Les ministres des Affaires étrangères de l’Union
européenne (UE) qui se sont rencontrés hier à Bruxelles ont imposé des
sanctions économiques lourdes de conséquence contre l’Iran, dont un embargo
sur le pétrole qui entrera pleinement en vigueur en juillet. L’embargo est
un acte de guerre économique qui intensifie le danger d’un glissement vers
des hostilités militaires dans le Golfe persique.
Les sanctions de l’UE sont de grande envergure et
touchent tous les aspects de l’industrie pétrolière iranienne. Les 27 pays
membres vont immédiatement cesser de signer tout nouveau contrat pétrolier
avec l’Iran et mettre fin d’ici le 1er juillet à ceux existant déjà.
L’interdiction couvrira les importations de pétrole brut, de produits
pétroliers et pétrochimiques et s’étendront à l’exportation d’équipement et
de technologie vers le secteur énergétique iranien, ainsi que de nouveaux
investissements dans ce secteur.
L’UE a aussi ciblé la Banque centrale d’Iran, en
gelant l’essentiel de ses avoirs en Europe. Il y a quelques exceptions
restreintes pour permettre ce qui peut être considéré comme du commerce
légitime. Les mesures européennes complètent la loi entérinée le 31 décembre
par le président Barack Obama et qui prévoie de sanctionner toute
entreprise, y compris les groupes étrangers, qui ont des relations
d’affaires avec la Banque centrale d’Iran. Ces mesures américaines cherchent
à bloquer internationalement toutes les ventes de pétrole iranien de façon à
paralyser l’économie du pays.
L’année dernière, l’Union européenne avait acheté
près d’un quart du pétrole exporté par l’Iran. Plusieurs pays d’Europe
méridionale – la Grèce notamment – sont lourdement tributaires
d’importations de l’Iran et refusent l’imposition d’un embargo total. Ils
ont été mis au pas à l’aide d’une vague promesse de révision d’ici le 1er
mai de toute incidence économique néfaste causée par les sanctions.
Si l’embargo est appliqué, il aura un effet très
grave sur l’économie iranienne qui dépend fortement des exportations
pétrolières. Depuis vendredi, la monnaie de l’Iran a perdu 14 pour cent de
sa valeur contre le dollar américain, augmentant ainsi les hauts niveaux
d’inflation dans le pays.
Le ministre français des Affaires étrangères,
Alain Juppé, a déclaré : pour « écarter l’option militaire qui aurait des
conséquences incalculables, » il était donc nécessaire de suivre la voie des
sanctions. Il en a appelé à Téhéran d’accepter le dialogue proposé. Le
cynisme de ces remarques est souligné par les commentaires du président
français, Nicolas Sarkozy, qui a prévenu vendredi dernier que « le temps
[était] compté pour éviter une intervention [militaire] en Iran. »
Les Etats-Unis, tout comme Israël, ont à maintes
reprises clairement fait connaître leur volonté d’attaquer unilatéralement
l’Iran sur la base d’affirmations non fondées selon lesquelles le pays se
procurait des armes nucléaires. Le régime iranien a insisté en disant
n’avoir nullement l’intention de fabriquer une bombe atomique. Le
porte-parole iranien des Affaires étrangères, Ramin Mehmanparast, a qualifié
les sanctions de l’UE d’« injustes » et « vouées à l’échec. »
L’UE a proposé des pourparlers mais qui ont un
caractère d’ultimatum. La chef de la politique étrangère de l’UE, Catherine
Ashton, a déclaré que l’Iran devra « reprendre toutes les idées que nous
avons proposées » après les pourparlers précédents ou « apporter ses propres
idées. » En d’autres termes, l’Iran doit faire d’importantes concessions
avant même que les négociations puissent commencer.
En outre, le régime iranien a été témoin de la
duplicité américaine et européenne en Libye, ce qui a un puissant effet
dissuasif sur la possibilité d'un quelconque compromis. Washington n'avait
cherché un rapprochement avec le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, en 2003
que pour ensuite lancer la guerre menée par l’OTAN en 2011 dans le but
d’évincer le régime. Toutes les garanties que les Etats-Unis et les alliés
européens offrent à Téhéran lors des pourparlers sont sans valeur.
Dans le cadre de ses tentative de diaboliser
l’Iran, les médias américains ont souligné les commentaires du député
Mohammad Kossari qui a prévenu que l’Iran fermerait le Détroit d’Hormuz « si
les ventes du pétrole iranien sont perturbées. » Les Etats-Unis ont déclaré
que toute tentative de bloquer la voie navigable, par laquelle transite un
cinquième du pétrole commercialisé dans le monde, serait « franchir le
rubicon » entraînant un conflit militaire.
Le Pentagone a doublé le nombre de ses
porte-avions de groupes de combat à proximité du Golfe persique. Dimanche,
un jour avant la réunion de l’Union européenne, le porte-avion USS Abraham
Lincoln et son escorte de navires de guerre britanniques et français, ont
passé le Détroit d’Hormuz pour pénétrer dans le Golfe persique. Malgré les
affirmations qu’il s’agissait d’un « transit de routine », la manoeuvre
avait manifestement pour but de menacer l’Iran.
Les Etats-Unis ont intensifié sur tous les fronts
la pression exercée sur Téhéran. Lundi, le gouvernement Obama a annoncé de
nouvelles sanctions contre la troisième banque de l’Iran, la Bank Tejerat,
rompant l’un des derniers rares liens du pays avec le système financier
international.
Les hauts fonctionnaires américains sont engagés
dans une campagne mondiale destinée à faire pression sur les gouvernements,
les banques et les grands groupes afin de réduire les achats de pétrole et
les liens économiques avec l’Iran. Au début de ce mois, le secrétaire
américain au Trésor, Tim Geithner, s’est rendu au Japon et en Chine pour
mettre en garde les deux pays qu’ils se verraient imposer des sanctions si
les achats de pétrole n’étaient pas réduits. Pour souligner la remarque, la
Maison Blanche a imposé des sanctions à la société Zhuhai Zhenrong, au motif
qu'elle fait des affaires avec l’Iran.
La Chine et la Russie se sont toutes deux opposées
aux sanctions unilatérales imposées par les Etats-Unis et l’UE en
revendiquant leur droit de faire des affaires avec l’Iran. Beijing a déclaré
que les sanctions américaines contre Zhubai Zhenrong « n'étaient pas
raisonnables » ni conformes à l’esprit des résolutions du Conseil de
sécurité de l’ONU sur le programme nucléaire de l’Iran. Le ministre russe
des Affaires étrangères a publié hier un communiqué exprimant « regret et
alarme » devant les sanctions de l’UE, les qualifiant de « tentative
d’étrangler tout un secteur de l’économie iranienne. »
En utilisant les programmes nucléaires de l’Iran
comme prétexte, les Etats-Unis sont en train d’intensifier leur
confrontation avec l’Iran. Comme dans le cas des occupations américaines de
l’Irak et de l’Afghanistan, Washington cherche à renforcer, aux dépens de
ses rivaux européens et asiatiques son hégémonie dans les régions riches en
énergie du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Le danger est que les actions
irresponsables du gouvernement Obama menées contre l’Iran déclenchent une
guerre qui risque d’embraser la région et de se propager à l’échelle
internationale.
(Article original paru le 24 janvier 2012)