Le double attentat suicide survenu hier
dans la banlieue d'al-Qazzaz à Damas a coûté la vie à au moins 55 personnes et
blessé 370 autres. L'explosion s'est produite à 7 h 56 à un carrefour très
fréquenté et où se trouve un complexe du renseignement militaire. Les bombes
qui ont explosé presque simultanément ont déchiqueté des enfants sur le chemin de
l'école et carbonisé des gens dans leur voiture, qui se rendaient à leur
travail dans la capitale syrienne.
L'agence d'information officielle
syrienne, SANA, a rapporté que sur le lieu de l'attentat les sauveteurs avaient
rempli « 15 sacs de membres arrachés et de différentes parties du
corps » trouvés sur place. L'agence a dit que 105 voitures avaient été
totalement détruites dans l'explosion.
Cet attentat dévastateur est le dernier
en date d'une longue liste d'attentats suicide qui ne cesse de s'allonger et
qui sont perpétrés par des éléments salafistes et wahhabites et comprend
l'attentat suicide du 10 avril devant une mosquée à Damas qui avait tué dix
personnes, principalement des soldats.
Mercredi, un convoi d'observateurs des
Nations Unies, impliqués dans la supervision de la trêve de Kofi Annan du 12
avril a été attaqué à la bombe, huit membres des forces de sécurité ont été
blessés.
L'objectif est de miner le cessez-le-feu
syrien, une politique délibérée poursuivie par des groupes d'opposition dans le
but d'encourager et de légitimer une intervention militaire par une coalition
de pouvoirs sunnites: la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar.
Ceci, à son tour, est
destiné à assurer le soutien stratégique et militaire des Etats-Unis qui
veulent un changement de régime en Syrie sans s'engager dans une campagne de
l'ampleur de celle menée en Libye.
Et pourtant, la réaction des médias aux
deux événements suit un schéma particulier. Toutes les références aux auteurs
évidents de tels actes sont attribuées aux « affirmations du
gouvernement » qui parle de « groupes terroristes » et
s'accompagnent de dénis de toute responsabilité par le Conseil national syrien
(CNS) d'opposition qui accuse le gouvernement d'en être très probablement le véritable
auteur. En comparaison, les violations du cessez-le-feu par le régime et qui
ciblent l'opposition, sont dépeintes comme le massacre de « son
peuple » par Bachar al-Assad et assorties de déclarations selon lesquelles
le plan de paix de l'ONU et de la Ligue arabe est en train d'échouer.
Mardi, Annan a reconnu les violations du
cessez-le-feu par l'opposition, mais s'est concentré sur les accusations de
torture et le recours à l'armement lourd pour le bombardement des bastions de
l'opposition par le gouvernement. Il a dit, devant le Conseil de sécurité de
l'ONU par vidéoconférence lors de consultations à huis clos, qu'un échec total
de son plan de paix signifiait que la Syrie pourrait « plonger dans la
guerre civile totale. »
Le secrétaire général de l'ONU, Ban
Ki-moon, a dit devant l'Atlantic Council, « Nous sommes engagés dans une
course contre la montre pour éviter une véritable guerre civile - avec des
victimes en grand nombre - le gouvernement continue d'agresser son
peuple. » Les anciennes célébrités du groupe de pression incluent
l'ambassadrice américaine auprès de l'ONU, Susan Rice, qui a annoncé il y deux
jours, juste avant le bombardement à Damas, que les Etats-Unis intensifiaient
leur assistance « non létale » à l'opposition syrienne.
Plus tôt, Ban a dénoncé l'organisation
par Assad, lundi, des élections nationales promises de longue date et qui ont
déjà été reportées en soulignant, « Seul un dialogue politique large et
sans exclusive peut mener à un véritable avenir démocratique en Syrie. Ces
élections ne se tiennent pas dans ce cadre. »
Ce qu'il voulait dire par là, c'est que
seul un virement politique prévoyant la chute d'Assad et l'installation d'une
opposition soutenue par l'Occident suffira.
Le premier ministre turc, Recip Erdogan,
a visité dimanche un camp de réfugiés syrien avant de dire lundi à la presse
que le régime d'Assad était « fini ».
Le fait de définir la mission de l'ONU
comme un échec serait le signal pour un changement en faveur d'une campagne
militaire plus ouverte. Environ 70 observateurs de l'ONU se trouvent en Syrie
et l'objectif est d'en déployer 300 d'ici fin mai. Mais les Etats-Unis se sont
à plusieurs reprises interrogés pour savoir s'ils allaient adhérer à la mission
de 90 jours prévue pour les observateurs ou s'ils allaient admettre qu'elle avait
échoué.
« Si l'intransigeance du régime se
poursuit, la communauté internationale va devoir admettre une défaite et faire
le nécessaire face à la menace sérieuse envers la paix et la stabilité,
perpétrée par le régime d'Assad, » a dit le porte-parole de la Maison
Blanche, Jay Carney.
