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Le marxisme, le Comité International, et la science des perspectives: une analyse historique de la crise de l'impérialisme américainPremière partie Par David North Utilisez cette version pour imprimer Les 8 et 9 janvier derniers, le Socialist Equality Party (SEP) [Parti de l'égalité socialiste, États-Unis] a tenu une réunion nationale des ses membres à Ann Arbor dans le Michigan. Le rapport d'ouverture a été donné par David North, secrétaire national du SEP et président du comité de rédaction du World Socialist Web Site. Le rapport sera publié en trois parties. Voici la première partie. En ouvrant cette réunion nationale des membres du Socialist Equality Party, il convient d'observer une minute de silence à la mémoire des dizaines de milliers de personnes qui ont péri en Asie du Sud-Est le mois dernier dans le tsunami qui a balayé l'Océan Indien. Partout à travers la planète, il y a eu un immense et profond sentiment d'empathie envers les victimes du tsunami autant qu'une véritable expression de solidarité. Combien ces manifestations de douleur réelle sont éloignées de celles peu généreuses, hypocrites et de pure forme données par les leaders de l'impérialisme américain et britannique! Ni Blair ni Bush n'ont été capables d'articuler d'une manière convaincante des inquiétudes pour le sort des millions de gens dont les vies ont été dévastées par la catastrophe. Même les médias ont été embarrassés par la manière dont la Maison Blanche a réagi, ou, pour être plus précis, n'a pas réagi à la tragédie qui se déroulait. D'abord, il y a eu l'extraordinaire silence, qui a persisté pendant presque trois jours, alors que le Président bricolait dans son ranch du Texas et que le Premier Ministre soignait son bronzage sur une plage égyptienne, tous deux tout à fait inconscients des conséquences du tsunami. Puis est venue une offre dérisoire de Bush de 15 millions de dollars en aide, augmentée à contrecoeur à 35 millions, et, plus tard élevée à 350 millions, l'avarice de la Maison Blanche étant devenue un sujet de dérision internationale. Bien entendu, comparé aux sommes dépensées par les États-Unis pour tuer des gens, particulièrement en Irak, le chiffre de 350 millions représente de l'argent de poche. En réalité, 350 millions de dollars sont seulement un faible pourcentage du montant annuel total des rémunérations versées aux 500 plus importants PDG américains sous forme de salaires et d'options sur les actions. Ce montant se compte en milliards de dollars. En 2003, le montant total des rémunérations de Charles M. Cowley de MBNA a dépassé 45 millions de dollars; celui de Stanley O'Neil de Merril Lynch était de 23,3 millions de dollars; celui de Daniel P. Amos de Aflac était de 37,3 millions de dollars; celui de Kenneth L. Chennault de American Express était de 40 millions de dollars; celui de Patrick Stokes de Anheuser Busch était de 49 millions de dollars. J'ai sélectionné ces noms au hasard sur une liste de presque 1000 PDG publiés sur un site internet qui surveille les rémunérations des entreprises. Quand on considère le montant des sommes qui se répand dans les comptes de ces gens-là, les dons venant des États-Unis qui ont été rapportés par les médias sont tout à fait impressionnants. On peut être sûr que le contribuable moyen de la classe ouvrière donne une plus grande part de son revenu hebdomadaire à l'effort de secours que le PDG qui, avant de signer son chèque, en parle à son comptable et calcule son bénéfice fiscal. Après le tsunami, il y a eu de nombreux articles dans la presse expliquant les causes géologiques du désastre. C'est une information scientifique importante. Mais elle a besoin d'être complétée par une analyse des facteurs sociaux qui ont constitué un élément causal majeur dans la perte épouvantable de vies. Cette tâche est généralement évitée par les médias, qui trouvent plus facile de pontifier sur l'impossibilité de scruter les desseins affreux de la nature. C'est ainsi que nous sommes informés par l'éditorialiste David Brooks du New York Times: «Les humains ne sont pas le principal souci de l'univers. Nous sommes juste des insectes sur la croûte terrestre. La Terre hausse les épaules