Des dizaines de millions de travailleurs indiens ont participé
le mardi 28 février à une grève générale nationale pour protester contre la
hausse des prix, la propagation de la précarisation du travail, la
privatisation et les conditions de travail épouvantables dans lesquelles besognent
90 pour cent des travailleurs employés dans le soi-disant secteur informel.
La grève illustre la colère grandissante et l'opposition de la
classe ouvrière. Ces dernières sept années et demie on a assisté à une vague de
grèves combatives et d'occupation d'usines, touchant entre autre des usines
appartenant à Maruti-Suzuki, Hyundai, BDY Electronics et Foxconn.
Mais les travailleurs doivent être sur leurs gardes. Les
syndicats qui ont appelé à des protestations aujourd'hui - l'ensemble des onze
centrales syndicales et nombre de fédérations de l'ensemble de l'industrie reconnues
par le gouvernement - l'ont fait dans le but de contenir et de réprimer la
résistance de la classe ouvrière, et pas pour développer une contre-offensive
de la classe ouvrière contre le patronat et sa coalition gouvernementale de
l'Alliance unie pour le Progrès (UPA) dirigée par le Parti du Congrès.
Cela ne vaut pas uniquement pour l'Indian National Trade
Unions Congress (INTUC) et le Bharatiya Mazdoor Sangh (BMS), respectivement les
bras syndicaux du Parti du Congrès et du parti suprématiste hindou Bharatiya
Janata Party ou BJP. Le All India Trades Union Congress (AITUC) et le Centre of
Indian Trade Unions (CITU) ainsi que les partis parlementaires staliniens avec
lesquels ils sont affiliés - le Parti communiste de l'Inde (CPI) et le Parti
communiste d'Inde/marxiste (CPI/M) - s'insurgent contre la politique
« néolibérale » de la bourgeoisie indienne, alors qu'ils ont joué un
rôle crucial dans son application.
Au cours des deux dernières décennies, le CPI et le CPI(M) ont
à maintes reprises appuyé les gouvernements centraux de droite du patronat, y
compris le gouvernement de Narasimha Rao qui a inauguré la « nouvelle
politique économique » de la bourgeoisie indienne. Pendant quatre ans, de
mai 2004 à juin 2008, le Front de Gauche des staliniens a fourni les votes sur
lesquels se fondait l'actuel gouvernement UPA au pouvoir en promouvant ses
mensonges sur une « croissance intelligente ». A ce jour, les partis
staliniens et l'AITUC et le CITU affirment que le gouvernement UPA peut être
contraint à adopter une « politique en faveur du peuple. »
Précisément dans les Etats où le Front de Gauche a été au
pouvoir, notamment au Bengale occidental, il a poursuivi sans complexe une
politique « pro investisseur », en recourant à la violence de la police
et des fiers à bras pour déposséder les paysans des terres convoitées par le
patronat et pour interdire des grèves dans les industries du secteur
informatique et celles des services dépendant de l'informatique.
Durant la décennie passée, l'AITUC et le CITU ont fait de la
grève nationale de protestation d'une journée un quasi événement annuel, de
façon à fournir au Front de Gauche une couverture politique pour ses manouvres
réactionnaires au parlement et son rôle joué dans l'application du programme
patronal qui fait de l'Inde un paradis pour la production à bon marché pour le
monde capitaliste.
Mais les staliniens affirment que la grève de protestation
d'aujourd'hui est différente - en effet « historique » - parce que
toutes les fédérations syndicales rivales la cautionnent. Que pour « la
première fois de l'histoire de l'Inde indépendante, » l'INTUC et le BMS -
c'est-à-dire les syndicats qui sont affiliés aux principaux partis bourgeois -
participent conjointement à une grève générale de 24 heures les rend particulièrement
enthousiastes.
Au nom de « l'unité de la classe ouvrière, » l'AITUC
et le CITU ont aussi salué la participation de la fédération syndicale qui
partage les vues du Shiv Sena [l'armée de Shiva] parti de type fasciste au
Maharashtra et celle du Labour Progressive Front (LPF). Cette aile syndicale du
DMK, un parti régional tamoul et qui fait partie du gouvernement UPA, était
devenu célèbre pour ses sabordages des luttes ouvrières, dont le recrutement de
briseurs de grève, sous le gouvernement DMK récemment évincé au Tamoul Nadou.
La participation de ces forces de droite souligne que l'élite dirigeante
indienne est tout à consciente que la grève d'aujourd'hui est destinée à servir
de soupape de sécurité, visant à dissiper la colère sociale montante et à atteler
la classe ouvrière à la politique « oppositionnelle » qui est
totalement confinée aux partis politiques et aux structures politiques de la
bourgeoisie.
Il a beaucoup été question de la participation de l'INTUC
affilié au Congrès au mépris des appels du premier ministre Manmohan Singh et
du ministre du Travail de l'UPA. Mais la présidente du Parti du Congrès, Sonia
Gandhi, a expressément autorisé la participation de l'INTUC à la dernière
protestation initiée par le CITU-AITUC, en disant au président de l'INTUC et
député du Congrès, G. Sanjiva Reddy, qu'elle comprenait que son travail consistait
à « représenter les travailleurs. »
L'« unité » que les staliniens ont forgée est
l'unité des appareils syndicaux des partis de l'establishment indien.
