de montrer leurs forces comme leurs faiblesses.

Bien sûr, les artistes sont libres de faire ce qu’ils veulent, mais, pour créer une œuvre qui a un impact profond et durable, ils doivent traiter de réalités importantes, des réalités vraiment indispensables. Les gens sont curieux de tout, ils aiment le spectacle et le théâtral. Ceci peut revêtir des formes voyeuristes, morbides et faciles (comme c’est actuellement trop souvent le cas), mais il peut en être autrement.

Un des vifs intérêts que les gens possèdent et qu’ils peuvent développer (s’ils y sont encouragés), c’est une fascination pour l’histoire et pour la nature de leur propre société. Ceci peut revêtir l’aspect de romans, de pièces de théâtre ou de films qui concentrent dans leurs histoires individuelles les dilemmes moraux les plus difficiles de notre époque.

Actuellement, le cinéma ne parvient presque jamais à satisfaire voire même à traiter des intérêts les plus larges de l’humanité. Nous rencontrons trop d’étroitesse, d’égocentrisme et d’égoïsme, un manque de profondeur et d’ampleur.

Cette année, parmi les films qui ont eu le meilleur accueil on peut citer Rome plutôt que toi (réalisé par l’Algérien Tariq Teguia) , le film sud-coréen, Le vieux jardin (Im Sang-soo), Etrange Culture, réalisé par l’Américaine Lynn Hershman Leeson), Le ciel de Suely, du Brésilien Karim Aïnouz, Si le vent soulève les sables, réalisé par la franco-belge Marion Hänsel, Le Violon, du Mexicain Francisco Vargas, A Walk to Beautiful, de l’américano-éthiopienne, Mary Olive Smith, et Le viol de l’Europa, de Richard Berge, Bonni Cohen et Nicole Newnham, un film sur le pillage par les nazis des œuvres d’art en Europe.

Il y a des passages remarquables dans.After This Our Exile, du réalisateur originaire de Hong-Kong et Malaisie, Patrick Tam et L’immeuble Yacoubian, de l’égyptien Marwan Hamed, Singapore Dreaming (des singapouriens Yen Yen Woo et Colin Goh) et Fresh Air, de la hongroise Agnes Kocsis méritent tous d’être évoqués.

Rome plutôt que toi

Dans le film Rome plutôt que toi, Kamel et Zinna sont deux jeunes algérois qui cherchent à sortir d’une situation qui ne marche pas. Kamel dit à Zinna : « Viens avec moi à Rome, à Marseille, à Barcelone, à Madrid, en Amérique. » Puis il ajoute ironiquement : « Vive la mondialisation ! ». Elle est beaucoup plus sceptique quant à partir. Elle travaille dans une clinique et elle y fait aussi des ménages. Au restaurant, il lit un journal avec pour gros titre, « Massacre près d’Alger ». Entre 1992 et 2002, 160 000 personnes ont trouvé la mort au cours de la lutte sanglante entre l’establishment nationaliste bourgeois et les intégristes islamistes. Rien n’a été résolu.

Ils partent tous deux à la recherche d’un homme qui peut leur fournir de faux papiers pour voyager. Tout ce qu’ils savent de cet homme, c’est qu’il habite dans une maison avec « des colonnes en béton et un garage ». Ils roulent dans une banlieue quelconque, où toutes les maisons se ressemblent et où beaucoup d’entre elles semblent inachevées. On ne trouve aucun panneau indicateur parce qu’on « ne les met que quand tout est construit ». Ils se renseignent sur l’homme en question, et ajoutent « on n’est pas là pour l’assassiner ».

Kamel, toujours à la recherche de l’homme, pénètre dans un café. Pendant ce temps, Zina attend dans la voiture que leur a prêtée l’oncle de Kamel. Kamel rencontre une connaissance. Ils parlent de la vie : « La chose la meilleure au monde, c’est dormir sur une plage après avoir trop bu. » « Qui a dit cela ? Cheb Hasni ? » (un chanteur algérien célèbre qui a été assassiné par les islamistes en 1994) « Non, c’est Arthur Rimbaud. Ils étaient sur la même longueur d’onde. »

Indépendante et même un peu contrariée, Zina descend vers la mer, les deux hommes vont à sa rencontre. Kamel lui reproche de ne pas être restée dans la voiture. Elle répond : « Nous devions aller à la plage, mais tu m’as emmenée dans ce quartier pourri. »

Dans la meilleure scène du film (qui est aussi la plus longue), Kamel, Zina et son ami sont interpellés par une patrouille de policiers. Ils savent que Kamel est à la recherche d’un passeur et de faux papiers, même si Kamel ne reconnaît rien. Les policiers se montrent brutaux et menaçants, ils forment une équipe très soudée. Leur chef essaie d’intimider Kamel et Zina et il philosophe aussi. Il demande, sans vraiment attendre une réponse : « A votre avis l’Amérique a-t-elle une opinion sur le monde ou bien simplement des intérêts ? » Toujours au sujet des Etats Unis, il continue : « Coca-Cola et le hidjab (le voile islamique porté par les femmes) ou Coca-Cola et jeans moulants, mais c’est toujours Coca-Cola. »

