Le texte qui suit est la deuxième partie d’une
conférence donnée par Nick Beams, le secrétaire national du Parti de
l’égalité socialiste et le candidat pour New South Wales, lors de
réunions électorales du SEP à Sydney le 18 novembre, à Perth le 20 novembre et
à Melbourne le 21 novembre. La première
partie a été publiée le 7 décembre.
Le bolchevisme ne provient pas d’une tentative de Lénine
d'établir une dictature, comme plusieurs historiens de droite l’ont
prétendu, mais des importantes leçons qu’il a tirées de la lutte menée
par le mouvement socialiste contre les conceptions de Bernstein et de ses partisans
dans le mouvement russe, c’est-à-dire les économistes.
Réagissant à la croissance de la classe ouvrière russe et de
son militantisme, un produit du boum économique des années 1890, les économistes
avaient avancé que la tâche du parti était d’organiser la lutte
économique et, au besoin, lui donner un caractère politique immédiat, par des
demandes pour des réformes. Autrement dit, la perspective des économistes était
de diriger le mouvement socialiste en Russie dans la voie du syndicalisme.
Cependant, cela était fondamentalement opposé à une
orientation et à une perspective de classe car le syndicalisme, la lutte des
travailleurs contre leurs employeurs pour de meilleurs salaires et de
meilleures conditions et même pour des lois qui protègent leurs intérêts, ne
dépasse jamais le cadre du système capitaliste.
Dans son livre Que faire ?, Lénine affirme que la
nécessité d’un parti ainsi que le caractère de ses tâches politiques
proviennent de la structure même de la société capitaliste.
Même si la classe ouvrière allait de manière spontanée vers le
socialisme, l’idéologie de la bourgeoisie se réimposait aussi de manière
spontanée car cette même idéologie avait existé pendant plusieurs centaines
d’années, car elle était maintenue par les relations sociales fondamentales
du capitalisme et, finalement, parce que les classes dirigeantes détenaient les
bases matérielles de la culture entre leurs mains.
Conséquemment, insistait Lénine, une lutte organisée devait
être lancée pour amener le socialisme dans la classe ouvrière de
l’extérieur, c’est-à-dire en dehors des conflits immédiats entre la
classe ouvrière et les employeurs. Dans cette lutte réside la tâche historique
du parti.
Plus de cent ans plus tard, il n’y a pas de conception
qui soulève plus l’ire des opposants du marxisme que celle-là. Ceux qui
sont de la « gauche » commencent en disant que Marx avait mis
l’accent sur le fait que l’émancipation de la classe ouvrière était
la tâche de la classe ouvrière elle-même. Ils poursuivent en affirmant que
Lénine a substitué au rôle de la classe ouvrière celui de révolutionnaires
professionnels qui exercent une dictature sur cette dernière.
En fait, il n’y a pas de contradiction entre Marx et
Lénine. La révolution socialiste peut seulement être réalisée par la classe
ouvrière. Mais, la classe ouvrière, et toute l’humanité, ne peut
seulement s’émanciper que si elle agit en tant que force politique
indépendante. Cette indépendance politique ne peut être établie et réétablie
que par la lutte continue menée par le parti révolutionnaire contre les
tendances politiques qui tentent, d’une façon ou d’une autre, de
subordonner la classe ouvrière à l’ordre capitaliste.
Les opposants de Lénine dans le mouvement socialiste
l’ont attaqué à maintes reprises pour son attitude de « querelleur »,
pour son « sectarisme » et pour son « dogmatisme ». En
fait, ils l’ont taxé de toutes les accusations que les opportunistes ont portées
contre les marxistes depuis ce temps.
L’intransigeance de Lénine s’appuyait sur une
conception politique précise : que les différences dans le mouvement
socialiste ne représentaient pas seulement des disputes sur des mots, mais
exprimaient la pression de différentes forces et tendances de classe. Sa
conception fut puissamment confirmée tout au cours des évènements explosifs qui
menèrent à la Révolution russe.
