Le procureur général américain, Eric
Holder, a, dans un discours prononcé lundi à l'université Northwestern de
Chicago spécialisée en droit, dépeint une image effroyable de l'avenir des
Etats-Unis tel que le gouvernement Obama l'envisage où les tribunaux militaires
et les assassinats extrajudiciaires sont des éléments permanents codifiés du
paysage judiciaire américain.
Le discours de Holder contenait
l'affirmation radicale de pouvoirs présidentiels quasi dictatoriaux, y compris
le pouvoir du président de signer secrètement des condamnations à mort à
l'encontre de quiconque, y compris de citoyens américains, sans autre forme de
contrôle judiciaire. Holder a aussi défendu le pouvoir du président d'ordonner
l'enlèvement et l'emprisonnement de quiconque, partout dans le monde, et de
juger cette personne devant un tribunal militaire.
Ce discours était
une réaction visant à pousser le gouvernement à fournir une motivation
juridique aux meurtres de l'automne dernier de trois citoyens américains tués
par les frappes de missiles émanant d'un drone américain au Yémen. Le 30
septembre dernier, le gouvernement Obama avait assassiné un citoyen américain,
dirigeant présumé d'al Qaïda, Anwar al-Awlali, au Yémen après l'avoir inscrit
sur une « liste secrète de personnes à assassiner ». (Voir :
« The legal implications of the
al-Awlaki assassination. ») Parmi d'autres citoyens
américains tués par des frappes de missiles figurent Samir Kahn et Abdulrahman
al-Awlakim, le fils d'Anwar al-Awlaki âgé de 16 ans.
L'establishment
politique et médiatique a réagi au discours d'Holder avec une indifférence
totale. Les articles concernant le discours ont été relégués aux pages
intérieures du New York Times, du Wall Street Journal et du Washington
Post et aucun des journaux télévisés ne l'a commenté. Aucun politicien ou
personnalité publique, républicain ou démocrate, n'est montée au créneau pour
dénoncer le discours et aucun journaliste n'a posé de question là-dessus mardi
lors de la première conférence de presse d'Obama depuis le début de l'année.
Cette réaction confirme l'absence de
tout engagement, au sein de la classe dirigeante américaine, en faveur des
droits démocratiques fondamentaux.
Dans son discours, Holder a fait l'éloge
des tribunaux militaires de Guantánamo Bay, en les donnant en exemple.
« J'ai confiance dans le cadre et la promesse de nos commissions
militaires, » a-t-il proclamé.
Sur la question de l'assassinat, Holder
a déclaré que « notre gouvernement a le droit clair de défendre les
Etats-Unis par la force létale. » Il a affirmé à maintes reprises que le
président n'a besoin d'aucune « approbation légale » pour exercer ce
pouvoir.
En plaidant en faveur de la
constitutionnalité de l'assassinat, Holder a fait une différence entre
« la procédure légale régulière » et « le processus
juridique. » « La Constitution garantit la procédure légale
régulière, pas le processus juridique, » a-t-il dit. Cette formule est
stupéfiante dans ses implications.
La proclamation des Droits (Bill of
Rights) - les dix premiers amendements de la Constitution américaine, tous
ratifiés en 1791 - renferment de nombreuses garanties du processus
juridique : le droit d'être jugé promptement et publiquement, le droit au
jugement par un jury impartial, le droit d'être assisté d'un conseil pour sa
défense, le droit d'exclure toutes preuves obtenues sous la torture ou par
d'autres moyens illégaux, le droit de faire face à son accusateur et le droit à
la protection contre tous traitements ou peines cruels et inhabituels, entre
autres.
La garantie du Cinquième amendement de
procédure légale régulière même - « Nul. ne sera privé de sa vie, de sa
liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière » - est la pierre
angulaire du système constitutionnel américain tel qu'il existe depuis des
siècles. De prime abord, il interdit clairement l'assassinat extrajudiciaire.
La procédure légale régulière qui
remonte à la Grande Charte (Magna Carta) est un droit duquel dépendent d'autres
libertés civiques. La distinction que fait Holder entre la procédure légale
régulière et le processus juridique est une tentative de formuler un
raisonnement pour priver la population de ses droits démocratiques.
