Tsipras en route vers l’Hôpital de la Croix Rouge
La semaine passée, lors d’une conférence de presse
qui s'est tenue à l’Hôpital de la Croix Rouge à Athènes, le président de
SYRIZA, Alexis Tsipras, a renouvelé son appel en faveur d’une collaboration
entre partis. Durant ces deux dernières années, des réductions massives ont
été imposées à l’hôpital et, en conséquence, les infirmières ne gagnent
souvent que 500 euros (659 dollars US) par mois. L’hôpital est également
confronté à une privatisation partielle qui a entraîné une série de
protestations de la part du personnel.
Lors de sa conférence de presse à laquelle a
participé un petit groupe de salariés, Tsipras s’est prononcé contre le
projet de privatisation en réclamant davantage de moyens pour l’hôpital. Il
a cherché à convaincre les travailleurs présents qu’un gouvernement de
« gauche » serait en mesure de désamorcer les tensions sociales et de
revenir sur certaines réductions.
Le discours de Tsipras a nourri les illusions que
des « salaires décents, des retraites, des écoles et des hôpitaux »
pourraient être obtenus en dépit des mesures drastiques de l’Union
européenne (UE) et qu’il était possible d’obliger l’aristocratie financière
à faire des concessions grâce à des négociations. De vastes couches de la
population laborieuse grecque ont tiré des conclusions tout à fait
différentes des expériences de ces derniers mois. Tsipras a cherché à
dissimuler son appel en recourant à une rhétorique radicale pour souligner
la « contradiction existant entre le capital et le travail » et qui, a-t-il
dit, était en train de s’intensifier dans la crise actuelle.
Dans son discours, le dirigeant de SYRIZA n’a
demandé ni l’expropriation des banques ni la mise en place d’un gouvernement
ouvrier, révélant ainsi son hostilité à une perspective socialiste dirigée
contre le capitalisme.
Alors que la situation en Grèce révèle
l’impossibilité de défendre les droits des travailleurs sans briser le
pouvoir de l’élite financière, Tsipras planifie un gouvernement de
« gauche » qui accepte les dictats de l’Union européenne en organisant les
futures coupes de manière telle qu’elles puissent facilement être imposées à
la population. C’est ce qui est clairement ressorti du discours prononcé par
Tsipras à l’hôpital.
Lorsque des partisans du WSWS ont souligné que sa
revendication de revenir sur les coupes sociales était incompatible avec son
soutien pour l’Union européenne qui depuis deux ans prescrit des réductions
drastiques à la Grèce, Tsipras a répondu en précisant que SYRIZA n’était pas
pour un retrait de l’UE. Il a clairement fait comprendre qu’il était prêt à
s’asseoir autour d’une table pour « négocier » avec les responsables mêmes
de l’UE qui ont saigné à blanc la Grèce ces dernières années.
« Si nous réussissons à former une coalition
dirigeante » a déclaré Tsipras, « et que le pouvoir est transféré à ceux qui
défendent les intérêts des travailleurs et du peuple, alors nous chercherons
bien sûr à dénoncer les mesures d’austérité et la politique actuelle. Nous
entamerons des négociations farouches à la fois au niveau européen et
international en recourant à tous les moyens possibles pour arriver à un
résultat favorable au niveau européen. »
Etant donné que l’UE a joué dès le départ un rôle
central dans les attaques perpétrées contre les droits des travailleurs
grecs, le mot « renégocier » représente une acceptation tacite des mesures
d’austérité. Ce qu'il dit de la contradiction entre le « capital et le
travail » n’est que de la poudre aux yeux pour autant que Tsipras est
disposé à reconnaître comme partenaire de négociation l’une des plus
importantes institutions capitalistes.
La position de Tsipras quant à l’UE est même
encore plus évidente si l’on examine quels sont les partenaires qu’il
envisage pour une alliance. Dans son discours, Tsipras a admis que le
dirigeant de la Gauche démocrate (DIMAR), Fotis Kouvelis, avait jusque-là
refusé toute coopération mais Tsipras était sûr qu’il finirait par entendre
raison et accepterait la nécessité de collaborer avec SYRIZA.
« Nous pensons que notre proposition, » a indiqué
le patron de SYRIZA, « trouvera une réponse non seulement de la part de la
gauche, mais de tous ceux qui se rendent compte que nous sommes dans une
situation où notre maison est assiégée, où nous nous faisons cambrioler par
un voleur et où nous devons travailler ensemble pour chasser le voleur –
même si à l’occasion nous avons des différences d’opinion mineures. »
Les forces avec lesquelles Tsipras n’a que des
différences d’opinion « mineures » sont les défenseurs agressifs de l’UE et
des banques.