et 140.000 insectes meurent, victimes de forces plus fortes et plus permanentes.» Un commentaire de ce genre, qui est composé à part égale d'ignorance et de mépris pour l'humanité, sert un but bien défini: s'échapper de la réalité et cacher des vérités socio-économiques et politiques déplaisantes. L'impact du tsunami expose de manière particulièrement frappante la nature irrationnelle du capitalisme, son inaptitude à développer les forces productives de manière à élever les conditions de vie de larges couches de la population. Les médias s'emballent à propos du «miracle asiatique», mais la réalité de la question est que les bénéfices de l'infusion de capital dans la région ces dernières décennies sont allés à une petite élite de privilégiés. Des centaines de millions d'asiatiques vivent dans des huttes qui, même sous les plus favorables conditions climatiques, offrent une protection limitée contre les éléments. Le fait que la mort de 150.000 personnes ne soit pas considérée par la communauté financière internationale comme un événement économique majeur démontre le caractère inhumain du développement économique de la région. Les bourses de la région, y compris celles d'Indonésie, de Thaïlande, de l'Inde et même du Sri Lanka, n'ont connu aucune baisse significative après le tsunami. La raison en est que de larges segments de population de ces pays vivent dans un tel état d'extrême pauvreté que leurs rapports avec leur économie nationale sont d'une nature tangentielle. Les conditions sociales qui existent dans ces pays doivent être reliées à leurs histoires politiques. Examinons les pays qui ont subi les plus grosses pertes la semaine dernière: l'Indonésie et le Sri Lanka. Il est impossible de comprendre la nature de la société indonésienne contemporaine, l'épouvantable pauvreté, la fréquente malnutrition, une espérance de vie de moins de 65 ans pour les hommes, sans se référer aux événements du 1er octobre 1965. Ce jour-là, la CIA, travaillant avec des officiers indonésiens fascistes dirigés par le général Suharto, organisait un coup d'état pour renverser le président nationaliste de gauche, Sukarno. Après le coup d'état, des escadrons de la mort, organisés par les militaires et l'extrême droite religieuse musulmane, et munis de listes fournies par la CIA, ont abattu un demi-million de membres du parti communiste indonésien et d'autres groupes de gauche. Pendant les trente années suivantes, le régime répressif et brutal du général Suharto, soutenu par les États-Unis, a garanti les investissements capitalistes. La nature chaotique et destructrice du développement capitaliste a atteint son point culminant avec le tsunami financier qui a dévasté l'économie indonésienne en 1998. En ce qui concerne le Sri Lanka, bien avant que le tsunami n'atteigne ses côtes vulnérables, le pays avait été dévasté par les politiques réactionnaires et chauvines des gouvernements bourgeois successifs. Le développement des infrastructures essentielles avait été subordonné aux exigences financières d'une guerre civile provoquée par la bourgeoisie sri-lankaise. Quand on l'examine dans son contexte socio-économique et politique, il devient tout à fait évident que l'impact destructeur d'un tsunami est plus la conséquence de l'oeuvre de l'Homme que celle de la Nature. À un certain point dans le futur, le développement de la science et de la technologie rendra l'humanité capable de maîtriser la nature de telle manière qu'il sera inconcevable qu'une force aussi élémentaire et primitive qu'un tsunami puisse enlever des milliers de vies. L'homme sera capable à tout le moins de prévoir un tel événement de manière à mettre en oeuvre des mesures de prévention. En effet, nous savons qu'une telle technologie existe et est en place dans le Pacifique. La question est que la maîtrise de la nature par l'homme dépend de sa maîtrise des fondations économiques de sa propre existence, ce qui demande l'abolition de tous les éléments d'irrationalité dans la structure économique de la société, c'est-à-dire le remplacement du capitalisme par le socialisme. Dans l'environnement politique de réaction qui prévaut, avec son étouffant impact sur les émotions et l'intellect des gens, la possibilité d'une