Les flics emmènent le trio au commissariat et les retiennent quelques heures. Après leur libération, les trois jeunes errent en voiture, complètement perdus. Et il y a toujours le couvre-feu. Ils passent la nuit chez une de leurs connaissances. Chacun est désemparé, ou assez déprimé. Un ancien journaliste explique à Kamel : « Personne n’imprime plus mes articles. »

Une fois seuls, Kamel dit à Zina : « Allez, courage, je veux t’emmener à Anvers. ». Elle répond : « Je ne veux rien du tout. » La question d’un passeport suisse falsifié est soulevée. Zina fait remarquer : « Comment pouvons-nous nous faire passer pour Suisses ? » Elle continue, parlant d’émigrer en Europe : « Est-ce que je suis censée vivre là-bas dans la clandestinité ? » Il répond « Et ici, tu vis comment ? » Elle ne sait que répondre.

Kamel peut aussi être romantique. « Je veux entendre ta respiration. La respiration d’une fille vivante. »

De façon inattendue, ou peut-être pas, la tragédie finit par frapper.

Rome plutôt que toi est un film fait avec intelligence et sensibilité. On perçoit très bien l’esprit et les sentiments de toute une génération (où d’une partie de cette génération), une jeunesse qui ne veut pas choisir son camp dans une guerre civile ou qui ne veut pas non plus s’intégrer à l’Algérie. Ils ne se font pas non plus d’illusions sur ce qu’ils vont trouver en Europe. Le film, loin de condamner ou d’excuser, donne à voir leur situation difficile.

Dans ses notes, le réalisateur, Tariq Teguia explique à propos des personnages principaux du film : « Non, toutes les jeunes filles ne baissent pas les yeux dans la rue ; oui, beaucoup de jeunes Algériens veulent émigrer ! Pas seulement pour des raisons matérielles — travail ou logement —, mais parce qu’ils rejettent — même si c’est inconscient — une société qui les emprisonne. »

Il écrit également que le sujet de son film : « C’est autant la politique que les filles, les cigarettes et le terrorisme, les faux papiers, les coupures d’eau, dans la langue de ceux qui vivent cela. Tout est organisé de façon assez désordonnée afin de mieux comprendre ce dont la situation sociale prive les personnages… »

Rome plutôt que toi n’est pas un film pessimiste, même s’il comporte des aspects potentiellement démoralisateurs comme l’atmosphère étouffante, l’omniprésence de la police, la présence des islamistes, le manque de perspective économique, les perspectives politiques gâchées, l’impression d’encerclement, l’impression d’avoir à affronter des attaques omniprésentes. Tariq Téguia explique qu’en Algérie, il n’existe pas de « zone de conflit ouvert. La violence est brève même si elle revêt parfois une forme extrêmement sanglante. La violence est quotidienne, elle n’en est pas moins présente. Ce n’est rien d’extraordinaire, c’est le lot de la vie de tous les jours. » Néanmoins, Téguia fait part de son espoir, celui de « faire naître la joie, cachée sous le poids de la violence ».

Les personnages et les dialogues sonnent vrai. Ils parlent sans détour, mais leur discours n’est pas simpliste. Leur situation est bien exprimée ou bien évoquée, mais il n’y a aucun cri, ni aucune exagération. Ce film algérien atteint un niveau de sophistication moral et social qui fait cruellement défaut de nos jours à la plupart des films américains ou européens.

Des films brésiliens ou des films sur le Brésil

On pourrait dire la même chose du film brésilien Le ciel de Suely. Le scénario est encore plus simple. Partie de São Paulo, Hermila revient dans la ville d’Iguatu — à l’extrême nord-est du Brésil — avec son bébé dans les bras. Son mari Mateus doit la rejoindre. « La vie est trop chère à São Paulo, nous avons décidé de rentrer au pays. » Elle vit avec sa grand-mère, quelque peu désapprobatrice, et sa tante et elle attend l’arrivée de Mateus. Elle se rend très souvent à la cabine téléphonique : « Je t’aime.Tu me manques. Quand est-ce que tu viens ? » Il devient de plus en plus clair (pour nous, puis pour Hermila) que Mateus ne va pas venir. En fait, il disparaît dans la ville.

