L'Assemblée nationale du Québec s'est exceptionnellement
réunie hier soir pour que le gouvernement libéral puisse passer une loi
spéciale afin de briser la grève étudiante qui dure maintenant depuis 14
semaines à travers la province.
Mercredi, en annonçant que le gouvernement avait
l'intention de légiférer contre les étudiants, le premier ministre Jean Charest
s'est présenté comme un défenseur du droit de manifester et un opposant de la
violence. Mais la loi spéciale est une tentative ouverte de recourir à la
répression d'État pour étouffer l'opposition populaire à la hausse des frais de
scolarité universitaires de 1778 $, soit plus de 80 pour cent, sur les
sept prochaines années.
L'élite du Québec et du Canada appuie avec force le
gouvernement Charest et sa position que la hausse des frais de scolarité est
non négociable. Elle ne peut tolérer aucune entrave à son assaut généralisé sur
les services publics et les conditions de vie des travailleurs. En colère, elle
a ridiculisé les demandes des étudiants qui veulent que l'éducation soit un
droit social.
La loi spéciale, la première du genre dans
l'histoire du Canada, devrait faire augmenter radicalement les pénalités
imposées aux étudiants en grève et à leurs partisans sous le système de justice
pénale, si ceux-ci bloquent ou tentent de bloquer l'accès à une institution
d'enseignement postsecondaire. Elle pourrait aussi limiter le nombre de
personnes permises à un piquet de grève à une université ou un cégep.
Les étudiants ont, avec l'appui de certains
enseignants et parents, organisé plusieurs piquets de grève importants pour
empêcher avec succès la mise en oeuvre de toute une série d'injonctions de la
cour qui forcent légalement les universités et les cégeps à donner leurs cours,
à la demande de quelques étudiants, et dans certains cas, d'un seul.
En plus d'imposer des pénalités plus sévères, la loi
va déclarer le « droit » absolu de tous les étudiants québécois aux
études supérieures à recevoir leur éducation, même si un boycottage des cours
est décidé démocratiquement par les organisations étudiantes. « Dans la
loi », a déclaré Charest lors de son point de presse télévisé mercredi,
« il sera affirmé très clairement qu'au Québec nous avons le droit à
l'éducation et nous avons le droit d'accéder aux institutions de
l'éducation ».
Le corollaire de ce « droit » qui n'est
pas mentionné est que les enseignants des universités et des cégeps seront
appelés, sous la menace de sanctions contractuelles, à assister le gouvernement
pour briser la grève.
Le gouvernement a aussi décidé de suspendre jusqu'à
la mi-août la session d'hiver aux 14 cégeps et 11 universités où des étudiants
sont toujours en grève.
L'interruption de la session a deux objectifs. Le
gouvernement espère qu'une « pause » de trois mois va entraîner
l'essoufflement du mouvement étudiant. Aussi, de toute évidence, cette longue
période donnera du temps au gouvernement et à la police pour préparer une
opération policière sans précédent.
Avec l'appui des grands médias, le gouvernement
cherche à présenter les étudiants comme un groupe violent, et ce depuis presque
le tout début de la grève en février dernier. En réalité, c'est la police qui a
provoqué à maintes reprises des confrontations violentes avec les étudiants.
Les forces policières ont utilisé systématiquement les gaz lacrymogènes, la
matraque, les grenades assourdissantes et, à plusieurs reprises (comme à
Victoriaville le 4 mai), les balles de caoutchouc pour disperser les étudiants
lors de manifestations. Devant l'Assemblée nationale jeudi, Charest a une fois
de plus tenté de présenter les étudiants comme violents, et a exigé que les
associations étudiantes et les syndicats dénoncent la « violence »,
au moment même où son gouvernement s'apprêtait à criminaliser la grève
étudiante.
Pour montrer la détermination de son gouvernement,
Charest a déclaré que l'imposition de la hausse des frais de scolarité était
une « décision qui est fondateur pour l'avenir du Québec ».
La déclaration de Charest et la brutalité de la
répression dirigée contre les étudiants en grève contredisent directement la
propagande gouvernementale selon laquelle la hausse des frais de scolarité
n'est pas si importante et ne va coûter que quelques sous par jour aux
étudiants.
Le gouvernement et l'élite patronale voient la grève
étudiante comme un véritable défi posé aux politiques d'austérité qui sont
mises en oeuvre à tous les paliers de gouvernance et par tous les partis de
l'ordre établi et qui visent à rejeter le fardeau de la crise capitaliste
mondiale sur les travailleurs.
Dans les derniers jours, les médias et le patronat
ont de plus en plus pressé le gouvernement à écraser la grève étudiante, en
affirmant que le Québec était menacé par le règne de la populace.
