Les informations qui ont émergé sur Mohamed Merah,
le tireur présumé d’une série de meurtres commis entre le 11 mars et le 19
mars dans la région de Toulouse, soulèvent de sérieuses questions sur le
comportement des agences de renseignement et des services de police
français.
Merah aurait tué le 11 mars un parachutiste à
Toulouse, deux parachutistes le 15 mars à quelques kilomètres de là, à
Montauban et le 19 mars un père de famille et plusieurs enfants dans une
école juive à Toulouse. Il a été tué jeudi dans une confrontation armée avec
la police dans son appartement de Toulouse, abattu d'une balle dans la tête
par un tireur d’élite alors qu’il tombait de son balcon.
Les responsables se démènent pour expliquer
comment Merah – bien qu’étant connu à la fois des services de renseignement
français (Direction centrale du renseignement intérieur, DCRI) et de la
police – a opéré pendant une semaine sans être inquiété et pourquoi il a été
tué lors de l’opération.
S’exprimant jeudi au micro d’Europe1, le ministre
des Affaires étrangères, Alain Juppé, a admis : « Je comprends qu’on puisse
se poser la question de savoir s’il y a eu une faille ou pas. Comme je ne
sais pas s’il y a eu une faille, je ne peux pas vous dire quel genre de
faille mais il faut faire la clarté là-dessus. »
Christian Prouteau, fondateur du Groupe
d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), une unité de
contre-terrorisme qui rivalise avec l’unité d’élite de la police qui a tué
Merah, a critiqué l’assaut d’hier. Il a dit avoir été surpris que la
confrontation se soit soldée par la mort de Merah : « Comment se fait-il que
la meilleure unité de la police ne réussisse pas à arrêter un homme tout
seul ? Il fallait le bourrer de gaz lacrymogène… au lieu de ça, ils ont
balancé des grenades à tour de bras. Résultat : ça a mis le forcené dans un
état psychologique qui l’a incité à continuer sa ‘guerre’ »
Il a ajouté: « En soixante-quatre opérations
menées par le GIGN sous mon commandement, il n’y a pas eu un mort ». En
reprenant les commentaires faits par la police locale de Toulouse, Prouteau
s’est demandé pourquoi la police n’avait pas simplement attendu pour tendre
« une souricière » à Merah devant son appartement et « le coincer » à sa
sortie ; cette technique est apparemment souvent utilisée contre les
nationalistes basques et les membres de la mafia.
Ces questions ont été soulevées alors que le
président sortant, Nicolas Sarkozy, cherchait à exploiter la tragédie en
faveur de pouvoirs d’Etat policier très étendus et à redorer sa crédibilité
sécuritaire pour les élections présidentielles du mois prochain.
Un récent sondage d’opinion réalisé après les
fusillades a montré que Sarkozy progressait dans les intentions de vote,
comptabilisant 30 pour cent des voix au premier tour des élections contre 28
pour cent pour le candidat du Parti socialiste (PS), François Hollande. L’on
s’attend encore à ce que Hollande remporte le second tour des élections, en
raison toutefois de l’impopularité de Sarkozy parmi les électeurs hors UMP.
Dans un discours télévisé prononcé jeudi, Sarkozy
a demandé à ce que « toute personne qui consultera des sites internet qui
font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence
[soit] punie pénalement. » Il a poursuivi en disant : « Toute personne se
rendant à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des
idéologie conduisant au terrorisme… ou [les propageant dans les prisons]
sera punie pénalement. » Des propos formulés dans des termes aussi imprécis
permettraient à l’Etat de criminaliser quasiment toute politique
d'opposition, de fouler aux pieds les droits constitutionnels fondamentaux
de la liberté d’expression et de voyager.
