Alors que la Grèce se prépare pour les
élections du 17 juin dans un contexte de rejet populaire énorme de l'austérité,
la classe dirigeante se prépare en secret pour une répression militaire contre
les travailleurs. Ces préparatifs ont lieu parallèlement à des discussions plus
publiques menées au sein de l'Union européenne au sujet des mécanismes
financiers visant à pénaliser la Grèce au cas où le vote de la population
grecque rejetterait les exigences d'austérité de l'UE.
Un article publié mercredi dans le
quotidien droitier Kathimerini, « Euro Exit
Scenario Gives Greece 46 Hours to Manage Process »,
expose une « synthèse soumise par 21 économistes, analystes et
universitaires et évoquant différents scénarios de sortie de l'euro. » Le
journal écrit que l'introduction d'une nouvelle monnaie grecque nécessiterait
qu'elle soit soigneusement préparée et mise en place en l'espace de 46 heures
durant un week-end et en tenant compte des heures d'ouverture des bourses du
monde entier.
Des mesures seraient immédiatement
prises pour réprimer l'opposition sociale. L'article précise : « Au
cours de ces deux jours, les dirigeants auraient à apaiser les troubles civils
tout en gérant un éventuel défaut souverain, à planifier une nouvelle monnaie,
à recapitaliser les banques, à réduire la sorties des capitaux et à chercher un
moyen pour payer les factures une fois le processus de sauvetage
interrompu. »
Citant deux chercheurs haut
placés, l'article fait remarquer que « le pays pourrait déployer son armée
dès samedi matin et fermer ses frontières, estampiller l'euro en drachme en
guise de solution provisoire une fois le public avisé. »
Le ministre des Finances grec sortant,
Filippos Sachinidis, a dit, en parlant d'une sortie de l'euro, « Tous nos
acquis seront éliminés et ce d'une façon tellement violente, je ne sais pas si
nous serons en mesure de continuer à fonctionner comme une démocratie
moderne. »
Ces commentaires renferment
indubitablement un élément de chantage politique. L'élite dirigeante déclare
que les travailleurs doivent accepter toutes les réductions exigées par le
capital financier et l'Etat grec ou être confrontés à une apocalypse. S'ils
refusent, avertit-il, les banques couperont le crédit à la Grèce en l'obligeant
à imprimer sa propre monnaie. Du jour au lendemain, les marchés ruineront
financièrement le pays en spéculant contre la nouvelle monnaie. A ce stade, l'armée
sera déployée pour stopper une ruée des déposants sur les banques et réprimer
l'opposition sociale.
En rendant publics de tels arguments, l'establishment
politique espère faire voter pour les partis dirigeants traditionnels grecs, le
parti droitier Nouvelle Démocratie (ND) et le parti social-démocrate PASOK, qui
soutiennent les mesures d'austérité de l'UE et les soi-disant « plans de
sauvetage ». Lors des élections du 6 mai, ces deux partis n'ont obtenu
ensemble que 32 pour cent des suffrages.
Plus fondamentalement toutefois, les
« éventualités » qui sont discutées et projetées, tant ouvertement
que secrètement, reflètent l'intensification sérieuse des antagonismes de
classe en Grèce et internationalement.
Ce qui a été imposé en Grèce sous le
dictat de la « troïka » - l'Union européenne, la Banque centrale
européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) - est la barbarie à
une échelle jamais vue depuis l'occupation nazie. Un responsable du bureau des
statistiques grec a dit la semaine passée : « D'ici la fin 2012, nous
pensons que l'économie se sera contractée au total de 27 pour cent depuis le
début de la récession, il y a cinq ans. C'est presque un tiers. C'est un fait
sans précédent pour une économie occidentale avancée. »
Que le capital financier tente de
poursuivre son sauvetage raté de l'euro ou décide de spéculer contre une
monnaie nationale grecque, l'imposition de telles attaques sociales
impopulaires au moyen des mécanismes parlementaires existants deviendra de plus
en plus difficile. D'où la menace grandissante d'un recours à une certaine
forme de régime militaro-policier. La population grecque a déjà connu des
expériences douloureuses avec de telles méthodes sous la forme de la junte
militaire de 1967-1974.
Depuis l'éclatement de la crise
financière en 2008, la classe dirigeante grecque s'est à plusieurs reprises
appuyée sur l'armée pour réprimer l'opposition de la classe ouvrière. L'armée a
été mobilisée pour briser la grève des routiers en 2010 et elle avait été sur
le point d'intervenir contre la grève des éboueurs en 2011.