Le porte-parole de DIMAR, Andreas Papadopoulos, a
dit au WSWS que le fait de rester dans l’UE était un objectif stratégique
primordial pour son parti. Si les institutions de l’UE une fois de plus
cherchaient à imposer des réductions, un gouvernement impliquant son parti
engagerait des négociations pour introduire « d’autres mesures qui seraient
socialement compatibles. » Et même si cette stratégie échouait, le retrait
de l’UE était hors de question. « Nous ne quitterions jamais l’UE, » a
souligné Papadopoulos.
Kouvelis, le chef de DIMAR, ancien ministre, sait
parfaitement que ceci signifie l’imposition d’une nouvelle série de
réductions face à une résistance populaire croissante. A cette fin il
appelle à des mesures autoritaires telles la création d’un nouveau ministère
doté de pouvoirs spéciaux. « Nous voulons un ministre du budget auquel tous
les autres ministres sont subordonnés, » a-t-il dit au quotidien allemand
Die Welt. Un tel super ministre devrait être élu directement par le
parlement plutôt que d’être sélectionné par le chef du gouvernement. « Ceci
signifierait qu’il ne pourrait pas être remplacé lors d’un remaniement
ministériel qui, en Grèce, est chose courante en politique, » a expliqué
Kouvelis.
Un tel « ministre du budget » auquel tous les
autres ministres sont subordonnés ne signifierait rien de moins que la
transformation de la dictature financière de l’UE en une dictature politique
du gouvernement grec.
DIMAR a été fondé en juin 2010 par des membres de
SYRIZA qui voulaient voter en faveur du programme de coupes sociales du
PASOK et qui cherchaient à former une coalition avec les sociaux-démocrates.
Kouvelis avait dit à l’époque : « Nous voulons une gauche qui ne se sente ni
obligée de défendre tous les droits durement acquis des travailleurs, ni ne
courtise les syndicats pour les utiliser à des fins politiques mesquines. »
Pour SYRIZA le fait de former une coalition avec
DIMAR équivaut à rejoindre une coalition avec le PASOK, le parti dirigeant,
et pas simplement parce qu’un nombre croissant d’anciens politiciens du
PASOK, tels des rats quittant le navire avant le grand naufrage, ont
récemment rejoint DIMAR. Pour sa part, DIMAR poursuit activement une
coopération avec PASOK. « Rejoindre le gouvernement nous intéresse, » a
déclaré Papadopoulos, porte-parole de DIMAR : « Même si nous avons des
différences, nous sommes prêts pour une coalition avec le PASOK. »
SYRIZA a déjà envisagé à maintes reprises une
coalition avec le PASOK. En 2009, Tsipras avait dit aux représentants du
Parti de la refondation communiste italien (Rifondazone Comunista) qu’il
était prêt à former une coalition avec PASOK si ce dernier « reconnaissait
la nécessité de changer la société grecque en l’infléchissant vers la
gauche. » Il s’agit d’un énoncé vide de sens auquel des politiciens
insaisissables pourraient souscrire sans difficulté en promettant de le
respecter.
Le PASOK était entré au gouvernement en 2009 après
des élections anticipées pour remplacer Nouvelle Démocratie (ND). Lors de sa
campagne électorale, le PASOK avait appelé à accroître les dépenses
publiques du gouvernement dans le domaine du social. En tant que parti
gouvernemental, le PASOK avait organisé ses deux dernières années une
contre-révolution sociale. Le PASOK est largement discrédité au sein de
vastes couches de la population mais DIMAR et SYRIZA cherchent à insuffler
une nouvelle vie dans le cadavre de la social-démocratie grecque.
A cet égard, SYRIZA peut compter sur le soutien
d’une multitude de groupes anciennement de gauche qui adoptent une attitude
quelque peu plus radicale mais qui s’entendent sur leur orientation de base.
Une telle organisation est la section grecque du Comité pour une
Internationale ouvrière (Workers’ International, CWI), Xekinima-Socialist
Internationalist Organisation qui réclame également une coalition des partis
de « gauche » qui soit en mesure de former un gouvernement après les
prochaines élections. Des exigences identiques sont faites par le SEK
(International Socialist Tendency, IST) ou l’OKDE (Organization of Communist
Internationalists of Greece United Secretariat.)
En réalité, un tel gouvernement poursuivrait la
logique du régime PASOK précédent et imposerait les dictats de l’UE à
l’encontre des travailleurs grecs. Afin de s’opposer à la contre-révolution
sociale, les travailleurs doivent s’organiser indépendamment de tous ces
groupes en s’opposant directement à l’UE et à toutes ses institutions. Leur
allié dans cette lutte est la classe ouvrière dans l’ensemble de l’Europe.
(Article original paru le 23 mars 2012)