Alexis Tsipras, le dirigeant de la Coalition de la
Gauche radicale (SYRIZA), en visite hier à Paris, a rencontré les
responsables du Front de Gauche, avant de poursuivre son voyage aujourd’hui
à Berlin. A Berlin, Tsipras doit rencontrer les dirigeants du parti allemand
Die Linke, Gregor Gysi et Klaus Ernst.
A Paris, Tsipras a rencontré Pierre Laurent, le
secrétaire national du Parti communiste français stalinien (PCF) et le
candidat du Front de Gauche aux élections présidentielles de ce printemps,
Jean-Luc Mélenchon. En plus d’une conférence de presse avec Laurent et
Mélenchon, il a tenu un discours devant quelque 300 membres du Front de
Gauche rassemblés devant le bâtiment de l’Assemblée nationale.
SYRIZA arrive en tête des sondages pour les
élections le mois prochain en Grèce en raison de ses critiques contre les
mesures de rigueur imposées par l’Union européenne (UE) à la Grèce depuis
2009. Un sondage publié dimanche dans le journal Kathemerini montre
que SYRIZA a des chances de remporter une majorité et pourrait
éventuellement former un gouvernement après les élections du 17 juin. Les
élections ont été prévues après l’échec des partis grecs à former un
gouvernement de coalition sur la base des élections du 6 mai. Avec 28 pour
cent des intentions de vote SYRIZA devance à la fois Nouvelle Démocratie qui
recueille 24 pour cent et le parti social-démocrate PASOK.
Le but de la tournée de Tsipras est de rassurer
les banques et les principales puissances impérialistes qu’en dépit de ses
critiques contre les renflouements, il sera un partenaire fiable au cas où
SYRIZA gagnerait les élections et formerait un gouvernement. Dans une longue
interview accordée dimanche à Reuters – dont le journal britannique The
Guardian et le quotidien français Les Echos ont repris des
extraits – Tsipras a souligné qu’il soutenait l’UE et avait l’intention de
rembourser les banques et de poursuivre les « réformes » lancées par PASOK.
Tsipras a fait savoir à Reuters qu’il se rendait à
l’étranger parce que « nous voulons que les gouvernements de ces grands pays
de l’Union européenne, comme la France et l’Allemagne, voient ce que nous
défendons : ce qui se dit sur nous en Europe ne correspond pas à ce que nous
sommes et à ce que nous voulons». Il a ajouté, « Nous ne sommes nullement
une force anti-européenne ».
En remarquant que l’argent des contribuables
européens avait été « gaspillé » au cours de deux renflouements bancaires
précédents accordés à la Grèce à la hauteur de plusieurs milliards d’euros,
Tsipras a expliqué qu’il cherchait à créer de meilleures conditions pour le
remboursement des banques.
Il a dit : « Nous voulons utiliser la solidarité
et le financement européen pour créer la base des réformes que nous mènerons
à long terme. Mais il faut que nous sachions que nous aurons échappé d’ici
deux-trois ans à ce tourbillon qui nous porte vers le bas. Nous aurons la
croissance et nous pourrons rembourser l’argent qu’ils nous ont donné. En
aucune façon nous ne pourrions rembourser si nous continuions » avec les
renflouements dans les conditions actuelles.
Tsipras a discuté avec Reuters de la politique
économique du gouvernement Obama en le louant d avoir rendu « la récession
moins sévère qu’en Europe ». Il a souligné qu’Obama et le président français
nouvellement élu, François Hollande, s’étaient apparemment mis d’accord sur
la Grèce lors de leur réunion ce week-end au sommet du G8 à Camp David.
Ici, Tsipras a insisté sur une position qu’il
avait avancée à plusieurs reprises : que l’Europe doit adopter la politique
du gouvernement Obama pour réagir à la crise économique. Dans une entrevue
accordée le 18 mai au New York Times, il avait expliqué que le
message qu’il adressait au G8 est que « nous devons faire pression sur [la
chancelière allemande Angela] Merkel pour qu’elle suive l’exemple de
l’Amérique où l’on n’a pas abordé la crise de la dette avec des mesures
d’austérité, mais plutôt avec une approche expansionniste ».
Le New York Times a commenté, « Les
arguments de M. Tsipras ne sont pas si différents de ceux défendus par
certains dirigeants rassemblés au sommet du Groupe des 8 à Camp David ».
