WSWS : Nouvelles
et analyses : Afrique
et Moyen-Orient
Obama et les « Amis de la Syrie » font pression
pour une intervention contre Damas
Par Alex Lantier
27 février 2012
Imprimez cet
article | Ecrivez
à l'auteur
Le président américain Barack Obama et les
diplomates internationaux rassemblés pour la réunion des « Amis de la
Syrie » à Tunis ont publié hier un communiqué faisant pression pour une
intervention militaire en Syrie. Ils ont cité comme prétexte
l’intensification de la guerre entre les forces « rebelles » syriennes
soutenues par les Etats-Unis et le régime du président Bachar al-Assad.
Obama s’était exprimé à Washington peu de temps
après la fin de la réunion en disant qu’il était « impératif » de stopper
les combats en Syrie. « L’heure est venue de faire cesser les assassinats de
Syriens par leur propre gouvernement, » a-t-il déclaré. Il n’a pas précisé
quelle action le gouvernement des Etats-Unis envisagerait de prendre.
Après la réunion à Tunis, la secrétaire d’Etat
américaine, Hillary Clinton, a dénoncé le veto opposé par la Russie et la
Chine à une résolution présentée par la Ligue arabe pour réclamer le retrait
d’Assad. Elle a dit : « Il est très affligeant de voir que deux membres
permanents du Conseil de sécurité utilisent leur droit de veto dans des
situations où des gens sont assassinés – des femmes, des enfants, de
courageux jeunes gens – des maisons sont détruites. C’est tout simplement
odieux et je me demande avec qui ils sont ? Il est évident qu’ils ne sont
pas du côté du peuple syrien. »
L’indignation jouée par Clinton est un méprisable
stratagème. Son but est de se servir de rapports faisant état de combats
entre l’armée et les forces « rebelles » pour justifier ce qui serait une
intervention militaire plus sanglante encore dirigée par les Etats-Unis et
suivant le modèle de la guerre menée contre la Libye par l’OTAN l’année
dernière.
Il n’est possible de préconiser une telle
politique qu’en recourant à des mensonges éhontés. D’un côté, les
responsables américains affirment n’envisager qu’une aide « humanitaire »
pour le peuple syrien, alors que de l’autre ils attisent les flammes de la
guerre – en soutenant militairement une insurrection droitière menée par les
Islamistes. Leur objectif est un nouvel assujettissement colonial de la
Syrie, soit par une conquête militaire directe soit en fomentant une
révolution de palais provoquée par des membres du régime qui craignent de
perdre le soutien russe ou chinois.
Les porte-parole de l’opposition syrienne présents
à la réunion à Tunis ont dit à Reuters : « Nous faisons rentrer des armes
défensives et offensives … Elles viennent de partout, y compris des pays
occidentaux et il n’est pas difficile de faire passer n’importe quoi par les
frontières. »
D’autres diplomates s’exprimant à Tunis ont aussi
soutenu l’intervention militaire en choisissant leurs mots pour éviter de
confirmer qu’elle avait déjà débuté. Le ministre saoudien des Affaires
étrangères, Saud al-Faisal, a jugé que l’envoi d’armes et de munitions aux
forces pro américaines en Syrie, était « une excellente idée. » Les
responsables français et qataris se sont déclarés en faveur d’un déploiement
de forces en Syrie pour ouvrir la voie aux « couloirs humanitaires » -
c’est-à-dire conquérir des parties de la Syrie par lesquelles des
approvisionnements peuvent être acheminés aux « rebelles. »
Des communiqués américains officiels montrent
clairement que bien qu’ils ne le reconnaissent pas ouvertement, ils
soutiennent militairement les « rebelles » syriens. S’exprimant jeudi à
Londres lors de la réunion avec les diplomates britanniques, français,
allemands et arabes, et avant la réunion de Tunis, Clinton a dit qu’Assad
aurait à faire face « à des forces d’opposition de plus en plus capables. »
Elle a ajouté, « Ils trouveront d’une manière ou d’une autre quelque part le
moyen de se défendre et de passer à des mesures offensives. »
De tels commentaires exposent le caractère
foncièrement mensonger de la position des Etats-Unis et de leurs alliés.
