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« La réalité ne m'intéresse pas... »Leni Riefenstahl, propagandiste du IIIe ReichPar Stefan Steinberg Utilisez cette version pour imprimer La cinéaste allemande Leni Riefenstahl est décédée le 8 septembre à l'âge de 101 ans. Riefenstahl est avant tout connue pour son étroite collaboration avec le régime nazi dans les années 1930, lorsque suite à l'instigation personnelle de Hitler, elle occupa un rôle important dans l'établissement de l'image publique du national-socialisme en Allemagne et à l'étranger. Secouée par l'effondrement du Troisième Reich et discréditée à cause de son rôle en Allemagne nazie, Riefenstahl éprouva des difficultés à reprendre sa carrière de cinéaste après la Seconde Guerre mondiale. Ses livres de photos sur les hommes de la tribu des Noubas vivant en Afrique comptent parmi ses projets les mieux connus de l'Après-guerre. Son dernier projet réalisé fut un film sous-marin. Jusqu'à son dernier souffle, Riefenstahl nia toujours l'importance de son rôle dans la promotion de l'Allemagne nazie. Tant dans ses mémoires que lors d'entrevues, elle a constamment soutenue qu'elle était « naïve », une personne non politisée qui ne joignit jamais le Parti nazi, et qui n'était intéressée que par son art, quelqu'un qui ne fit que ce que beaucoup d'autres ont fait, et ainsi de suite. Lors d'interviews accordées après la guerre, elle affirma que la force motrice dans sa vie était la quête de la « beauté et de l'harmonie » - « la réalité ne m'intéresse pas ». [1] Mais sa carrière démontre clairement que loin d'être une simple victime innocente de la propagande politique nazie, elle contribua à créer une façade de « beauté et d'harmonie » pour le régime le plus barbare et réactionnaire de l'histoire moderne. Au cours des dernières années, de nombreuses publications et biographies dédiées à Riefenstahl ont été publiées. La plupart des biographes concèdent l'existence de ses rapports avec le national-socialisme et soulignent qu'à maintes occasions ses intérêts coïncidèrent avec ceux du IIIe Reich, tant idéologiquement qu'en pratique. Plusieurs de ces auteurs cependant soutiennent que malgré ses relations douteuses avec les national-socialistes, ce serait une erreur d'assumer que de telles considérations aient affectées son art. Pour ces commentateurs, Riefenstahl est une pionnière, quelqu'un qui a révolutionné le cinéma, et même qui lui a « donné un nouveau langage ». Leni Riefenstahl est née en 1902 dans une famille aisée où elle put assouvir amplement ses intérêts intellectuels et physiques considérables. Jeune femme, elle aimait la danse, préférant les formes de danse spontanées et romantiques conçues pour « libérer l'âme », introduites en Allemagne par l'Américaine Isadora Duncan. Riefenstahl était une lectrice avertie qui s'intéressait aux écoles d'art moderne, notamment aux expressionnistes. Elle était moins intéressée par la théorie et combinait ses inclinaisons vers le romantisme et le mysticisme en littérature et en art avec un intérêt terre-à-terre pour les questions pratiques et techniques. Lorsqu'une blessure au genou mit fin à sa carrière de danseuse, Riefenstahl s'adonna au ski. Le ski fut sa première véritable introduction aux attraits et aux mystères des montagnes. Son adresse au ski et sa belle apparence furent remarquées par le géologue alpiniste et cinéaste Arnold Fanck. Ce dernier l'engagea comme actrice principale pour son film muet la Montagne sacrée (1926). Fanck était à l'origine d'un nouveau genre cinématographique dans les années 1920, les films alpestres, qui gravitaient autour d'un thème populaire du romantisme allemand le combat de l'individu contre les forces de la nature. Riefenstahl profita de son expérience avec Fanck pour faire son propre long métrage la Lumière bleue (1932), dont l'action se déroule également dans les montagnes. Certains de ses premiers penchants romantiques sont évidents dans la Lumière bleue. La lumière bleue est le reflet de la pleine lune sur les maisons dans les montagnes. Elle incarne la beauté et la plénitude, mais en même temps ses dérangeantes conséquences. L'intrigue du film gravite autour d'un cristal doté de