Le
tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation de SeaFrance, l'unique
compagnie de ferry transmanche française, au milieu de querelles au sein des syndicats
pour voir qui réussirait à s'emparer des restes de la carcasse de la compagnie
qui chaque année transportait 3,5 millions de passagers de l'autre côté de la
Manche.
En
conséquence, 880 travailleurs en France et 127 du côté anglais à Douvres ont
perdu leur emploi. De plus dans la région de Calais, côté français, on s'attend
à perdre 1 000 emplois de service en plus qui dépendent de la compagnie. La
compagnie était sous administration judiciaire depuis le 16 novembre dernier,
date à partir de laquelle ses navires sont restés à quai.
Le
tribunal a rejeté comme non-viable l'unique plan de « sauvetage »
existant: la conversion de la compagnie, appartenant à la compagnie des chemins
de fer SNCF, en une coopérative ouvrière (SCOP) financée dans le cadre d'une
société d'économie mixte (SEM). Et ceci malgré une offre de dernière minute
d'Eurotunnel de soutenir la SCOP.
Les
centaines de travailleurs de SeaFrance qui manifestaient devant le tribunal ont
été abasourdis, conscients qu'il leur serait quasiment impossible de trouver un
emploi ailleurs. Une femme ayant 15 ans d'ancienneté a dit: «J'ai 40 ans, deux
enfants et une sclérose en plaque. Comment je vais m'en sortir?»
La
région de Calais a un taux de chômage de 18 pour cent, soit près du double du
taux national moyen de 9,6 pour cent en rapide croissance et qui augmente
encore avec les économies française et européenne entrant en récession. Les
syndicats ont bloqué toute lutte pour mobiliser les travailleurs maritimes et
ferroviaires ou des sections plus larges de la classe ouvrière pour défendre
les emplois dans cette région économiquement sinistrée.
Le
syndicat majoritaire à SeaFrance est la section maritime locale de la CFDT
(Confédération française démocratique du travail, proche du Parti socialiste,
PS), conduite par Didier Cappelle et Eric Vercoutre. Ils soutiennent et
organisent le collectif pour le projet de sauvetage de SCOP qui impliquerait
que les 880 travailleurs licenciés mettent leurs indemnités de licenciement de
40 000 euros chacun dans la coopérative qui recevrait alors un capital de
quelque 35 millions d'euros. Les collectivités locales et le financement privé
fournirait le reste. Ceci donnerait aux bureaucrates CFDT de SeaFrance, déjà
accusés de pratiques corrompues, le contrôle lucratif de la nouvelle compagnie.
Les
rapports diffèrent sur le nombre de travailleurs, entre 260 et 600, qui
seraient prêts à risquer leur argent dans cette aventure. L'offre d'Eurotunnel
était d'acheter les trois bateaux de SeaFrance et de les louer à la SCOP à un
prix raisonnable. Certains ont demandé si Eurotunnel n'essayait pas juste
d'éliminer la concurrence à son service ferroviaire sous la Manche pour ensuite
mettre les bateaux au rebut.
Les
travailleurs de SeaFrance ont rejeté avec mépris les déclarations du PDG de la
SNCF Guillaume Pepy, proposant des emplois à tous les travailleurs licenciés
s'ils sont prêts à quitter la région. Lors des derniers licenciements chez
SeaFrance en 2010, Pepy avait fait une proposition similaire; sur les 450
travailleurs licenciés, il en resterait encore 325 qui n'ont toujours pas
trouvé d'emploi.
La CFDT, dirigée par François Chérèque a menacé
d'expulser la section SeaFrance de sa confédération pour comportement
« déshonorable ». Chérèque a déclaré, selon le quotidien économique Les
Echos, que «l'entêtement » du syndicat local n'était pas «favorable à
l'emploi ». Une allusion au veto du syndicat CFDT maritime Nord de
SeaFrance à la candidature de reprise de Louis Dreyfus Armateurs (LDA) associé
à l'entreprise danoise DFDS. Le consortium aurait acheté les bateaux de
SeaFrance, d'une valeur de 150 millions d'euros, pour 5 millions d'euros.
Chérèque,
tout comme la CGT (Confédération générale du travail, proche du Parti
communiste) soutient ce rachat conjoint, alors même que LDA-DFDS ont fait des
déclarations contradictoires quant au nombre de travailleurs de SeaFrance
qu'ils garderaient. Le chiffre qui revient le plus souvent est celui de 300.
Les travailleurs ont refusé cette offre.
Les
syndicats CFDT et la CGT ont tous deux joué un rôle majeur nationalement dans
l'étouffement des luttes contre l'austérité. Ils ont régulièrement travaillé
avec le président Nicolas Sarkozy pour l'aider à appliquer ses programmes
d'austérité et consolider le capitalisme français contre ses concurrents. La
trahison de la lutte du personnel de sécurité des aéroports durant la période
de Noël en est un exemple récent. Un autre exemple est la complicité de la CGT
dans l'utilisation de la police pour imposer la réquisition des travailleurs
des raffineries visant à briser leur grève contre la réforme des retraites en
2010.
La CFDT soutient ouvertement l'imposition de
mesures d'austérité contre la classe ouvrière pour payer la dette souveraine de
la France et la CGT joue un rôle important dans l'isolement de ces luttes
contre les fermetures et en empêchant tout développement d'un mouvement
politique de la classe ouvrière qui soit indépendant.
La politique de classes de Didier Cappelle et
Eric Vercoutre semble être pareille à celle de la bureaucratie syndicale
automobile de l'UAW aux Etats-Unis qui est devenue co-propriétaire des
principales entreprises automobile et dont l'intérêt est d'accroître les
profits de l'industrie au dépens des travailleurs. Les deux bureaucrates CFDT
de SeaFrance, selon une révélation de l'édition du 7 janvier de Libération,
sont propriétaires de biens immobiliers importants dont ils reçoivent des
loyers.
Le
2 janvier, dans une démarche inattendue, le président Nicolas Sarkozy est
intervenu dans les procédures de liquidation de SeaFrance pour apporter son
soutien au projet de SCOP de la section CFDT de SeaFrance. On ne sait pas
vraiment si l'offre de la dernière heure d'Eurotunnel de soutenir la SCOP était
sérieuse ou si c'était une manoeuvre politique pour le compte de Sarkozy visant
à briser la résistance des travailleurs face à la liquidation.
Cette
volte-face, à quatre mois seulement de l'élection présidentielle, était une
manoeuvre politique de Sarkozy ayant pour but de neutraliser son impopularité
et d'améliorer sa position en tant que candidat à l'élection. Face à
l'augmentation rapide du chômage qui frôle les 10 pour cent, il réagit par des
mesures d'austérité, dont des coupes dans les retraites, la suppression de
quelque 30 000 emplois dans le secteur public et l'augmentation de la TVA.
Pendant
ce temps, l'hémorragie des emplois industriels en France et en Europe se
poursuit. Les fermetures et les licenciements s'accélèrent à nouveau, avec la
possibilité de fermeture, près de Rouen, de la raffinerie de pétrole Petroplus
endettée, tandis que d'autres aussi sont menacées en Suisse, Belgique,
Allemagne et Royaume-Uni.
Après
avoir fermé l'aciérie ArcelorMittal de Gandrange en 2010, la compagnie a
annoncé qu'elle va réduire de 50 pour cent sa production en Europe le mois
prochain. Elle a déjà réduit le temps de travail de quelque mille travailleurs
de son usine de Florange en France et elle est en train de faire de même dans
son usine de Liège en Belgique.