Au moins une centaine de millions de travailleurs ont participé
mardi 28 février à une grève nationale d'une journée en Inde pour soutenir une
charte de revendication en dix points et protester contre la politique
socio-économique de la coalition gouvernementale de l'Alliance unie pour le
Progrès menée par le Parti du Congrès.
Les revendications comprenaient: une action pour contenir la
hausse des prix, un arrêt de la privatisation ; la fin de la complicité entre
le gouvernement et les employeurs et la violation systématique du droit du
travail ; une égalité de salaire et des droits pour le grand nombre de
travailleurs précaires dans le secteur industriel et public ; et la
prestation d'allocations sociales pour tous les travailleurs indiens qui
triment dans le soi-disant secteur non organisé dans des conditions de travail
semblables à celles d'ateliers de misère.
Un responsable du syndicat national des travailleurs de Telecom (National Union of Telecom Workers) s'exprimant à un
rassemblement devant le bureau du télégraphe à Chennai.
La grève fut appelée par les onze centrales syndicales
reconnues par le gouvernement dont celles affiliées aux deux partis
parlementaires staliniens - le Parti communiste de l'Inde (CPI) et le Parti
communiste d'Inde (marxiste) (CPI-M) - et les ailes syndicales respectives du
Parti du Congrès et de l'Opposition officielle, le Parti suprématiste hindou Bharatiya
Janata Party ou BJV.
L'impact de la grève a varié grandement selon les Etats et les
industries.
Elle a paralysé les activités des banques et des sociétés
d'assurance du secteur public, des services postaux, de la plus grande partie
du système du transport public et des ports publics partout en Inde. La plus
grande partie de l'industrie du charbon fut fermée et il y eut des débrayages
dans de nombreuses usines de production, dont celles de la ceinture industrielle
de Gurgaon-Manesar où les travailleurs de l'usine d'assemblage de Maruti-Suziki
avaient organisé l'année dernière une série de grèves combatives et des occupations
d'usine.
Le réseau ferroviaire national et le trafic aérien par contre
furent à peine touchés.
Dans l'Etat de Kerala, au Sud-Ouest, la vie courante fut
paralysée, les bus ne roulaient pas et les magasins étaient fermés, les
travailleurs ayant ignoré l'ordre du gouvernement de Front uni démocratique
mené par le Parti du Congrès de réduire les salaires des fonctionnaires
participant à la grève.
La grève a eu un impact majeur à Mumbai, la capitale
financière de l'Inde, et plus généralement dans l'Etat indien du Maharashtra à
l'Ouest où elle est située. Le débrayage des employés des banques publiques et de
la Banque de Réserve indienne, la banque centrale du pays, a sérieusement
perturbé les opérations des banques privées non syndiquées.
Le gouvernement AIADMK de l'Etat indien du Tamoul Nadou dans
le Sud a pris des mesures provocatrices pour briser la grève, notamment dans le
secteur du transport. Un salaire doublé était offert aux chauffeurs et aux
conducteurs des autobus publics s'ils travaillaient mardi. Néanmoins, la grève
eut un impact significatif vu que de nombreux employés du secteur public, dont
des banques et des télécommunications, se joignirent à la grève. Dans les
centres de l'industrie textile de Tripur et de Coimbatore, des dizaines de
milliers de travailleurs ont fait grève.
Au Bengale occidental, le gouvernement droitier du Parti du
congrès Trinamool a entrepris des efforts soutenus pour briser la grève en
mobilisant des escadrons de policiers et de fiers à bras pour harceler et
intimider les partisans de la grève. Avant la grève, le gouvernement avait issu
une circulaire pour annoncer que les employés du gouvernement d'Etat qui ne se
rendraient pas à leur travail mardi seraient coupables de « manquement à leurs
obligations », une mesure de représailles signifiant la perte de toutes
leurs prestations accumulées de retraite.
Face à cette menace, la plupart des employés sont allés
travailler et à Calcutta, la capitale de l'Etat et la troisième ville la plus
peuplée, les autobus et les métros publics ont fonctionné normalement. Mais
sinon la grève fut massivement soutenue. Les travailleurs de l'industrie
minière, de la production d'énergie, du bâtiment et de nombreuses autres
industries ont cessé le travail. Environ 90 pour cent des travailleurs des
plantations de thé ont fait grève. La plupart des bureaux du gouvernement
central, principalement des banques, des assurances, de la poste et du téléphone
sont restés fermés.
Si les transports publics ont fonctionné, la plupart des
autobus privés et des 'rickshaw' (trois roues) et autres taxis s'étaient eux, joints
à la grève - malgré la menace émise par le ministre des Transport d'Etat, Madan
Mitra, que les opérateurs privés d'autobus qui refusaient de transporter des
passagers mardi ne seraient pas autorisés à assurer le transport la semaine
suivante.
Dans le cadre de ses mesures antigrève, le gouvernement a
déployé 15.000 policiers supplémentaires rien qu'à Calcutta. Plus de 2.000
grévistes furent arrêtés dans l'ensemble de l'Etat.
La chef du gouvernement, Mamata Banerjee, a ordonné à tous les
services gouvernementaux de soumettre les noms de ceux qui ne s'étaient pas
présentés au travail mardi. Selon des rapports de presse, elle doit encore
décider de mettre à exécution ou non la menace de priver les partisans de la
grève de leurs prestations de retraite. De telles représailles draconiennes et
vindicatives entraîneraient très certainement de vastes revendications de la
part des travailleurs en faveur d'un mouvement de grève immédiat.