pouvoirs magiques. Lorsque des paysans du coin tentent de sortir le cristal de la grotte qui le renferme en pensant que cela les sauveraient d'une vie de pauvreté, le cristal perd ses pouvoirs magiques. Le manque de foi des paysans et leur mauvaise volonté à vouloir affronter les épreuves de la vie leur font subir des conséquences catastrophiques. La papauté à Rome fut évidemment impressionnée par le film. Riefenstahl rapporte que le film « fit une grande impression au Vatican. Plus que tout, le mysticisme du film interpellait le clergé ». Les éléments mystiques et religieux de la Lumière bleue, combinés avec un sens strict de la hiérarchie de classe, ressassant un passé mythique où l'homme vivait en harmonie avec la nature, réapparaissent dans le second long métrage de Riefenstahl Tiefland (Bas-pays), qu'elle commença en 1940 mais qu'elle ne pût finir qu'en 1954. Le premier film de Riefenstahl fut projeté dans les cinémas alors que l'instable république de Weimar vivait une période de crise. Le film fut populaire auprès du public allemand. Il évoque un monde depuis longtemps disparu dans lequel règne la stabilité et où les relations sociales sont gravées dans la pierre. Cela plaisait particulièrement aux couches petites-bourgeoises dont la vie était ruinée par des années d'hyper-inflation et d'instabilité politique pendant la république de Weimar. La famille de Riefenstahl fut également touchée par la crise, et la jeune directrice de 30 ans devint l'une des nombreuses personnes cherchant une alternative politique. Le 27 février 1932, elle alla à une réunion du Parti national-socialiste allemand (NSDAP) au Berlin Sportpalast, où le principal orateur fut Adolf Hitler. Riefenstahl fut immédiatement enlevée par ce qu'elle vit et entendit. Les sentiments de Hitler pour Riefenstahl étaient tout aussi enthousiastes. En mai 1932, Riefenstahl rencontra Hitler pour la première fois. L'artiste en herbe Hitler admirait la Lumière bleue, et était intéressé à rencontrer une artiste reconnue jouissant déjà d'une réputation internationale. Après son élection au poste de chancelier en janvier 1933, Hitler chargea immédiatement Riefenstahl de filmer la conférence annuelle du NSDAP à Nuremberg. À l'époque, Hitler cherchait à améliorer l'image publique du NSDAP. Lors de la polarisation sociale de la république de Weimar, les troupes de choc de Hitler avaient terrorisés les rues et étaient réputées pour leur brutalité. Dans la « nouvelle Allemagne » de 1933, Hitler attaqua immédiatement le mouvement ouvrier. Tous les partis politiques et les syndicats furent interdits, la presse fut censurée et une dictature brutale fut instaurée. Hitler cherchait maintenant à se présenter comme un homme d'État et à inventer une continuité historique pour son parti en défigurant de fond en comble l'histoire allemande. Riefenstahl de son côté était prête à collaborer à cela. Il ne fait aucun doute qu'il y a là un élément d'infatuation personnelle de sa part envers Hitler, mais cette infatuation était liée à des conceptions politiques définies. Dans une interview accordée à un journal, elle déclara : « Pour moi, Hitler est le plus grand homme qui ait jamais vécu. Il est vraiment parfait, si simple et en même temps tellement plein de puissance masculine... Il est vraiment beau, il est brillant. Il est radieux. Tous les grands hommes de l'Allemagne -Friedrich, Nietzsche, Bismarck - ont eu des défauts. Les partisans de Hitler ne sont pas immaculés. Lui seul est pur. » [2] Dans ses mémoires personnelles, Riefenstahl soutient qu'elle ne voulait pas accepter la commande du film sur la conférence du parti à Nuremberg, mais les différends étaient bien superficiels. Riefenstahl prétend avoir dit à Hitler qu'elle n'avait aucune expérience du documentaire, et qu'elle ne pouvait pas même différencier les SS des SA. Hitler aurait répliqué : « c'est très bien, alors vous ne verrez que l'essentiel » - et insista - « je veux un... document artistique sur pellicule ». Après avoir filmé en 1933 la conférence du parti (film paru sous le titre la Victoire de la foi) à l'extrême satisfaction de ses payeurs, Riefenstahl se vit demandé de répéter son travail pour le rassemblement de 1934. Mais