Les attaques de Bernstein contre la perspective marxiste, son
déni que le système capitaliste possède une tendance inhérente vers
l’effondrement et qu’une révolution socialiste est nécessaire, dérivaient
d’un redressement du capitalisme à partir du milieu des années 1890.
Mais il y avait un autre changement, au moins aussi puissant,
dans la structure de l’économie et de la politique mondiale qui allait
également exercer une influence majeure. Durant le dernier quart du 19e
siècle se sont déroulés deux processus interreliés : la formation et la
consolidation du système des Etats-nations dans l’ouest de
l’Europe, et le développement de la classe ouvrière, résultant de
l’expansion de l’industrialisation dans le nouveau cadre politique.
Marx situa les origines de la révolution socialiste dans le conflit
entre la croissance des forces productives du capitalisme et les vieilles
relations sociales à l’intérieur desquelles elles étaient devenues
archaïques. Même s’il avait insisté sur le fait que le capitalisme se
développait comme une force historique mondiale, son analyse était de plus en
plus interprétée de manière mécanique. Le point de départ n’était plus
l’économie mondiale, mais le cadre des Etats-nations nouvellement développé.
Comme Trotsky allait l’expliquer plus tard, les partis
socialistes de la Deuxième Internationale concevaient la révolution socialiste
de cette manière. L’heure de la révolution socialiste arriverait lorsque
les forces productives dans chaque Etat national se seraient développées à leur
plus haut niveau. Ainsi, les principaux pays de l’Europe, la
Grande-Bretagne, l’Italie, la France et la Russie, étaient vus comme des
entités séparées, se dirigeant vers la même destination, mais à des niveaux
d’évolution différents. L’Allemagne était la première et les autres
suivaient. La Russie, encore dirigée par une aristocratie féodale et attendant
une révolution bourgeoise, était loin derrière.
La théorie de la révolution permanente de Trotsky
La première révolution russe en 1905 a ébranlé les fondations
de ce schéma historique. L’éruption de grèves et de manifestations contre
l’autocratie tsariste à un rythme jamais vu signifiait l’apparition
d’une nouvelle ère. La théorie de la révolution permanente de Trotsky,
élaborée pendant les évènements tumultueux de 1905, procura une compréhension
de ce qui se déroulait ainsi qu’une perspective pour intervenir. Comme pour
tous les développements de la théorie marxiste, sa réponse créatrice était
ancrée dans une analyse historique profonde.
Tous les marxistes s’entendaient pour dire que la
Russie faisait face à une révolution bourgeoise ; autrement dit, que la
tâche politique centrale était de renverser l’autocratie tsariste et
d’établir les libertés démocratiques qui avaient été gagnées en Occident.
Mais comment cela devait-il être réalisé ? La Russie n’était
pas la France de 1789, où la révolution avait été menée par la bourgeoisie
à la tête des masses de Paris et de la paysannerie, et où la classe ouvrière
n’existait pas encore. La Russie n’était pas non plus l’Allemagne
de 1848, où l’émergence de la classe ouvrière avait été suffisante pour
effrayer la bourgeoisie et la faire basculer dans le camp de la réaction, mais
où la classe ouvrière n’était pas assez puissante pour s’emparer du
pouvoir.
La Russie faisait face à une révolution bourgeoise... mais où
étaient les équivalents russes des révolutionnaires français Danton et Robespierre ?
Ils n’existaient pas. Pas plus qu’il n’y avait de
concentrations d’artisans et de petits producteurs dans les villes, comme
ça avait été le cas à Paris. Il y avait plutôt des masses d’ouvriers
industriels.
Plékhanov, le père du marxisme russe, insistait pour dire que
le développement de la Russie devait suivre le chemin emprunté par
l’Europe occidentale. Conséquemment, la classe ouvrière russe devait user
de « tact » afin de ne pas effrayer la bourgeoisie et
l’empêcher de réaliser sa tâche historique, la révolution bourgeoise.