Reuters a cité deux diplomates
occidentaux anonymes disant, « Il n'y a effectivement pas de cessez-le-feu
que les observateurs de l'ONU puisse superviser» et « Si le gouvernement
continue de ne pas obtempérer nous devrons revenir vers le conseil en vue d'un
type d'action différent. »
Entre-temps, l'armée américaine joue le
rôle de premier plan en matière d'exercices militaires en Jordanie, au-delà de
la frontière Sud de la Syrie, en impliquant quelque 12.000 troupes, dont des
unités des forces spéciales américaines ainsi que des forces saoudiennes et
qatari.
Des personnalités proches du
gouvernement Obama suggèrent que l'intensification des bombardements
terroristes fournit une justification pour l'intervention. « Si des pays
de la région et au-delà commencent à considérer ceci comme la désintégration de
l'ordre, dans le cadre duquel un nombre indéfini de groupes peut alors agir,
ceci se transforme en un danger plus grand qu'une simple guerre civile
intérieure qui dépasse les frontières, ce qui en soi est déjà suffisamment
grave, » a dit au micro de National Public Radio, Anne-Marie Slaughter,
ancienne directrice de la planification des politiques pour le département
d'Etat des Etats-Unis. Selon NPR, elle a dit que : « La présence de
groupes jihadistes en Syrie ne devrait pas dissuader les Etats-Unis et leurs
alliés d'intervenir. Elle a plutôt déclaré que ceci leur ferait prendre
conscience des dangers qu'un conflit prolongé en Syrie pourrait
engendrer. »
Toutefois, les Etats-Unis ont de
nombreux facteurs à prendre en considération sur la question de savoir à quel
point ils seront ouvertement impliqués dans une campagne militaire, y compris
la profonde impopularité d'une telle décision sur le plan intérieur durant une
année électorale et l'opposition à laquelle ils sont confrontés de la part de
la Russie et de la Chine .
D'aucuns à Washington affirment qu'une
stratégie d'usure pour soutenir l'opposition et les sanctions financières
suffisent à paralyser la Syrie et à affaiblir l'Iran comme puissance régionale.
Mais il existe un important groupe de pression en faveur d'une guerre par
procuration menée par une alliance d'Etats sunnites.
Beaucoup de choses dépendent de la
manière dont une telle guerre peut être instiguée et effectivement menée,
compte tenu que la voie de l'ONU est barrée par le pouvoir de veto de la Russie
et de la Chine et qu'une intervention de l'OTAN pourrait se révéler être trop
explosive après la Libye. Un élément, dans ces calculs, est le manque de
fiabilité et la faiblesse de l'opposition menée par le CNS et divers rivaux qui
convoitent les faveurs de Washington.
Le CNS est une coalition dominée par des
groupes islamistes et qui a très peu de cohésion ou de soutien populaire. La
force dominante en est le mouvement des Frères musulmans qui, comme en Egypte
et en Libye, propose ses services en tant qu'allié fiable de Washington -
faisant partie d'un nouvel « axe sunnite » sectaire devant être
dressé contre le régime alaouite d'Assad et contre l'Iran chiite.
Ecrivant le 6 mai
dans le New York Times, Neil MacFarqhuar, décrit un CNS dominé par les
Frères musulmans et deux autres organisations islamistes, le Groupe national
d'action et le Mouvement national syrien, qui « rivalisent entre eux pour
exercer de l'influence. »
Kamal Lebwany, « libéral » qui
a quitté le CNS, se plaint de ce que « Les Frères musulmans monopolisent
tout - l'argent, les armes, le CNS. Le CNS a une écorce libérale qui recouvre
un noyau totalitaire non démocratique. »
L'ancien dirigeant des Frères musulmans,
Ali Sadreddin al-Bayanouni, estime que les Frères envoient entre 1 million et 2
millions de dollars par mois en Syrie « pour les besoins
humanitaires ». Un religieux local a expliqué, « Ils veulent que je
reconstruise le groupe des Frères musulmans au moyen d'un réseau humanitaire en
aidant des familles pauvres, des militants emprisonnés et en payant l'aide
médicale. Si nous parvenons à fournir de bons services et une bonne politique à
tous les Syriens, nous serons élus. »
Daniel Brode du service de renseignement
basé en Israël, Max Security Solutions, a expliqué à Middle East Online,
« La récente vague d'attentats suicides en Syrie ainsi que la saisie par
le Liban d'un cargo transportant des armes destinées aux rebelles syriens,
souligne l'infiltration non seulement de l'idéologie jihadiste sunnite en Syrie
mais aussi d'armes, de tactiques et de combattants en provenance de l'ensemble
du Moyen-Orient. »
Il cite le soutien à l'insurrection de
la part de l'Arabie saoudite, du Qatar et de la Libye et l'émergence de
groupes tels le front al-Nusra qui a revendiqué la responsabilité pour
plusieurs attentats suicides - bien que ceci ait, en grande partie, été ignoré
dans les médias occidentaux.
Pour l'heure, tout est mis en oeuvre
pour renforcer militairement et politiquement le CNS et l'Armée syrienne libre
(FSA). Le CNS notamment a reçu des instructions pour contrôler plus directement
le soulèvement, en payant les dirigeants connus de la FSA en Syrie, au moyen de
promesses de 100 millions de dollars en provenance de l'Arabie saoudite et des
Emirats arabes unis ainsi que de 33 millions de dollars des Etats-Unis.