A Bangalore, un centre de technologie de l'informatique au
Karnataka dirigé par le BJP, les travailleurs de la plupart des bureaux
gouvernementaux et des banques, ainsi que les chauffeurs de rickshaw s'étaient
joints à la grève. Les magasins et les écoles étaient fermés. Alors que
l'industrie informatique a normalement fonctionné, le recours du gouvernement à
des bus supplémentaires n'a pas empêché la grève d'avoir un très grand impact.
Au Karnataka, comme dans de nombreuses autres parties en Inde, un élément
important de l'impact de la grève fut l'importante participation des
travailleurs du « secteur non organisé » - dont les chauffeurs de
trois roues, les travailleurs du bâtiment, les salariés des entrepôts et les anganwadi
(les travailleurs de santé
communautaires).
La grève de protestation de mardi et la récente vague de
grèves dures dans le nouveau secteur manufacturier mondialement intégré de
l'Inde - y compris dans les usines appartenant à Foxconn, BYD Electronics,
Hyundai, et les fabricants de pièces pour Ford, GM et d'autres multinationales
de l'automobile - témoignent de la colère et de la combativité grandissantes de
la classe ouvrière.
L'élite indienne et le gouvernement Obama parle en permanence avec
exultation de la « montée » de l'Inde mais l'expansion du capitalisme
indien au cours des deux dernières décennies s'est faite au moyen de
l'exploitation impitoyable de la classe ouvrière et dans le contexte d'une crise
agricole directement imputable au programme patronal de libre marché.
De plus, l'élite indienne, tout comme ses homologues de par le
monde, a réagi à la crise mondiale, en exigeant d'intensifier l'assaut contre
les travailleurs. Elle demande que l'UPA menée par le Parti du Congrès réduise
drastiquement les dépenses sociales, supprime les subventions accordées aux
prix et élimine les restrictions au licenciement et à la fermeture d'usine.
« Il est temps que le gouvernement UPA surmonte son ambivalence et .introduise
des réformes du travail attendues de longue date, » a tonitrué le New
Indian Express.
Cependant, alors que la grève de mardi a été la preuve d'une
combativité montante des travailleurs, les syndicats qui l'ont appelée n'ont
rien fait pour engager la classe ouvrière à défier le gouvernement UPA et le
programme de la bourgeoisie de faire de l'Inde un paradis de la production bon
marché pour le capitalisme mondial, ils ont plutôt oeuvré pour contenir et
politiquement réprimer la classe ouvrière.
La direction de la grève était en grande partie entre les
mains du CPI et du CPM voire de leurs fédérations syndicales respectives le All
India Trades Union Congress (AITUC) et le Centre of Indian Trade Unions (CITU).
Au cours de ces deux dernières décennies, les staliniens ont appelé à au moins
14 grèves générales d'un jour en guise de couverture politique pour dissimuler
le rôle dirigeant qu'ils ont joué en imposant le programme du patronat indien.
Les staliniens ont à maintes reprises étayé le gouvernement central, dont depuis
quatre ans l'actuel gouvernement UPA et, dans les Etats où ils étaient au
pouvoir, ils ont ouvertement poursuivi une politique pro-investisseur.
Les staliniens ont salué la décision des syndicats du Congrès
et du BJP de se joindre à la grève du 28 février comme « historique ».
Le secrétaire général de l'AITUC, Gurudas Dasgupta, a loué G. Sanjiva Reddy, le
président de l'INTUC (Indian National Trade Unions Congress) affilié au Congrès,
et un membre du Congrès, car il était le « combattant le plus conséquent
de notre lutte commune. »
La collaboration des staliniens avec les syndicats du Congrès
et du BJP est clairement la première étape d'une nouvelle série d'alliances
politiques réactionnaires entre le Front de Gauche dirigé par les staliniens et
les partis du patronat indien.
Un rassemblement de grévistes mardi à Chennai, la capitale de l'Etat du Tamoul Nadou dans le sud de
l'Inde.
Les corresponsants du World Socialist Web Site ont parlé mardi à plusieurs travailleurs en grève à
Chennai.
Sekar, un postier, a dit, « Depuis de nombreuses années
il n'y a pas de recrutements à la poste. En conséquence, la charge de travail
est énorme. Il y a encore des dizaines de milliers d'employés intérimaires qui
n'ont toujours pas été titularisés au bout de nombreuses années. »
Sridhar, un travailleur du télégraphe a dit au
WSWS: « Plus de la moitié des travailleurs ont participé à la grève. Mais
près de 40 pour cent ne l'ont pas fait parce qu'ils craignaient de perdre l'équivalent
de 1.000 Roupies [US $20] en vertu de la menace du gouvernement, 'Pas de
travail Pas de salaire'. Les correspondants du WSWS ont indiqué qu'il pouvait y
avoir d'autres raisons pour lesquelles des sections de travailleurs ont choisi
de ne pas participer à la grève, y compris le fait que les principaux syndicats
qui avaient lancé l'appel à la grève sont affiliés à des partis politiques qui
ont eux-mêmes été décisifs dans l'application des réformes de libre marché. En approuvant
ce commentaire, Sridhar a dit, « Tous ces partis politiques appliquent une
politique anti-ouvrière à laquelle ils prétendent s'opposer quand ils sont dans
l'opposition. C'est une tromperie. »