Lénine, tout en étant d’accord avec Plékhanov sur le
caractère bourgeois de la révolution russe, sonda plus profondément sa
dynamique de classe. La bourgeoisie, insistait-il, était incapable de réaliser
la tâche que lui assignait le schéma de Plékhanov. La classe ouvrière devait
mettre de l’avant la forme la plus radicale de la révolution démocratique
bourgeoise.
Au coeur de la Révolution russe se trouvait la question
agraire, c’est-à-dire le renversement de tous les vestiges de l’Etat
féodal. Cela voulait dire que les propriétés terriennes de la noblesse, sur
lesquelles l’Etat reposait, devaient être expropriées. Lénine soutenait
que la révolution démocratique prendrait ainsi la forme d’une
« dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ». Le
prolétariat et la paysannerie se diviseraient le pouvoir étatique et mèneraient
la révolution démocratique bourgeoisie jusqu’au bout.
La perspective de Trotsky était différente de celle de Lénine
et de Plékhanov et elle marquait un changement fondamental de perspective.
Lénine et Plekhanov, malgré les différences entre eux, partageaient un point
commun : ils abordaient la révolution en fonction du niveau de
développement, et de la relation entre les classes, à l’intérieur de la
Russie. Trotsky défendait l’idée que la révolution devait être approchée
à partir de la situation internationale dans laquelle elle s’inscrivait.
Trotsky partageait l’approche de Lénine sur la
bourgeoisie russe et sa critique de Plékhanov sur cette question. Cependant, il
alla plus loin en faisant ressortir le point faible de la position de Lénine.
La formulation de la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie »
ne posait pas la question à savoir quelle classe jouerait le rôle décisif.
La perspective de Lénine, a-t-il fait remarquer, constituait
en quelque sorte le sacrifice de ses propres intérêts : le prolétariat,
après avoir pris le pouvoir, devrait s’en tenir à des mesures purement
démocratiques et ne pas défier le pouvoir de la bourgeoisie. Mais, ce schéma fut
contredit par la dynamique même de la révolution. La classe ouvrière fut
appelée, par la logique de sa propre lutte, à prendre le pouvoir politique et à
renverser la bourgeoisie. C’était une des leçons de la révolution de
1905, lorsque la bourgeoisie, avec des fermetures et des lock-out, repoussa des
demandes purement démocratiques comme la journée de huit heures. Dans le but
d’obtenir de telles demandes démocratiques, la classe ouvrière dû usurper
le pouvoir politique à la bourgeoisie et établir des mesures socialistes.
Mais, la question suivante se présente : comment la
classe ouvrière pouvait-elle maintenir son pouvoir alors qu’elle formait
seulement une minorité de la population russe et était largement inférieure en
nombre à la paysannerie ?
Si l’on considère cette question seulement sur la base
de la situation en Russie, la perspective de Trotsky était non viable. Mais là
était le problème... la révolution ne pouvait être correctement envisagée
uniquement à partir de la situation en Russie, mais devait l’être à
partir du contexte mondial. Des conclusions complètement différentes furent
alors tirées.
Les défenseurs du schéma de Plékhanov avaient l’habitude
de citer les écrits de Marx qui soutenait que le développement du capitalisme
en Angleterre montrait le futur pour tous les autres pays. Ainsi, la Russie
avait une longue route à parcourir avant d’arriver à une révolution
socialiste.
Trotsky répliqua que cela était interprétation complètement
mécanique de Marx. Le développement du capitalisme anglais n’était pas
une sorte de stéréotype que les autres nations devaient suivre. Il était
nécessaire d’analyser les processus du développement capitaliste dans
l’esprit de Marx lui-même. Il était ainsi clair que le développement du
capitalisme en Grande-Bretagne n’était pas une sorte de modèle pour les
autres pays, mais plutôt le point de départ d’un processus économique qui
avait dépassé le cadre dans lequel il s’était initialement développé,
c’est-à-dire en Grande-Bretagne, et qui s’étendait maintenant au
monde entier.
En juin 1905, Trotsky élabora sa perspective : « En
liant tous les pays entre eux par son mode de production et son commerce, le
capitalisme a fait du monde entier un seul organisme économique et politique.