Tsipras considère clairement à la fois Obama et le
nouveau gouvernement français comme ses alliés. En parlant avec Reuters, il
a dit : « Lors de la réunion Hollande-Obama, la principale question était ce
qui se passait en Grèce. Jusqu’à hier, [c’est-à-dire la publication du
communiqué du G8], ce qui se passerait en Grèce était décidé : le peuple et
les travailleurs seraient écrasés, les droits du travail seraient anéantis…
Pour la première fois depuis bien longtemps, nous avons des conditions et
des modalités pour faire en sorte que cette négociation soit dans l’intérêt
du peuple et contre les banques et le capital».
Cette dernière envolée lyrique de Tsipras ne fait
que souligner la malhonnêteté fondamentale de la politique de SYRIZA. Tout
en faisant appel aux électeurs en affirmant qu’elle rejette la rigueur et
qu’elle défend « le peuple», elle fait entendre un autre son de cloche dans
des interviews destinés aux gouvernements impérialistes et aux homologues
parlementaires de SYRIZA en Europe. Là, SYRIZA explique qu’elle vise
seulement à renégocier les termes de la répression de la classe ouvrière en
Grèce afin de pleinement « rembourser » le capital financier mondial tout en
évitant une explosion du mécontentement de la classe ouvrière.
SYRIZA, quant à elle, est tout à fait consciente
que ses intérêts sont liés à ceux des gouvernements capitalistes sur le plan
international et qu’elle craint une opposition sociale grandissante au sein
de la classe ouvrière. Comme Tsipras l’avait dit au New York Times,
une décision de l’UE d’expulser la Grèce de la zone euro en représailles
pour une victoire de SYRIZA « scierait la branche sur laquelle nous sommes
tous assis ».
Rien n’étale plus clairement au grand jour le
caractère anti-ouvrier du programme de SYRIZA que le soutien de Tsipras pour
la politique d’Obama. Alors que les banques ont reçu des centaines de
milliards de fonds publics de Washington et que quelque 7,7 milliers de
milliards de dollars ont été imprimés par la Réserve fédérale, Obama est en
train de lancer une attaque féroce contre les travailleurs. Des millions de
travailleurs ont perdu leur emploi, les conditions sociales sont en train de
se désintégrer, les frais de scolarité augmentent en flèche et les
travailleurs sont confrontés à des réductions drastiques de salaire – mises
en évidence par les baisses de salaire de 50 pour cent pour les salariés
nouvellement embauchés dans l’industrie automobile.
Ceci justifie l’opposition constante affichée par
le World Socialist Web Site à l’encontre de SYRIZA et de ses
partenaires internationaux, y compris le Front de Gauche français et le
parti Die Linke en Allemagne.
Dans sa perspective « La
Grèce et la crise mondiale du capitalisme », le WSWS a
qualifié SYRIZA de « parti qui représente une section de la bourgeoisie
grecque qui veut des remboursements encore plus grands de la dette pour
éviter un effondrement économique et des altérations cosmétiques dans les
termes de la réduction du déficit afin de faire taire l'opposition
populaire. SYRIZA défend catégoriquement l'Union européenne et l'euro, tout
en se présentant comme opposée à l'austérité, mais la quadrature du cercle
est impossible. L'austérité et les attaques toujours plus brutales contre la
classe ouvrière sont une exigence faisant partie intégrante de l'UE des
banquiers et de l'ordre capitaliste qu'elle défend».
SYRIZA ne représente pas une opposition socialiste
au capitalisme mais une couche de parlementaires riches et de carriéristes
qui sont en train de planifier la possibilité qu’ils pourraient prendre le
pouvoir. C’est ce que les médias européens qui, il faut le dire, disposent
d’une considérable expérience avec ce genre de type social, comprennent
parfaitement bien.
En félicitant les assistants de Tsipras qui
portent des « sacs Louis Vuitton et des lunettes de soleil à la mode », le
Guardian a terminé son compte-rendu de l’interview de Tsipras avec
Reuters en concluant joyeusement que Tsipras « paraissait être en train de
se préparer au pouvoir et de modérer son ton ».
Il n’y a pas grand-chose à ajouter à une telle
évaluation qui décrit les habitudes personnelles de la « gauche » petite
bourgeoise européenne.