telle transformation semble très éloignée du possible, ce qui est une indication que les conditions historiques pour cette transformation ont atteint leur maturité. En effet, il y a des indications croissantes, alors que nous commençons cette nouvelle année, que le capitalisme mondial est entré dans une nouvelle période de crises économiques et de troubles politiques. Le but de cette réunion est d'arriver à une évaluation aussi précise que possible de la situation mondiale, de jauger sur cette base les perspectives réelles pour le socialisme, et de déterminer les tâches politiques qui découlent de cette évaluation. Ce travail a un caractère scientifique. En avril 1933, Léon Trotsky écrivait une lettre à Sidney Hook, contestant certaines formulations contenues dans un essai intitulé «Le marxisme, dogme ou méthode ?», que le jeune professeur avait écrit pour la revue Nation. Hook avait écrit que le marxisme n'est «ni un dogme ni une science objective, mais une méthode réaliste d'action de classe». Ce à quoi Trotsky avait répliqué: «Que signifie ici le mot réaliste? De toute évidence, il signifie: basé sur la connaissance vraie, dans ce cas, de processus sociaux objectifs. La connaissance de la réalité objective est une science. La politique marxiste est réaliste dans la mesure où elle est basée sur le marxisme en tant que science.» La conception de Trotsky que la formulation de perspectives politiques est un travail scientifique, contient en elle-même la prémisse que les processus politiques se déroulent selon des lois. Cette attitude est la condamnation de toutes les variétés d'anti-marxisme, qui élèvent la contingence et la fatalité au niveau de l'absolu dans les processus historiques, qui insistent que l'histoire et la politique sont déterminées, en dernière analyse, par l'interaction d'accidents et toute une série de variables de nature imprévisible ou incertaine. Feu François Furet, un historien qui avait jadis été membre du Parti communiste français, a résumé ce point de vue de la manière suivante: «Une véritable compréhension de notre temps est possible uniquement si nous nous libérons de l'illusion de la nécessité: la seule façon d'expliquer le vingtième siècle, dans la mesure où une explication est possible, est de réaffirmer son caractère imprévisible, une qualité qui est niée par ceux qui sont le plus responsables de ses tragédies.» L'argument de Furet se déploie dans une structure extrêmement rigide: comme il n'est pas possible de prédire l'avenir avec un degré significatif de certitude, il est absurde de parler de nécessité historique. Pour Furet, la nécessité implique l'existence de forces irrésistibles qui conduisent à un seul et unique résultat concevable. Comme il est clair que le chemin du développement historique peut mener à des résultats différents et même tout à fait contradictoires, la conviction que le processus historique est soumis à des lois, et qu'en outre, ces lois peuvent être comprises et servir de base à l'action, constitue une illusion marxiste. Il ne surprendra personne que la diatribe de Furet contre le déterminisme historique est faite dans le contexte d'un long livre polémique destiné à établir l'absolue nécessité du capitalisme maintenant et pour la fin des temps. La position de Furet, tout à fait commune parmi les anti-marxistes, révèle une incompréhension naïve des concepts de loi et de nécessité. Le caractère scientifique du marxisme n'est pas déterminé par l'exactitude de ses prédictions. Le degré d'exactitude que le marxisme ou toute autre discipline scientifique peut atteindre dans ses descriptions d'un phénomène donné est déterminé ultimement par la nature du phénomène lui-même. La nature objective du phénomène qui est le sujet de l'histoire, la société humaine, n'est pas du genre qui rendrait le plus consciencieux matérialiste historique capable de prédire exactement ce qui arrivera dans deux jours, deux semaines ou dans deux mois. Ce n'est pas un argument contre l'idée que le processus historique est régi par des lois ou la possibilité de son étude scientifique. Ce qui est plutôt requis c'est une plus profonde appréciation de la manière dont la conformité aux lois se manifeste dans le processus