Des soldats mutinés dirigés par le capitaine
Amadou Sanogo ont pris le pouvoir jeudi matin dans la capitale du Mali,
Bamako, décidant de dissoudre les institutions, de suspendre la
Constitution, d'instaurer un couvre-feu et de fermer les frontières pour une
durée indéterminée.
Le coup d'Etat qui avait débuté mercredi aurait
fait 40 morts dont plusieurs civils. Il n'est toujours pas certain que la
junte ait réussi à s'emparer de tous les leviers du pouvoir.
Le porte-parole de la junte, Amadou Konaré, est
lieutenant; il ne semble pas y avoir de hauts gradés dans les rangs de la
junte, ceux-ci ont soit été arrêtés, soit n'ont opposé aucune résistance.
Ils reprochaient au président Amadou Toumani
Touré, au pouvoir depuis 2002, d'être « incompétent » face à la rébellion
des Touaregs du Nord du pays. Celle-ci avait débuté le 17 janvier, mené par
le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et d'autres
rebelles, renforcé par des vétérans lourdement armés de la guerre en Libye
l'an dernier, qui ont combattu pour le compte du dictateur Mouammar Kadhafi.
Le 1er février, une manifestation de
femmes, épouses et mères de militaires tués lors des combats entre l'armée
malienne et les rebelles du MNLA, accusait le gouvernement d'avoir « envoyé
leurs hommes à l'abattoir sans préparation ni matériel adéquat. » Cette
manifestation avait été motivée notamment par l'annonce de la découverte
d'une fosse commune contenant les cadavres de 40 militaires alors que le
gouvernement n'avait annoncé que 2 morts dans les affrontements.
Les combats entre militaires maliens et rebelles
touaregs ont déplacé 206 000 personnes depuis la mi-janvier d'après le
Bureau des Nations Unies pour la coordination des Affaires humanitaires,
surtout vers la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso et l'Algérie.
Touré, alors général, était arrivé au pouvoir par
un coup d'état en 1991 contre le dictateur Moussa Traoré. Il avait rendu le
pouvoir aux civils par les élections de 1992 qui avaient mis au pouvoir
Alpha Oumar Konaré, issu du Rassemblement démocratique africain (RDA), lié
au PCF. En 2002, après avoir quitté l'armée, Touré était devenu président
par élection.
Si les Etats occidentaux et l'ONU ont proféré les
remontrances d'usage, il transparaît que Touré n'était plus considéré comme
un allié fiable par l'OTAN. Le 24 novembre dernier, l'Express citait
un haut responsable français familier de la région, gardant l'anonymat, qui
se plaignait : « Nous sommes très remontés contre les Maliens. Qu'il
s'agisse des cellules d'Al-Qaida au Maghreb islamique opérant dans l'extrême
nord du pays, de leurs liens avec les Touaregs ou du trafic de cocaïne
latino-américaine en chemin pour l'Europe, ce n'est plus de la passivité,
c'est de la complicité. Nous disposons de preuves irréfutables. [Al-Qaida]
est aujourd'hui plus fort qu'avant le lancement, en 2008, du plan Sahel,
dispositif anti-terroriste pour lequel Paris a consenti d'énormes
investissements. »
Le mois dernier, Touré avait accordé un entretien
à l'Express, déclarant : « S'agissant des rébellions arabo-touarègues
locales, Kadhafi s'est engagé dans les médiations, le désarmement et la
réinsertion. Sa chute laisse un vide … Très tôt, nous avons alerté l'OTAN et
d'autres sur les effets collatéraux de la crise libyenne. Sans être
entendus. »
En fait, Touré entretenait des liens très étroits
avec Kadhafi, pour lesquels il dit n'avoir « aucun regret. La Libye a
consenti chez nous des investissements substantiels dans l'hôtellerie, le
tourisme, l'agriculture et la banque, contribuant à notre développement. »
La chute de Kadhafi a disséminé d'importantes
quantités d'armes dans cette région et au-delà : le 15 octobre, la presse
faisait était d'un premier convoi de 400 vétérans à bord de 80 véhicules
militaires qui revenaient au Mali, le lendemain un premier soldat malien
était tué dans une embuscade dans cette région.
En octobre toujours, le journal allemand Der
Spiegel citait le président du Comité militaire des pays de l'Otan,
l'amiral italien Giampaolo Di Paola. Celui-ci expliquait : « Plus de 10.000
missiles sol-air, qui représentent une sérieuse menace pour l'aviation
civile, pourraient sortir de Libye et se retrouver dans de mauvaises mains
du Kenya à Kunduz ». En juin les forces nigériennes avaient intercepté un
convoi de plus de 600 kilos de Semtex venant de Libye.
Traditionnellement, les Touaregs ne réclamaient
qu'une autonomie interne au Mali, ce n'est que depuis la chute de Kadhafi et
l'établissement de liens prétendument plus étroits avec Al-Quaida qu'ils
revendiquent une indépendance complète. En réaction à l'intensification de
cette lutte, les Touaregs vivant au Sud du pays sont de plus en plus
victimes d’actes d’agression raciste.
La situation économique du Nord du Mali explique
en grande partie l'attrait de la rébellion pour la jeunesse touarègue. C'est
l'un des 25 pays les plus pauvres du monde, avec un PIB annuel par habitant
de $1300. Le taux d'inflation y est passé de 1 pour cent en 2010 à 3,6 pour
cent l'an dernier. Le désert couvre plus de la moitié du pays et ne contient
pas de pétrole ; l'essentiel de l'activité économique est concentré au Sud,
autour du fleuve Niger. Les nomades représentent 10 pour cent de la
population.
Pour Pierre Boilley, directeur du Centre d'études
des Mondes africains (CEMAF) : « Cela traduit leur amertume concernant ce
qu'ils considèrent la marginalisation de leur région et l'échec des
politiques d'intégration mises en oeuvre à leur profit depuis les années
1990. »
Touré expliquait, toujours à l'Express, que
: « La pauvreté et la précarité offrent au terrorisme et à l'intégrisme un
terreau fertile. Les djihadistes avancent tapis sous une couverture
caritative. Ils ciblent intelligemment les familles démunies ou la jeunesse
désoeuvrée. Le gars vole un 4 X 4 ou joue les guides non par adhésion
idéologique, mais pour l'argent. Nos ennemis s'infiltrent par l'humanitaire,
il faut leur répliquer par le développement ».
Loin de chercher à épargner la vie de leurs
hommes, les dirigeants de la junte se sont lancés dans une bataille
d'envergure autour de Kidal au Nord-Est contre des forces islamistes,
tentant de battre militairement un mouvement qui trouve ses racines dans la
crise économique et la déstabilisation de la région engendrée par la guerre
de l'OTAN en Libye.