Quels enjeux en Syrie?
Par Chris Marsden
3 mars 2012
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Les médias internationaux conspirent pour
dissimuler quels sont les véritables objectifs et intentions des Etats-Unis
et des principales puissances à l’égard de la Syrie.
Cette semaine, les Nations unies ont à nouveau
intensifié leur campagne condamnant le régime de Bachar al-Assad pour
« crimes contre l’humanité » et ont accompagné celle-ci d’une masse
d’articles sur un nombre croissant de victimes à Homs, y compris la mort de
journalistes. Ce barrage médiatique exclut toute analyse objective du
caractère social et politique de l’opposition, de ses liens avec les
puissances impérialistes ou des origines historiques de la crise actuelle.
Toutes les victimes dans une guerre civile incitée par les Etats-Unis et
leurs alliés sont automatiquement attribuées aux forces de sécurité du
gouvernement.
Il s’agit ici d’une campagne coordonnée pour
manipuler l’opinion publique à soutenir l’intervention militaire au nom des
« droits de l’Homme » selon le scénario de l’opération sanglante de
changement de régime en Libye l’année dernière. L’exigence immédiate est la
mise en place de « couloirs humanitaires » protégés militairement par les
Etats du Golfe, la Turquie et l’OTAN ainsi que l’armement de l’opposition.
Les travailleurs et les jeunes doivent rejeter
toutes les tentatives de vouloir les entraîner dans une nouvelle
intervention de type colonial en jouant sur leurs sentiments humanitaires.
La déstabilisation de la Syrie n’est pas la conséquence d’un soulèvement de
masse populaire contre Assad. Contrairement au mouvement révolutionnaire qui
s’était développé en Egypte, l’opposition syrienne ne dispose que d’un
faible soutien dans les principaux centres urbains tels Damas et Alep où
l’on redoute la mise en place d’un régime sunnite qui persécutera les
minorités de la Syrie.
Dès que les protestations contre le régime
répressif d’Assad eurent commencé, Washington collabora avec les puissances
régionales – l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie – pour cultiver et
armer une opposition droitière sectaire dans le but d’amener un changement
de régime. L’opposition soutenue par l’impérialisme est dirigée par des
Islamistes associés aux Frères musulmans (FM) droitiers. En alliance avec
des figures bourgeoises ayant des liens de longue date avec la CIA et
diverses anciennes forces du régime, ils dominent le Conseil national syrien
(CNS) et l’Armée syrienne libre (ASL).
Nombre de journalistes qui pontifient sur la Syrie
sont parfaitement conscients du fait que ce ne sont pas les préoccupations
humanitaires qui motivent le soutien occidental pour l’opposition. Le 26
février, Steven Erlanger du New York Times reconnaissait que le
conflit en Syrie était « déjà devenu une lutte par procuration pour des
puissances plus importantes de la région et au-delà de celle-ci. » Il
écrit : « Pour Washington, pour l’Europe et pour les Sunnites d’Arabie
saoudite et du Golfe, l’impact sur l’Iran est tout aussi important que le
sort de M. Assad. »
Erlanger cite Olivier Roy, un historien français
du Moyen-Orient, qui déclare carrément : « La Syrie est presque le seul pays
où le printemps soi-disant arabe pourrait changer le concept géostratégique
de la région. » Il poursuit en disant qu’un renversement du pouvoir en Syrie
entraînerait nécessairement un paysage régional entièrement nouveau.
Changement de paysage signifie ici l’isolement de
l’Iran, qui est stratégiquement situé à la jonction du Moyen-Orient riche en
pétrole et de l’Asie centrale, et sa suppression en tant qu’obstacle à
l’établissement de l’hégémonie américaine dans la région.
Des projets pour parvenir militairement à cet
objectif sont divulgués en permanence aux médias. Ces fuites préparent
l’opinion publique à ce qui arrivera par la suite.
Ceci « ouvre la voie à l’institution d’une zone
d’exclusion aérienne » comme celles imposées au Kosovo et à l’Irak « avant
le renversement du régime de l’ancien président irakien Saddam Hussein. »
La Commission des droits de l’homme de l’ONU est
censée appuyer un appel pour « permettre aux agences humanitaires » de
livrer de l’aide à « Homs, Deraa, Zabadani et à d’autres régions. » La
France a dit qu’un nouveau projet de résolution serait soumis au Conseil de
sécurité de l’ONU sur le besoin d’accéder à ces régions.