historique. Comme l'expliquait Luckàcs, «les lois scientifiques peuvent se réaliser dans le monde comme tendance et nécessité seulement dans l'enchevêtrement de forces s'opposant, seulement par une médiation qui prend place au moyen d'accidents sans fins.» Que le résultat du processus historique ne soit pas prédéterminé, que son développement puisse aller dans des directions variées, cela est une conséquence du fait que l'évolution sociale se produit par la lutte des classes, lesquelles poursuivent des fins différentes et mutuellement incompatibles. Mais ni les classes en général, ni les partis et individus par lesquels leurs intérêts socio-économiques trouvent une expression plus ou moins adéquate, ne fonctionnent comme des agents libres. L'ampleur et la nature de leurs activités sont essentiellement définies par les lois du mode de production capitaliste. C'est vrai non seulement pour la classe ouvrière, mais aussi bien pour les élites bourgeoises dominantes. La perspective politique de notre parti ne découle pas d'espoirs et de désirs subjectivement motivés. Les marxistes ne conçoivent pas la révolution ni comme la punition de la malfaisance des capitalistes ni comme la récompense de leurs efforts altruistes pour abolir la pauvreté. La perspective d'un parti révolutionnaire doit se développer à partir des contradictions objectivement réelles du mode de production capitaliste. Cette analyse constitue la base la plus générale de la perspective révolutionnaire. Son élaboration plus détaillée requiert que le développement de ces contradictions, dans leur expression sociale et politique, soit retracé à travers les nombreuses couches de la médiation historique, sociale, culturelle, intellectuelle par laquelle il doit passer. Une perspective marxiste peut se préoccuper de longs processus historiques couvrant des décennies ou d'une configuration plus immédiate de conditions politiques concrètes dans laquelle le cadre de l'action révolutionnaire est d'une faible durée. Mais même dans ce dernier cas, le point de référence d'un parti marxiste est toujours le processus historique plus large. Les tactiques qui sont inventées pour répondre aux problèmes conjoncturels et aux circonstances doivent être en accord avec les principes qui sont définis par le programme historique et les tâches du mouvement socialiste international. Il faut ajouter que les problèmes et conditions conjoncturels ne peuvent être compris que dans le cadre des buts stratégiques définis par la nature de l'époque historique. Enfin, le développement d'une perspective révolutionnaire exige une attitude active plutôt que contemplative envers la société et la lutte des classes. Objectivité ne signifie pas passivité. L'évaluation de la réalité objective et de l'équilibre des forces de classes par le parti révolutionnaire comprend une estimation de l'impact et des conséquences de sa propre intervention dans le processus révolutionnaire. Une interprétation correcte du monde, comme Marx l'expliquait dans sa onzième thèse sur Feuerbach, ne peut être élaborée que dans le combat pour le transformer. Mais une appréciation correcte de l'élément actif dans le processus de la connaissance, dont la découverte et l'élucidation constitua une des grandes réalisations de la philosophie idéaliste classique allemande à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième siècle (surtout dans l'oeuvre de Hegel), ne doit pas mener à la conclusion que le monde objectif peut être changé et modifié à souhait. Il n'existe aucune tendance philosophique avec de plus grandes implications réactionnaires que celle qui sépare la volonté active de la connaissance scientifique de la réalité objective, des lois gouvernant le processus social qui sont les déterminants essentiels de la pratique sociale de l'homme. L'activité du parti révolutionnaire doit procéder d'une évaluation correcte des tendances de base du développement socio-économique sur une échelle mondiale. À défaut d'être basé sur ces fondations, le travail du mouvement révolutionnaire ne repose sur rien de plus substantiel que des impressions et des intuitions et il finira en désastre.
Fin de la première partie
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