ce coup-ci, elle obtint non seulement le contrôle artistique mais également le contrôle organisationnel complet du projet. Afin de créer les meilleures conditions de travail pour elle, Riefenstahl ne se gêna pas pour intimider des collègues. Lorsque le cameraman Schunemann refusa de travailler sur le film, Riefenstahl se plaignit au département du film du ministère de la Propagande en affirmant qu'il boycottait un « ordre du Führer ». [3] Un demi-million de membres du NSDAP et 250 000 invités vinrent à Nuremberg pour le congrès du parti. Lors d'une entrevue accordée après la guerre, Riefenstahl soutint de la façon la plus fallacieuse que dans le film qu'elle tourna sur cet événement, le Triomphe de la volonté (1934), « pas une seule scène n'est arrangée... c'est l'histoire, la pure histoire ». En réalité, des préparatifs extrêmement assidus furent entrepris pour la conférence qui, pour la première fois dura toute une semaine. D'immenses structures élaborées et accessoires coûteux furent montés, des scènes de chorégraphies de foule furent répétées jusqu'à la perfection. Plusieurs séquences ratées du films, comme l'apparition de Julius Streicher, furent retravaillées en studio. Le rassemblement prit la forme d'une gigantesque cérémonie - d'un côté les rangs massifs des fidèles membres du parti disciplinés marchant rigidement au pas cadencé, et de l'autre le chef, le Führer, expressif et artistique, unissant les masses en prêtant le serment d'allégeance à l'esprit d'unité nationale. Les appels à la « voix du sang » lors du rassemblement, comme la haine exprimée à l'égard de « l'intellectualisme juif surfait » étaient les deux faces de la même pièce raciste. Le film de Riefenstahl débute avec des vues aériennes suggérant l'arrivée héroïque de Hitler descendant du ciel pour saluer un peuple qui vient à sa rencontre des quatre coins du pays. La conférence louange les accomplissements du président du Reich Hindenburg récemment décédé et salue les nombreux invités, représentants de la presse et diplomates étrangers. Les forces de défense, l'armée, les SS et les SA démontrent leur totale loyauté au dictateur. Au centre du film se trouve la foi loyale des fidèles du Führer. « Ils sont l'Allemagne. Lorsqu'ils agissent, la Nation agit », déclare pathétiquement à la foule Hess, le représentant de Hitler. Quant à Hitler, il explique que le « grand commandement » pour l'Allemagne de jouer un rôle dominant « ne vient pas d'un chef mortel, mais de Dieu, le créateur de notre peuple ». Présentes pour la première fois à la conférence du NSDAP, les forces armées furent insatisfaites de la version finale du film. Une partie du métrage sur l'armée étant insatisfaisant à cause de la température, Riefenstahl accepta de corriger cela et, conformément aux instructions de la direction du parti, elle tourna le court métrage Jour de liberté - Notre Wehrmacht en 1935. Riefenstahl remporta plusieurs prix pour le Triomphe de la volonté, mais de nombreux cinéastes se montrèrent plus circonspects. Le célèbre cinéaste et théoricien du film René Clair se déclara dérangé par le pouvoir de suggestion des films de Riefenstahl, et lorsque Charlie Chaplin visionna une version écourtée du Triomphe de la volonté aux États-Unis, il tomba de sa chaise en s'écroulant de rire. On présume que le discours final de Hitler dans le film servit d'inspiration pour la fameuse scène du Dictateur. Diffusé en 1940, le film de Chaplin montre le « Reich de mille ans » comme une façade fragile et surgonflée, et démystifie Hitler à une époque où il recueillait encore des sympathies dans l'élite internationale. L'auteur allemand Jürgen Trimmborn commente à propos du film le Triomphe de la volonté : « Pas un seul documentaire moderne sur le National-socialisme ne compte pas de scènes tirées de ce film. Aucun autre film n'a formé autant notre impression visuelle de ce qu'était le national-socialisme » (Trimmborn, p. 200). L'écrivain Lutz Kinkel est plus perspicace encore : « Peu de cinéastes ont compris que ce film était un produit de présentation, une "belle imposture" avec laquelle les nazis et leur aide Riefenstahl tentaient de tromper le public » dans des conditions où « l'unité du