De même que le système moderne du crédit rattache des milliers d'entreprises
par de multiples liens et donne au capital une mobilité incroyable, qui permet
d'éviter beaucoup de petites faillites, mais est en même temps la cause de
l'ampleur sans précédent des crises économiques générales, de même, les efforts
économiques et politiques du capitalisme, son marché mondial, son système de
dettes d'État monstrueuses, et les groupements politiques de nations qui
rassemblent toutes les forces de la réaction dans une sorte de trust mondial
n'ont pas seulement résisté à toutes les crises politiques individuelles, mais
également préparé les bases d'une crise sociale d'une extension inouïe...
« Cela donne immédiatement aux événements qui se
déroulent actuellement un caractère international, et ouvre un large horizon.
L'émancipation politique de la Russie sous la direction de la classe ouvrière
élèvera cette classe à des sommets historiques inconnus jusqu'à ce jour et en
fera l'initiatrice de la liquidation du capitalisme mondial, dont l'histoire a
réalisé toutes les prémisses objectives. » (Léon Trotsky, Bilans et
perspectives, chap. 9)
La Première Guerre mondiale
Toutes les questions de programmes et de perspectives qui
s’étaient posées au cours de la révolution de 1905 ressurgirent sous une
forme encore plus explosive en août 1914, lorsque les tensions qui couvaient depuis
longtemps entre les grandes puissances capitalistes éclatèrent lors de la Première
Guerre mondiale. L’explosion de la guerre marqua la fin d’une période
historiquement progressiste du développement capitaliste et le début
d’une nouvelle époque dans laquelle, comme l’avait averti Frederick
Engels, l’humanité serait confrontée à la perspective du socialisme ou de
la barbarie.
Il est difficile de mesurer l’étendue de la violence,
alors que de jeunes hommes, certains à peine plus vieux que des garçons,
étaient envoyés sur le champ de bataille, le jour comme la nuit, pour être déchiquetés
par le feu des mitraillettes. De la cellule dans laquelle elle avait été
enfermée par le gouvernement impérial allemand, Rosa Luxembourg fit la
description de la catastrophe qui se déroulait.
« La scène a changé fondamentalement. La marche des six
semaines sur Paris a pris les proportions d'un drame mondial ; l'immense
boucherie est devenue une affaire quotidienne, épuisante et monotone, sans que
la solution, dans quelque sens que ce soit, ait progressé d'un pouce. La
politique bourgeoise est coincée, prise à son propre piège : on ne peut
plus se débarrasser des esprits que l'on a invoqués. …
« Le spectacle est terminé. … L'allégresse
bruyante des jeunes filles courant le long des convois ne fait plus d'escorte
aux trains de réservistes et ces derniers ne saluent plus la foule en se
penchant depuis les fenêtres de leur wagon, un sourire joyeux aux lèvres ;
silencieux, leur carton sous le bras, ils trottinent dans les rues où une foule
aux visages chagrinés vaque à ses occupations quotidiennes.
« Dans l'atmosphère dégrisée de ces journées blêmes,
c'est un tout autre choeur que l'on entend : le cri rauque des vautours et
des hyènes sur le champ de bataille. … La chair à canon, embarquée en
août et septembre toute gorgée de patriotisme, pourrit maintenant en Belgique,
dans les Vosges, en Masurie, dans des cimetières où l'on voit les bénéfices de
guerre pousser dru. …
« Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte
de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce
qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne
les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de
la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle
danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation
et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment. » (La
crise de la social-démocratie, chap.1).
Avec l’éclatement de la guerre, Trotsky approfondit
l’analyse qu’il avait mise de l’avant en 1905. La guerre
était le résultat de l’éruption de la contradiction entre
l’économie mondiale, la croissance du capitalisme comme système mondial,
avec chacune des parties rattachées au tout, et la division du monde en Etats-nations
rivaux et conflictuels. Chacune des grandes puissances capitalistes tentait de
résoudre cette contradiction en tentant d’établir son pouvoir mondial,
menant à une lutte de tous contre un et de un contre tous. Les contradictions
de l’économie capitaliste ne pourraient seulement être résolues sur une
base progressiste que par la révolution socialiste mondiale, celle-ci
n’étant pas une perspective lointaine, mais la seule réponse réaliste au
barbarisme et à l’impérialisme.