Elle est dirigée contre le mouvement naissant de la classe ouvrière.
Ce que ceci signifie dans la pratique a été clairement
illustré dans les efforts communs entrepris pour réprimer durant l'été et
l'automne dernier la lutte combative des travailleurs de l'usine d'assemblage
automobile Maruti-Suzuki implantée à Manesar. L'AITUC et le CITU avaient uni
leurs forces aux autres appareils syndicaux pour empêcher que la grève ne
devienne le fer de lance d'une révolte plus large des travailleurs dans la
ceinture industrielle de Manesar-Gurgaon, en faisant à maintes reprises pression
sur les travailleurs pour qu'ils acceptent des règlements ne satisfaisant pas
leurs revendications clés et en leur demandant instamment d'appeler à l'aide le
gouvernement du Parti du Congrès de l'Etat d'Haryana qui travaillait
étroitement avec Maruti-Suzuki pour briser la grève.
Si l'INTUC et le BMS allié au BJP ont réagi aux appels des
staliniens de se joindre à la protestation d'aujourd'hui, c'est parce qu'ils la
considèrent comme un moyen de se présenter en champions des travailleurs en
renforçant la crédibilité de leurs partis respectifs.
Pour les staliniens l'entretien de liens étroits avec les
appareils syndicaux rivaux est un moyen d'amplifier la politique menée depuis
des décennies. Celle-ci consiste à s'aligner tant au niveau national qu'à celui
de l'Etat d'abord sur un parti bourgeois puis sur l'autre en invoquant le
prétendu « danger principal de la droite ». Au Tamoul Nadou, le CPI
et le CPM se sont servis de la participation de l'AIADMK, un parti qui, au
pouvoir, avait employé des briseurs de grève et des licenciements de masse pour
briser la grève des travailleurs gouvernementaux, à diverses protestations en
soutien aux grévistes, comme d'un tremplin pour une alliance électorale avec
l'AIADMK lors des élections législatives de l'année dernière.
Actuellement, les staliniens promeuvent la nécessité d'un
Troisième Front - une alliance électorale devant être concoctée à partir de
divers partis régionalistes et fondés sur des castes. Tous ces partis sont
d'anciens alliés du Congrès et du BJP. Mais, dans un avenir proche, il ne peut
pas être exclu qu'ils s'allieront implicitement ou explicitement au Parti du Congrès
ou au BJP.
Durant ces deux dernières décennies, le patronat indien a
connu une « montée » grâce à une exploitation brutale de la classe
ouvrière tout en étant sourd à la grande détresse agricole. A présent, en
réaction à la crise capitaliste mondiale, il exige une accélération des
réformes pro marché, l'élimination des dernières restrictions de licenciement
et de fermeture d'usines ainsi que la réduction des faibles montants alloués
aux dépenses sociales.
Il y a même des appels contre la Loi nationale sur la garantie
d'emploi dans les régions rurales (National Rural Employment Guarantee) au
motif qu'elle est « inabordable » et que le fait de fournir des
emplois à un dollar américain par jour à quelques pauvres ruraux crée des
distorsions sur le « marché du travail rural. »
Les travailleurs en Inde, comme de par le monde, sont confrontés
à une lutte non pas contre un seul gouvernement mais à une lutte contre le
capitalisme et pour la réorganisation de la société selon des lignes
socialistes, de façon à ce que la production soit basée sur les besoins humains
plutôt que sur la subordination aux profits de quelques-uns. Les grèves
combatives pour la défense des emplois, contre la précarisation et pour les
droits fondamentaux doivent être développées comme partie intégrante d'une
offensive politique indépendante de la classe ouvrière pour un gouvernement
ouvrier et paysan.
Une telle lutte ne peut se développer que par une rupture
politique et organisationnelle avec les partis politiques staliniens et les
appareils syndicaux. Pour mener leurs luttes, les travailleurs doivent construire
des comités d'action qui devraient se développer en organes indépendants du
pouvoir de la classe ouvrière.
La classe ouvrière en mettant en avant un programme socialiste
doit fournir une direction aux paysans pauvres et aux autres sections des
masses opprimées dans leurs luttes contre les propriétaires, les prêteurs sur
gages et les groupes patronaux.
Ceci requiert avant tout la construction d'un parti ouvrier
révolutionnaire de masse comme partie intégrante d'un parti international de la
classe ouvrière, une section indienne du Comité International de la Quatrième
Internationale, le parti fondé par Léon Trotsky, le codirigeant de la
Révolution russe de 1917, un adversaire infatigable du stalinisme et avant tout
stratège du socialisme international.
Afin de promouvoir leur lutte pour le renversement du
capitalisme, les travailleurs requièrent un nouveau parti, un parti
révolutionnaire fondé sur le programme et la perspective du socialisme
international. Le Comité International de la Quatrième Internationale et ses
sections, le Parti de l'Egalité socialiste aux Etats-Unis, au Canada, en
Grande-Bretagne, au Sri Lanka, en Allemagne et en Australie, sont les seuls
mouvements politiques qui luttent pour la construction d'une telle direction
révolutionnaire de la classe ouvrière internationale.