peuple n'exista jamais ». (Kinkel, p. 87) [4] Le régime nazi vit dans la décision prise en 1931 par le Comité international olympique (CIO) d'accorder les jeux olympiques de 1936 à Berlin une gigantesque opportunité de propagande pour l'Allemagne nazie. Trois ans après la prise du pouvoir par les nazis, l'Allemagne devait être montrée comme une société débarrassée de tout conflit social et politique avec une économie en santé et jouissant du dernier cri en matière de science et de technologie. Le plus grand terrain sportif au monde fut construit dans ce qui devait être la première étape de la construction d'une métropole « germanique » future. Les jeux furent planifiés à une échelle jamais vue jusqu'alors et diffusés pour la première fois à la télévision. Après son succès avec le Triomphe de la volonté, Riefenstahl fut le choix indiscuté de la direction nazie pour le filmage des jeux. Comme la conférence du parti à Nuremberg, les Olympiques furent montrées comme un festival. Le NSDAP consacra d'énormes ressources pour ce projet en plus de mobiliser des artistes et des professionnels. Hitler donna à Riefenstahl tout ce dont elle avait besoin pour sa production : finances, matériel, main-d'uvre. Travaillant avec une équipe de production massive, son budget initial de 1,5 million de reichsmarks (rms) augmenta ensuite de 300 000 rms supplémentaires. À la tête de telles ressources, elle pouvait filmer avec une caméra omniprésente et ensuite choisir et monter ses extraits à partir littéralement de kilomètres de séquences filmées. [5] Le compositeur allemand de renommée mondiale Richard Strauss composa un hymne dédié à Adolf Hitler pour les jeux. Le poète officiel Carl Diem écrivit des vers pour les olympiques à propos des « héroïques martyrs de la mère patrie » (Carl Diem était un responsable sportif qui en 1905 avait demandé que la marche militaire sac au dos soit reconnue comme une discipline sportive). L'architecte Albert Speer fut grandement responsable de la mise en scène de la cérémonie d'inauguration. À la fin des olympiques, un dôme de lumière s'éleva au dessus des athlètes et du public. Les sources de cette lumière mystique exprimant l'harmonie étaient en faits beaucoup plus prosaïques - une grande proportion étant assurée par des projecteurs de défense antiaérienne. Les préparatifs pour la mise en scène de cette « uvre d'art » comprenaient les arrestations massives d'opposants politiques, de Juifs et de Gitans par la police et la Gestapo, avec comme objectif déclaré de rendre Berlin « sûre et agréable » pour les visiteurs des jeux. En même temps que les installations olympiques fut construit le camp de concentration d'Oranienburg qui en septembre renfermait déjà près de 1 000 prisonniers. Pour la consommation internationale cependant, les pancartes mentionnant l'accès interdit aux parcs et autres lieux publics pour les Juifs furent temporairement retirés et les journalistes sportifs allemands furent instruits de diminuer le nombre de commentaires nationalistes et racistes dans leurs reportages. Ce coup-ci, le centre du film ne fut pas Hitler (qui nourrissait très peu d'intérêts pour les jeux et dû même se faire prier pour y assister), mais les élites sportives internationales. Les films sur les olympiques démontrèrent la volonté de Riefenstahl d'explorer de nouvelles techniques et de nouveaux plans de caméra, de même que sa fascination du corps humain; mais tout comme ce fut le cas avec le Triomphe de la volonté, les films sur les olympiques (La Fête du peuple et La Fête de la beauté connus en français sous le nom Les Dieux du stade) furent méticuleusement tournés et montés de façon à présenter le fascisme sous le jour le plus positif, un fait qui dès les premières scènes du film apparaît clairement. Un prologue ressasse avec grand soin les monuments de la Grèce antique et corresponds entièrement aux efforts de Hitler de donner au national-socialisme une longue tradition historique basée sur un passé mythique. Riefenstahl fut visiblement ébranlée par l'effondrement du IIIe Reich. Tout comme le national-socialisme, sa carrière n'était plus que ruines. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, les forces alliées arrêtèrent Riefenstahl pour la libérer ensuite comme étant « non accusable ». Elle fut l'objet de nouvelles enquêtes entre 1948 et 1952, mais fut éventuellement déclarée innocente de toute participation aux crimes nazis. Elle éprouva néanmoins des problèmes à trouver des producteurs prêts à financer ses films. À l'époque du IIIe Reich, elle pouvait stipuler ses propres conditions quant au budget et la production de ses films. Mais dans l'Allemagne d'après-guerre, se relevant des dévastations de la guerre, les projets massifs que favorisait Riefenstahl n'étaient plus viables. Elle réussit néanmoins à gagner sa vie, notamment parce que le gouvernement allemand accepta de continuer de payer ses droits d'auteur pour la présentation de ses films produits sous les nazis. Dans les années 1960, Riefenstahl voyagea en Afrique et commença une série de projets photographiques sur des tribus primitives africaines. Les résultats furent publiées sous forme de livres de photographies sur papier glacé en 1973 et 1976. Bien qu'éloignés des thèmes qu'elle traita pendant la période du national-socialisme, ses livres sur les Noubas rappellent les thèmes de ses films d'alors - sa fascination pour la forme physique, maintenant reprise dans les corps minces et noirs des Noubas, nus et maculés de marques religieuses utilisées pour la célébration de rites primitifs. Sous bien des aspects, son déménagement en Afrique reflétait son désenchantement de la société civilisée - son geste suivant fut de tourner le dos à l'humanité toute entière. À l'age de 80 ans, elles apprit un nouveau sport - la plongée sous-marine - passant les dernières années de sa vie sous l'eau à filmer la vie aquatique. Elle se joignit à l'organisation environnementale Greenpeace et consacra l'énergie de sa dernière décennie à préserver la vie aquatique. Dans une entrevue accordée dans l'après-guerre à la revue cinématographique française Cahiers du Cinéma, Riefenstahl articula sa vision de la culture, qui voit la beauté et la réalité comme étant des opposés s'excluant mutuellement : « Je peux simplement dire que je me sens spontanément attirée par tout ce qui est beau... Cela vient de mon inconscient et non pas de mes connaissances... Tout ce qui est purement réaliste, ce qui relève des tranches de vie, du moyen, du quotidien, ne m'intéresse pas... Je suis fascinée par ce qui est beau, fort, sain, vivant. Je recherche l'harmonie ». Cette perspective est évidente dans ses livres sur les Noubas, qui montrent la violence que s'infligent les membres de la tribu lors de rituels, ignorant complètement les difficultés et les privations qui caractérisent la vie quotidienne de la société primitive. À une époque où dans les années 1970 les théories sur le relativisme culturel étaient très répandues, les livres de Riefenstahl représentaient une glorification de la société arriérée. Les déclarations enthousiastes de Riefenstahl pour la beauté au détriment de la réalité sont instructives par rapport à son uvre, mais également trompeuses. Beaucoup de grands artistes ont vu la description de la beauté et de l'harmonie au centre de leur oeuvre. Mais ils reconnaissaient du même coup que la beauté est une propriété du monde réel à découvrir. Cela exige en retour que l'artiste démontre un intérêt et une curiosité véritables pour la façon dont les gens vivent leur vie. Dans son livre sur le fascisme et l'art, Old Dreams of the New Reich, Jost Hermand met en garde contre toute notion de « beauté » pure séparée de la réalité : « L'art national-socialiste est ainsi non seulement non problématiquement "beau", consacré uniquement à des formes parfaites et vide de contenu, mais il est également extrêmement brutal. C'est un art basé sur des convictions qui, une fois réalisées, laissent littéralement des corps dans leurs sillages. » Riefenstahl déclare son dédain de la réalité, mais sa collaboration intime avec les nazis démontre clairement qu'elle était consciente de la réalité et des conséquences du pourvoir nazi, en plus de partager plusieurs aspects de leur perspective. Bien qu'il n'existe aucune preuve qu'elle ait jamais été membre du NSDAP, les films qu'elle a fait avant, pendant et même après le IIIe