L’éclatement de la guerre démontrait l’importance
objective de la lutte intransigeante menée par Lénine dans le mouvement
social-démocrate russe contre l’opportunisme.
Les partis de la Deuxième Internationale, d’abord et
avant tout le Parti social-démocrate allemand, la section la plus importante de
la Deuxième Internationale, ont trahi la classe ouvrière en votant pour les
crédits de guerre. Cette trahison historique a démontré que les tendances que
Lénine a combattues ne relevaient pas seulement d’un phénomène russe,
mais existait aussi à l’échelle internationale.
Ces tendances trouvaient leurs racines dans le développement
historique du capitalisme. Les mêmes processus qui avaient mené à la lutte
mondiale entre les principales puissances capitalistes avaient aussi mené à la
corruption des leaderships d’une strate supérieure dans le mouvement
ouvrier. Les ressources volées aux colonies et le développement du parasitisme
financier formaient les fondements matériels pour la création d’une
aristocratie ouvrière.
Le social-chauvinisme, l’abandon ouvert de
l’internationalisme et la collaboration des chefs sociaux-démocrates avec
leur « propre » bourgeoisie, ne pouvaient être attribués aux défauts individuels
des dirigeants. La trahison n’était pas un phénomène individuel, mais
social. Il était donc nécessaire de découvrir ses racines
matérielles.
« La bourgeoisie de toutes les grandes puissances
fait la guerre afin de partager et d'exploiter le monde, afin d'opprimer les
peuples. Quelques miettes des gros profits réalisés par la bourgeoisie peuvent
échoir à une petite minorité : bureaucratie ouvrière, aristocratie ouvrière et
compagnons de route petits bourgeois. Les dessous de classe du
social chauvinisme et de l'opportunisme sont identiques : c'est l'alliance
d'une faible couche d'ouvriers privilégiés avec « sa » bourgeoisie nationale contre
la masse de la classe ouvrière ; alliance des valets de labourgeoisie
avec cette dernière contre la classe qu'elle exploite. » (Lénine, Oeuvres, Volume 22, p.119)
Les chefs de la Deuxième Internationale ont trahi la classe
ouvrière en donnant leur appui à la guerre et l’Internationale ne pouvait
pas être ravivée. Pour toute perspective de révolution socialiste, cette
dernière était morte. Il était nécessaire de fonder une nouvelle
Internationale, la Troisième Internationale, afin de réorganiser et de
réorienter le mouvement ouvrier international.
Lénine a fait le premier cette proposition, pas dans les
suites de la Révolution russe, mais en 1914-1915 dans des conditions extrêmes
d’isolation. Comme Trotsky allait l’expliquer plus tard, il semblait
que l’internationalisme avait « immédiatement disparu dans le feu et
la fumée du carnage international ». Et, lorsqu’il réapparut
« comme une lumière faible et vacillante » à partir de groupes
séparés dans différents pays, il fut considéré par les différents représentants
de la bourgeoisie comme les vestiges mourants d’une sorte de secte
utopiste.
Mais, les révolutionnaires internationalistes, en opposition à
tous les opportunistes de leur époque — et de la nôtre — n’agissent
pas en fonction de ce qui semble immédiatement réalisable ou de ce qui génère
de l’appui. Ils se basent sur la logique objective des évènements. Les
masses avaient été trompées par la bourgeoisie, qui a utilisé tous les préjugés
nationaux réactionnaires et infâmes pour développer un appui à ses objectifs
guerriers. Les masses avaient été trahies par leurs propres chefs. Mais, la
bourgeoisie ne pouvait satisfaire les besoins des masses, dont le
désillusionnement déclencherait bientôt des bouleversements politiques et
sociaux à une échelle internationale.