Ce qui, jusque-là, a retenu les puissances
occidentales n’est pas seulement l’opposition de Moscou et de Beijing ni
l’embarras au sujet de la présence avérée d’éléments d’Al Qaïda au sein de
l’opposition syrienne – les Etats-Unis et leurs alliés européens collaborent
avec de telles forces en Libye. C’est aussi le fait, comme la secrétaire
d’Etat américaine Hillary Clinton l’a reconnu à la BBC, qu’il y a « une très
forte opposition à l’intervention étrangère à l’intérieur et à l’extérieur
de la Syrie. »
Actuellement, aucune force politique n’articule
l’hostilité publique à la guerre mentionnée par Clinton – ni les régimes
arabes vénaux et encore moins les divers partis pseudo-gauches, petits et
grands, et qui avaient jadis affirmés être socialistes et
anti-impérialistes.
La Syrie n’est que la dernière d’une série
d’aventures coloniales menées par les Etats-Unis avec le soutien actif des
puissances européennes. La première guerre du Golfe en 1991 avait coïncidé
avec la dissolution de l’Union soviétique par des éléments capitalistes qui
avaient émergé de la bureaucratie stalinienne. Les Etats-Unis l’avaient
perçu comme une opportunité historique de remonter le temps de l’histoire
partout dans le monde.
Le retrait d’une domination coloniale directe
était devenu indispensable après la Deuxième guerre mondiale en raison de
l’émergence de mouvements anti-impérialistes de masse qui, en dépit de la
dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique, tiraient leur inspiration
de la Révolution d’octobre 1917.
Les régimes capitalistes mis en place n’on jamais
pu représenter la libération authentique de la classe ouvrière et des masses
opprimées de l’impérialisme. Washington a toutefois été blessé par le défi
porté envers son régime et chercha à rétablir son contrôle au moyen
d’interventions sanglantes, de guerres clandestines et de guerres menées par
procuration, du soutien de mouvements et de régimes droitiers. Les
Etats-Unis virent la fin de Moscou en tant que superpuissance concurrente
comme une carte blanche pour recourir à leur supériorité militaire et
établir ainsi leur hégémonie sur des régions productrices de pétrole
cruciales du point de vue stratégique. Ce qui suivit furent des
interventions en Bosnie, au Kosovo, en Irak, en Afghanistan et en Libye.
L’actuelle série de guerres pour la domination
néocoloniale bénéficie d’un vaste appui des sociaux-démocrates, des Verts et
des libéraux, ainsi que de divers groupes pseudo-socialistes dans leur
sillage.
Ils ont tous cherché à justifier leur position en
répétant la pose moraliste de Washington, Londres, Paris et Berlin. Le
soutien à chaque nouvelle guerre pour les « droits de l’Homme » et la
« démocratie » requiert une soudaine amnésie bien commode quant aux crimes
commis durant la guerre précédente. Cette semaine, Clinton a qualifié Assad
de criminel de guerre. Mais le monde entier sait que les Etats-Unis ont
commis des crimes de guerre, tels la destruction de la ville de Fallujah en
2004, qui éclipse tout ce qu’Assad a commis.
Ceci ne dérange pas les interventionnistes
libéraux de tous bords qui sont les principaux défenseurs de la doctrine de
la « Responsabilité de protéger » utilisée pour légitimer n’importe quel
acte de banditisme en préparation. Leur indignation morale est toujours
sélective, conditionnée par un désir de préserver leur propre mode de vie
huppé en renforçant leur position de défenseurs reconnus de l’oligarchie
financière.
La guerre contre la Syrie n’est qu’une étape vers
l’attaque de l’Iran. Elle a déjà contribué à polariser le Moyen-Orient selon
un axe sectaire sunnite-chiite. Elle peut rapidement devenir une
confrontation régionale comportant un conflit direct entre les Etats-Unis,
la Russie et la Chine, pour lesquels la Syrie et l’Iran sont des partenaires
stratégiques.
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