Reich traitent continuellement de thèmes qui ont une place solide dans l'idéologie nazie - une attitude à la fois protectrice et méprisante envers les grandes masses de la population, la glorification de sociétés passées au détriment de la modernité, l'embrassement du rite et de la religion combiné à un individualisme acharné. Ses films prouvent et démontrent amplement que Riefenstahl partageait une grande partie de la vision de ses mentors nazis. Par ailleurs, Riefenstahl était tout à fait consciente des implications du national-socialisme en pratique. Elle était familière avec la loi adoptée en 1933, à l'instigation de Goebbels, restreignant le travail des Juifs dans l'industrie cinématographique - une mesure qui força beaucoup d'artistes allemands parmi les plus talentueux à émigrer. Elle était familière avec la décision, également prise par Goebbels lors d'une réunion du bureau de la Culture en 1936, d'imposer une interdiction totale de la critique artistique en Allemagne. Elle était au courant des autodafés de livres et de la campagne nazie contre l'art progressiste (que les nazis qualifiaient de « dégénéré »). Des documents récemment publiés révèlent également qu'elle fut témoin d'atrocités nazies pendant la guerre et qu'elle en a également été complice en laissant des figurants utilisés dans ses films être envoyés dans un camp de concentration. [6] Bien consciente des conséquences sociales et artistiques désastreuses du IIIe Reich, Leni Riefenstahl employa tout son talent à draper la barbarie national-socialiste dans un manteau de « beauté et d'harmonie ». Seules des personnes complètement ignorantes ou totalement désintéressées des expériences les plus importantes du XXe siècle peuvent voir en une telle artiste une « pionnière ». Remarques : 1. « Lorsque vous photographiez un temple grec à proximité d'une pile de détritus, éviterez-vous de prendre les détritus en photo ? » Riefenstahl : « Absolument, je ne m'intéresse pas à la réalité. » Source : Matthias Schreiber, Susanne Weingarten: "Realität interessiert mich nicht." Leni Riefenstahl über ihre Filme, ihr Schönheitsideal, ihre NS-Verstrickung und Hitlers Wirkung auf die Menschen. (Spiegel, 18 août 1997) 2. L'importance de la relation personnelle de Riefenstahl avec Hitler est démontrée par l'examen de la bibliothèque de ce dernier. Leni Riefenstahl lui donna deux livres sur les Olympiques de Berlin et une rare première édition en huit volumes des uvres complètes du philosophe allemand du XIXe siècle Johann Gottlieb Fichte. Les volumes de Fichte portent une dédicace : « À mon Führer adoré, avec la plus grande admiration, Leni Riefenstahl ». 3. Pour faire avancer sa carrière, Riefenstahl était également bien prête à prendre des mesures contre ses collègues juifs dans ses films. Dans ses premières mémoires d'Après-guerre, elle chercha à rebuter toutes accusations d'anti-sémitisme en mettant l'accent sur ses relations amicales avec des artistes juifs, mais cela ne l'empêcha pas de former une étroite amitié avec Julius Streicher, le publiciste du célèbre journal antisémite haineux Der Stuermer. Lorsque le scénariste (communiste) Béla Balázs lui rappela qu'il n'avait pas encore été payé pour son travail sur la Lumière bleue, elle donna à Streicher la tâche de le défier en Cour et, dans le processus, utilisa le vocabulaire du nouveau pouvoir étatique contre le « Juif ». 4. Extraits traduits de Riefenstahl-Eine deutsche Karriere, Jürgen Trimmborn, et de Die Scheinwerferin-Leni Riefenstahl und das Dritte Reich, Lutz Kinkel. 5. Le travail était également rémunérateur pour Riefenstahl. Elle empocha des honoraires de 250 000 rms - un montant auquel Goebbels, ravi par le film, ajouta 100 000 rms de plus. (Le salaire annuel moyen d'un ouvrier qualifié en Allemagne était à l'époque d'environ 2 000 rms.) 6. Riefenstahl utilisa des membres des communautés
Sinti et Roms dans son film Tiefland. Après qu'elle
eut terminé avec eux, les Sinti et les Roms furent envoyés
au point de rassemblement pour réfugiés de Berlin
à Marzahn, puis transportés au point de collecte
des Gitans à Salzburg-Maxgland pour ensuite être
envoyés à Auschwitz.
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