Hermila essaie de s’en sortir, en lavant des voitures et en vendant des tickets de loterie. Elle renoue avec un de ses anciens petits amis, mais cette relation a des perspectives limitées. Elle aussi veut partir, dans une autre région du Brésil, pour repartir à zéro (à la gare routière, on la voit demander le nom de la ville la plus éloignée de Iguatu – « Pouvez-vous m’écrire cela s’il vous plaît ? »). Sa meilleure amie est une prostituée, Georgina. Hermila décide de devenir le prix d’une tombola. Celui qui aura le ticket gagnant aura « une nuit au paradis ». Elle prend le nom de Suely et commence à vendre des billets dans toute la ville. Ceci provoque un scandale, sa grand-mère la met dehors, mais elle est déterminée à poursuivre son idée.

Dans Le ciel de Suely Karim Aïnouz évoque également des événements plus ou moins directs et l’approche du cinéaste est empathique. Les problèmes des personnages et leurs joies sont pris au sérieux. Karim Aïnouz (Madame Sata) explique : « Quand je regarde le Brésil, je suis hanté par une question : quel avenir peut espérer une jeune femme avec de faibles moyens, surtout si elle doit élever un enfant et si son corps est en train de bouillir de désirs et d’aspirations ? »

Il note : « Iguatu  est une ville où il fait extrêmement chaud, le soleil est implacable, et il y a un grand ciel bleu. C’est une petite ville éloignée de tout, située au milieu d’une vaste plaine presque déserte. C’est une ville que beaucoup de gens quittent et où peu de gens restent. C’est une ville de passage où le 21e siècle semble arriver par petits bouts, par fragments qui résonnent d’un avenir lointain. Pour la plupart des gens, c’est un lieu de départ....

« Je voulais dresser un portrait de la vie quotidienne à Iguatu sans en faire quelque chose d’exotique. Le nord-est du Brésil (qui est aussi le lieu de naissance du réalisateur) est une région qui est également célèbre pour le nombre de personnes qui la quittent. Comme la qualité de vie là-bas laisse à désirer, beaucoup de ses jeunes partent à Rio ou à São Paulo à la recherche de travail. »

Pourquoi « Suely » (Hermila) est-elle « dans le ciel » ? Aïnouz explique que le ciel est « un endroit éloigné où chacun peut être heureux. Le ciel est à la fois partout et nulle part. Le film, ce sont les étapes d’Hermila pour y arriver. » Le fait que ses rêves sont surtout illusoires et que les choses ne seront pas vraiment différentes dans une autre ville ne sont pas des questions insignifiantes.

L’action de Fish Dreams (Rêves de poissons) de Kirill Mikhanovsky, un réalisateur né en Russie, mais qui a étudié aux Etats Unis se déroule également dans le nord-est du Brésil. Ce film prend aussi la vie de ses personnages au sérieux. Jusce, jeune pêcheur orphelin, plonge illégalement tous les jours à moins 30-40 mètres afin de pêcher des homards. Il est amoureux d’Ana, une jeune femme qui rêve de quitter le pays. Ana et sa famille regarde dévotement leur feuilleton mélo préféré.

Le patron déduit des frais du maigre salaire de ses employés. Les pêcheurs sont en colère « Ce n’est pas juste ». Il répond « Moi aussi, j’ai aussi une famille. » Jusce économise pour acheter son propre bateau. Lors d’une réunion, un représentant officiel dit aux hommes que « La plongée pour pêcher des homards demeurera illégale. » Les pêcheurs répondent : « Nous avons des bouches à nourrir. Si j’arrête la plongée, ma vie est terminée. » Ils continuent à enfreindre la loi, dangereusement. En fait, le père de Jusce s’était noyé dans l’océan.

Son ancien ami, Rogerio, a un buggy et un peu d’argent ; il attire l’attention d’Ana. Jusce doit faire tout son possible pour regagner l’intérêt d’Ana. Pendant ce temps, un des collègues de Jusce se noie.

Encore une fois, les images de Fish Dreams sont claires et honnêtes. Elles ne sont pas crées pour juste impressionner ou pour en mettre plein la vue aux spectateurs. Les actions sont crédibles tout comme leurs conséquences. Le film est un peu plus distant de ses personnages, mais cela peut être l’inévitable conséquence de ce que le réalisateur est « étranger ».

Mikhanovski dit de son film : « L’image des pêcheurs mettant un bateau à l’eau présente le leitmotiv central de mon film : l’effort. C’est à travers les efforts de Jusce, un jeune pêcheur, aussi bien dans son travail que dans le domaine amoureux (son amour fou réclamant le plus gros de tous les efforts) que nous racontons une histoire plus grande de la lutte d’un homme qui va si loin qu’il n’est plus possible de comprendre la signification de ses actes.

« J’ai fait de mon mieux en tant que réalisateur pour montrer toute la beauté et toute la noblesse du travail des pêcheurs en plongeant dans leur vie quotidienne et dans leurs habitudes. Le traitement visuel patient et respectueux des détails spécifiques de leur labeur et de leurs relations était crucial pour rendre la dignité et la noblesse de leur profession et de leur vie.