L'implication est que l'Etat peut interpeller les gens et les détenir
indéfiniment sans procès ou les tuer sans violer le principe de la procédure
légale régulière. La mise en place d'un Etat policier selon cette doctrine
serait compatible avec la Constitution.
La principale justification de Holder
pour tout cela est la soi-disant « guerre contre le terrorisme ».
« Nous sommes une nation en guerre, » a-t-il déclaré. Les Etats-Unis
traversent « une période à haut risque. »
La « guerre contre le
terrorisme » est une fausse guerre. C'est un moyen politique, juridique et
de propagande pour justifier une vaste extension du militarisme et un assaut
frontal contre les droits démocratiques. Cette guerre n'ayant jamais été
déclarée par le Congrès, elle n'a pas d'objectif défini ni de fin. C'est un
moyen pour justifier un siège permanent contre les droits démocratiques
fondamentaux au nom de la « sécurité nationale. »
Les arguments pseudo-juridiques en
faveur de tribunaux militaires et d'assassinats ont une similitude plus que
passagère avec la jurisprudence nazie. Sous les doctrines juridiques adoptées
par le juriste nazi Carl Schmitt, dont les idées jouissent d'un intérêt et
d'une influence grandissants dans le monde universitaire américain, la sécurité
nationale et l'urgence militaire peuvent justifier un « état d'urgence »
en vertu duquel les droits démocratiques fondamentaux peuvent être abrogés,
l'Etat de droit suspendu et le pouvoir exécutif être doté de pouvoirs
exceptionnels.
De la même façon, la « guerre
contre le terrorisme » a été utilisée pour justifier l'attaque grandissante
contre des protections légales vieilles de plusieurs siècles. La décennie
passée a connu l'assassinat, la torture, la pratique de la restitution, la
détention sans procès, les tribunaux militaires, la surveillance et le contrôle
de la population, les secrets d'Etat, les perquisitions et les fouilles
approfondies sans mandat, la militarisation de la police, les attaques contre
la liberté d'expression, la répression contre les groupes anti-guerre,
l'expansion des opérations menées par les services secrets, les attaques contre
les immigrants et le non-respect total du droit international.
L'assaut contre les droits démocratiques
qui avait commencé après le 11 septembre 2001 s'est poursuivi durant trois
élections législatives et deux élections présidentielles, indépendamment de qui
était élu, démocrates ou républicains. Ceci prouve que l'effondrement de la
démocratie américaine est enraciné dans des processus sociaux et historiques
profonds et objectifs.
C'est fondamentalement la conséquence de
la crise du capitalisme mondial, qui est au centre de la décrépitude du
capitalisme américain. Le déclin prolongé de la position de l'économie mondiale
des Etats-Unis s'exprime, au niveau interne, dans la décrépitude de
l'infrastructure industrielle et sociale, dans l'augmentation du parasitisme
financier et de l'inégalité sociale, dans le déclin des conditions de vie de la
classe ouvrière - le tout ayant été accéléré par l'effondrement systémique que
le krach de Wall Street a instauré en septembre 2008.
Le déclenchement de l'opposition
populaire de par le monde - du soulèvement révolutionnaire en Egypte aux grèves
et aux protestations en Grèce et dans une série d'autres pays, aux
protestations de masse survenues l'année dernière dans le Wisconsin ainsi que
le mouvement Occupy Wall Street - a convaincu la classe dirigeante qu'elle ne
sera pas en mesure d'imposer l'appauvrissement de la classe ouvrière dans le
cadre de ses formes traditionnelles de gouvernement. Elle doit s'orienter vers
la dictature et la répression de masse. La véritable cible des tribunaux
militaires permanents et des condamnations à mort défendus par Holder n'est pas
al Qaïda mais la classe ouvrière américaine.
Le fait que ces mesures d'Etat policier
soient étendues et institutionnalisées par le gouvernement Obama et le Parti
démocrate souligne le fait que la défense des droits démocratiques requiert une
rupture avec le système bipartite et la construction d'un mouvement socialiste
indépendant, de masse, de la classe ouvrière.