La secrétaire générale du Syndicat de la
magistrature, Marie-Blanche Régnier, a dit que l’appel de Sarkozy était une
« carte politique ». Pour la forme elle s’est demandée s’il inclurait sur la
liste des « extrémistes » Marine Le Pen, candidate néo-fasciste dont Sarkozy
courtise agressivement les électeurs par une rhétorique anti-immigration.
Dans une situation où le PS, le Parti communiste
(PCF) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ne remettent pas en question
les appels de Sarkozy à « l’unité nationale, » la plupart des objections
émises contre des enquêtes sont venues de la police et des experts en
sécurité. Toutefois, les informations qui ont émergé ont déjà montré
clairement que si Merah était bel et bien le tueur, il n'a été en mesure de
commettre des meurtres qu’en raison d’une défaillance extraordinaire de la
police et des services de renseignement français.
Compte tenu de l’énorme enjeu politique dans
l’exploitation des fusillades par Sarkozy, il est logique de s’interroger
pour savoir s’il y a un lien entre cette défaillance des services de
renseignement et la tentative de Sarkozy de garder ses chances aux
prochaines élections.
Peu de temps après les tueries du 15 mars à
Montauban, les responsables avaient déjà expliqué qu’ils envisageaient
« tous les suspects possibles » des meurtres. Selon le quotidien
Libération, lorsque le 19 mars, la police de Toulouse avait fourni une
liste des Islamistes « radicaux » de la région de Toulouse, elle ne
contenait que six noms et Merah était le premier de la liste.
Toutefois, après les tueries de Montauban, Merah
n'a apparemment pas été identifié – bien que l’adresse IP de sa mère figurât
sur une liste de la police des ordinateurs qui avaient été en contact avec
la victime du 11 mars. Cette liste a été soigneusement examinée par les
enquêteurs et elle a joué finalement un rôle dans la capture de Merah.
Apparemment toutefois, les enquêteurs n'ont recoupé cette liste avec la
liste des Islamistes que le lundi 19 après les tueries à l’école Ozar
Hatorah.
L’expert des questions de défense, François
Heisbourg, a dit à Libération, « Il n’y a que quelques petites
dizaines de Français à avoir fait le voyage en Afghanistan, et pas plus de
quelques unités en Midi-Pyrénées. On se demande donc pourquoi on ne s’est
pas davantage préoccupé de lui ! On peut à la limite le comprendre avant les
meurtres de Toulouse et Montauban – ça me surprend mais ne me choque pas.
Mais après ? Cela signifie soit que les services concernés sont dans une
misère noire, soit qu’ils n’ont pas fait leur boulot ! »
Il a ajouté, « Ensuite, je m’interroge quand
j’entends les procureurs de Paris et Toulouse dérouler l’enquête en
expliquant qu’ils n’avaient pas l’adresse du suspect. Or il semble que la
Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) l’a interrogé à
l’automne et en a conclu qu’il n’était pas dangereux…Comment a-t-il été
contacté si on n’avait pas son adresse? »
Heisbourg a aussi soulevé des questions concernant
la formation de tireur de Merah qu’il a apparemment acquise lors de deux
voyages en Afghanistan et au Pakistan, bien qu’il ait passé l’essentiel de
son temps à travailler comme carrossier : « Là, notre ‘loup solitaire’ fait
ce que les pires mafieux n’oseraient pas faire, il garde seul la maîtrise de
son engin, et conduit ses expéditions avec un calcul, une absence d’hystérie
jamais vue. Même les terroristes du 11 septembre étaient plus énervés ! Il a
donc reçu une formation de premier ordre ! Qui l’a formé et dans quelles
circonstances ? »
En effet, quelques questions demeurent quant à
savoir si Merah était bien le tueur. Il ne ressemblait pas à la description
donnée par des témoins de la fusillade de Montauban qui ont parlé d’un homme
assez corpulent avec des tatouages et une cicatrice sur la joue gauche. Par
contre Merah était svelte et n’avait pas de marques sur le visage.
(Article original paru le 24 mars 2012)