François Legault, un ancien ministre de l'Éducation
du Parti québécois et chef de la nouvelle Coalition avenir Québec (CAQ) de
droite, a exigé à maintes reprises que le gouvernement organise une opération
policière immédiate pour rouvrir tous les cégeps et les facultés universitaires
touchés par la grève. La CAQ dénonce maintenant le gouvernement pour
« reporter le problème » au mois d'août.
D'un cynisme le plus complet, le gouvernement et les
médias ont présenté la diminution du nombre d'étudiants en grève au cours des
dernières semaines - dans un contexte où le gouvernement ne cesse de brandir la
menace de l'annulation de session et où les tribunaux et les policiers
interviennent agressivement contre la grève - comme la preuve que l'opposition
à la hausse des frais de scolarité ne se limitait qu'à une minorité bruyante.
Cela n'est qu'un mensonge. Mais il est clair que les
étudiants sont dangereusement isolés, bien qu'ils bénéficient d'un large
soutien populaire.
Les syndicats sont les principaux responsables de
cette situation. Tout en faisant semblant d'appuyer les étudiants, les
syndicats n'ont rien fait pour mobiliser la classe ouvrière en soutien aux
étudiants. Ils ont d'abord plutôt, au nom de la « paix sociale »,
exhorté le gouvernement à reporter pour une courte période l'entrée en vigueur
de la hausse des frais de scolarité. Ils se sont ensuite joints au gouvernement
Charest pour imposer une « entente » aux étudiants dans laquelle la
hausse des frais était maintenue dans sa totalité et les représentants
étudiants et syndicaux allaient aider le gouvernement à examiner et réduire le
financement accordé aux universités.
Les syndicats tentent de transformer la lutte contre
la hausse des frais de scolarité en un appui électoral pour leur allié de
longue date, le PQ, un parti qui, lorsqu'il a formé le gouvernement, a imposé
les coupes sociales les plus sévères de l'histoire du Québec. Hier, les
présidents des trois principales centrales syndicales du Québec ont tenu une
conférence de presse avec la chef du PQ Pauline Marois, Amir Khadir de Québec
solidaire et les dirigeants de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec)
et de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) pour condamner la
loi spéciale et demander à Charest qu'il négocie une entente avec les
associations étudiantes.
Le NPD, le parti de la bureaucratie syndicale au
Canada anglais, a pour sa part refusé de faire toute déclaration en soutien des
étudiants. Même si la majorité de ses députés proviennent du Québec, il affirme
qu'il ne peut se prononcer sur la grève, car il s'agit d'une question de
compétence provinciale. En réalité, le NPD craint que toute association avec la
lutte militante des étudiants vienne miner ses tentatives de convaincre l'élite
dirigeante du Canada qu'il peut faire un meilleur travail que les libéraux en
tant que parti de gouvernance « de gauche ». Le nouveau chef du NPD
au fédéral, Thomas Mulcair, est un ancien ministre du cabinet de Jean Charest
et avait donc voté pour une loi qui privait un demi-million de travailleurs du
secteur public de leur droit de grève et qui leur imposait des concessions dans
un contrat de sept ans.
Les politiques des associations étudiantes ont aussi
été cruciales pour permettre au gouvernement et à l'élite d'isoler les
étudiants. Ils confinent la lutte étudiante à une revendication unique, et
s'opposent à ce que la lutte contre la hausse des frais de scolarité soit liée
à une mobilisation plus large de la classe ouvrière contre les mesures
d'austérité des gouvernements libéral de Jean Charest et conservateur de
Stephen Harper.
En acceptant le cadre financier de droite créé par
des années de baisses d'impôt pour la grande entreprise et les riches et en
étant opposées à toute remise en question de l'ordre social établi, les
associations étudiantes ont récemment défendu une série de propositions
réactionnaires, dont le gel des subventions accordées aux universités, et ont
offert au gouvernement de l'aider à dégager des « économies » dans
les dépenses universitaires.
Non seulement la FECQ et la FEUQ acceptent ces
idées, mais c'est aussi le cas de la CLASSE (Coalition large de l'Association
pour une solidarité syndicale étudiante), qui a amorcé le mouvement de grève et
qui critique depuis longtemps les liens qu'entretiennent les deux autres
fédérations étudiantes avec le PQ.
Les travailleurs du Québec et du Canada doivent se
porter à la défense des étudiants en grève. La lutte étudiante doit devenir le
catalyseur d'une offensive politique et industrielle de toute la classe
ouvrière, indépendamment des syndicats et du NPD et en opposition à eux, contre
les gouvernements de Charest et de Harper et pour la défense des droits
sociaux, par la réorganisation socialiste de la vie économique.