En cela, au moins, il a réussi.

Le film mexicain Le Violon est une oeuvre plus clairement politique. C’est l’histoire de la brutalité policière et de la naïveté  populaire pendant la révolte des paysans des années 70. Don Plutarco est un musicien âgé et vit avec son fils Genaro et avec la famille de celui-ci. Plutarco joue du violon, Genaro joue de la guitare et la musique leur fournit un très maigre revenu. Ils prennent également part à la guérilla et, quand leur village est investi par l’armée, ils doivent trouver comment récupérer les munitions qui sont cachées dans un champ de maïs.

Plutarco revient au village. Il n’est qu’un vieil homme inoffensif (à qui il  manque un bras) avec un violon. Il attire l’attention du commandant militaire local et de ses hommes avec sa musique. Le commandant insiste pour que Plutarco revienne jouer tous les jours. Pendant ce temps, Plutarco doit trouver les munitions pour les livrer aux combattants. Malheureusement, le militaire n’est pas dupe.

Francisco Vara a bâti un film convaincant avec des acteurs non professionnels. La scène d’ouverture du Violon est une scène effroyable de torture menée par des militaires sur des prisonniers rebelles. On sait tout de suite dans quel camp le film se place. Les scènes dans la ville, où on se procure les armes sont très réussies. Don Angel Tavira, né à Guerrero en 1924, lui-même musicien et descendant d’une longue lignée de musiciens, campe Plutarco avec une remarquable dignité.

D’où Francisco Vargas a-t-il tiré l’inspiration pour son film ? « J’ai toujours voulu écrire un scénario à propos d’une réalité ignorée au Mexique, ce que  Luis Buñuel a appelé en 1950 Los Olivadados (les Oubliés) » et il ajoute : « par son réalisme voulu, le film fait vraiment référence à ces épisodes de guérilla qui ont marqué l’histoire politique du Mexique au vingtième siècle. »

Le Violon n’est pas un manifeste politique, c’est un film qui offre une vue de la réalité sociale au Mexique, celle du passé comme celle d’aujourd’hui, qui donne à réfléchir. La musique traditionnelle tout au long du film vous reste en mémoire.

Des réticences

Tous les réalisateurs dont nous venons de parler, sauf peut-être Vargas, ont des réticences à faire des généralisations. Aïnouz, en fait, explique très clairement qu’il voulait regarder la situation au Brésil sans « faire aucune généralisation ». De son côté, Teguia met aussi l’accent sur les situations particulières, en expliquant qu’il souhaitait filmer « non pas une grande histoire, mais simplement une mosaïque d’événements ».

Une espèce de dogmatisme socio-esthétique ne sera pas d’une grande utilité. Il est bon d’être mesuré, mais pas au point de s’accommoder d’une atmosphère détestable ou d’une situation sociale désespérante. Ces réalisateurs sont directs et honnêtes. Ils s’accommodent pas intentionnellement à quoi que soit. Le monde qui les entoure les interpelle.

Mais on peut également s’habituer aux difficultés politiques actuelles, au profond sentiment qu’il n’existe pas d’alternative au statu quo. En Algérie, la population semble prise au piège entre, d’un côté la bourgeoisie laïque en pleine banqueroute, corrompue et privilégiée et de l’autre, les éléments islamistes réactionnaires. Au Brésil, Lula, le champion de la classe ouvrière, s’est révélé être un défenseur de plus des riches et des puissants. Au Mexique, il n’existe aucune solution immédiate à l’impasse politique et à la cruauté du système actuel.

Les artistes ne voient encore aucune issue. Il y a donc un penchant à traiter la situation actuelle – catastrophique pour la plupart des gens – comme étant presque inévitable, comme faisant « partie de la vie » et à considérer la recherche d’amélioration ou de progrès social comme quelque chose qui n’a pas de sens dans le contexte.

Teguia écrit donc: « Mais si l’on doit dire tragédie, c’est pour garder en mémoire que quelque chose persiste, quelque chose de consubstantiel avec le malheur, la vie et rien de moins. Alors que signifie donc "faire un film joyeux" ? Un film sans sentiment de culpabilité, sur la simple joie d’être en vie, même si, ici la vie se résume simplement à une supposée bonne humeur des personnages qui traversent un désert urbain. »

Dans tous les cas, il n’y a aucune raison de parler de « culpabilité », et il n’y a rien de mal à « la simple joie d’être en vie », mais on ne devrait pas franchir la limite où ce procédé devient un moyen de faire de la nécessité une vertu, ou plus exactement, de faire une vertu de ce qui n’est précisément pas nécessaire, c'est-à-dire les actuelles conditions sociales désastreuses.

(Article original anglais publié le 12 mai 2007)


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