Le 4 février 2011, l'agence
d'informations Athens News Agencyavait
relaté que la 71ème brigade aérienne avait mené un exercice
prévoyant une confrontation simulée avec des protestataires anti-austérité. En
septembre de l'année dernière, des milliers d'officiers de l'armée à la
retraite avaient protesté et des centaines d'autres avaient envahi le ministère
de la Défense en réclamant le renversement du gouvernement PASOK. L'Association
professionnelle des soldats d'active avait averti le premier ministre d'alors,
George Papandreou, que l'armée suivait sa politique « avec une grande
inquiétude. »
Le ministre de la Défense de l'époque,
Panos Beglitis, avait déclaré, « Une telle intimidation et un tel
comportement anti-démocratique vont à l'encontre du gouvernement démocratique
du pays et sont une insulte qui sera immédiatement réprimée. » Le 1er
novembre, peu de temps avant la démission de Papandreou, Beglitis avait limogé
l'ensemble de l'état-major de l'armée en suscitant la suspicion qu'un coup
d'Etat avait été évité de justesse.
Il y a dix jours, alors qu'aucun des
partis n'a été capable de former un gouvernement après les élections générales
du 6 mai, le premier ministre, Lucas Papademos, qui fut lui-même installé au
pouvoir sans la tenue d'une élection, remettait le pouvoir à un gouvernement
intérimaire dirigé par le haut magistrat, Panayiotis Pikrammenos. Le caractère
de ce gouvernement intérimaire est instructif.
Frangos Frangoulis, général à la
retraite et ancien chef d'état-major des armées, a été nommé ministre de la
Défense. Frangoulis, ancien commandant de la marine, avait été démis de ses
fonctions de chef d'état-major de l'armée lors du remaniement surprise de
Beglitis en novembre 2011.
Eleftherios Economou, ancien chef de la
police, qui possède un long passé dans les services secrets de l'Etat, a été
nommé ministre de la Protection des citoyens. En plus d'avoir à gérer la police
hellénique, il devra superviser le Secrétariat à la Défense civile, le Service de
renseignement national, le Service d'incendie hellénique, le Service des Gardes
Côtes et la Police agricole grecque.
L'une des dernières initiatives du
gouvernement Papandreou en octobre 2011 avait été de nommer Economou au poste
de secrétaire général à l'ordre public. Le gouvernement Papademos l'avait nommé
ministre adjoint pour la Protection des Citoyens et il est à présent promu à
son poste actuel.
Il y a également de nombreux rapports
sur les liens étroits existant entre la police et le parti fasciste Aube dorée
qui a recueilli 7 pour cent des voix lors de l'élection du 6 mai. Le quotidien The
Guardian écrivait le 2 mai qu'il était permis aux membres d'Aube dorée de
« terroriser, d'insulter et d'attaquer ceux qu'ils percevaient comme des
ennemis pendant que souvent les membres de la police détournaient le regard ou
pire encore, agissaient de pair avec eux. »
Un examen du vote d'Aube dorée fait par
le journal To Vima a estimé que plus de la moitié des officiers de
police de Grèce votaient pour fascistes.
Un avertissement doit être émis
concernant en particulier l'attaque perpétrée jeudi matin par une trentaine de
policiers qui ont tenté de pénétrer dans le quartier général du Parti
socialiste des Travailleurs (SEK) à Athènes. Ils auraient été rejoints par un
« groupe de fascistes. qui hurlaient des obscénités en tentant de défoncer
la porte d'entrée. » Le raid n'a été interrompu qu'après l'arrivée d'un
haut fonctionnaire de la police.
Le plus grand danger auquel sont
confrontés les travailleurs en Grèce est leur manque de préparation politique
face à la gravité de la situation. SYRIZA (la Coalition de la Gauche radicale)
a jusqu'à présent été le principal bénéficiaire du sentiment anti-austérité
ressenti par les travailleurs. Mais, c'est un parti bourgeois et pas un parti
de la classe ouvrière, malgré sa rhétorique de gauche et les critiques émises
contre les conditions des plans de sauvetage de l'UE. Fermement opposé à une
lutte révolutionnaire contre le capitalisme et l'Etat grec, ce parti oeuvre à
entretenir des illusions en désarmant politiquement la classe ouvrière, en
promouvant le mythe qu'un vote pour ses candidats aux élections législatives du
17 juin permettra de persuader les politiciens et les banquiers européens de se
montrer indulgents.
Pendant ce temps, la classe dirigeante
de Grèce et d'Europe a les coudées franches pour planifier sa propre réponse à
la colère et à l'opposition grandissantes de la classe ouvrière et à un vote
contre les mesures d'austérité. Cette réponse est la dévastation économique de
la Grèce et la répression de masse.