Leurs mains dégoulinantes du sang des centaines de milliers d’Irakiens et
d’Afghans tués ou blessés dans des campagnes de contre-insurrection menés
par les forces d’occupation américaines, le gouvernement américain est en
train de préparer une nouvelle guerre sur la base d’affirmations hypocrites
selon lesquelles il considère la répression par Assad d’une insurrection
soutenue par l’étranger comme un fait intolérable. La responsabilité des
combats qui se poursuivent en Syrie incombe principalement aux Etats-Unis et
à leurs alliés.
La pose prise par Clinton et ses complices de ceux
qui s’inquiètent pour des « raisons humanitaires » n’est qu’une des armes de
l’arsenal diplomatique américain, aux côtés des sanctions, des assassinats
ciblés, des frappes de drones et des meurtres de masse.
Hier, les grands journaux ont étalé au grand jour
les projets qui sont élaborés par les diplomates impérialistes et les
services secrets pour la conquête de la Syrie par les Etats-Unis et de leurs
alliés.
Dans un commentaire du Financial Times,
l’ancien responsable de la CIA, Emile Nakhleh, a écrit : « L’aide devrait
débuter par la mise en place d’un refuge pour l’opposition et les militaires
qui font défection du régime, comme en 1991 en Irak du Nord. La nourriture,
l’eau, les vêtements et les fournitures médicales ainsi que le matériel
technique devraient être largués dans une zone de sécurité. Ankara [le
gouvernement turc] aurait à jouer un rôle crucial dans la planification et
finalement dans le maintien et l’approvisionnement de cette zone, vu que
celle-ci devrait très certainement être limitrophe de la Turquie. Si les
forces syriennes violaient le sanctuaire, l’Occident devrait armer
l’opposition et collaborer avec les transfuges pour organiser une résistance
plus effective. »
Des projets identiques furent exposés dans le
New York Times par l’ancienne responsable du Département d’Etat
américain, Anne-Marie Slaughter. Appelant à la fourniture « d’armes anti
chars, de tireurs d’élite et d’armes portables anti-aériens » aux forces
soutenues par les Etats-Unis, elle a réclamé l’établissement de « zones
sanctuaires » dans lesquelles les forces syriennes soutenues par les
Etats-Unis pourraient trouver un refuge. Les forces gouvernementales, une
fois « tuées, capturées ou autorisées à faire défection sans représailles, »
dans ces zones faussement nommées « zones sanctuaires », « l’attention se
porterait sur la défense et l’expansion des zones sanctuaires ».
De tels projets ne décrivent pas une opération
« humanitaire » mais une guerre d’extermination menée par les Etats-Unis
contre les forces syriennes qui refusent de se soumettre à
l’assujettissement de style colonial du pays.
Une part substantielle de la réunion de Tunis fut
consacrée à tenter d’unifier les forces disparates de l’opposition syrienne
en une armée de guérilla viable et agissant par délégation pour
l’impérialisme américain, analogue à celle du Conseil national de Transition
dans la guerre en Libye. Ceci se révéla difficile dans un contexte de
tensions intenses entre les trois factions de l’opposition : le Comité de
coordination national (CCN), le Conseil national syrien (CNS) et l’Armée
syrienne libre (ASL) qui consiste en grande partie de transfuges de l’armée
syrienne qui ont fuit vers la Turquie.
Les responsables américains ont également fait
état de liens entre Al Qaïda et des éléments islamistes de l’opposition
syrienne soutenue par les Etats-Unis. (Voir, International
tensions mount over Syria conflict )
Les négociations avec les factions « rebelles »
ont souligné le fait qu’aucun des mandataires américains en Syrie ne jouit
d’un soutien populaire de masse. Le Financial Times lui-même s’est
plaint que l’opposition syrienne est « fragmentée le long de lignes
ethniques et sociales. »
Le CCN, qui est composé en grande partie de partis
nationalistes staliniens et kurdes, n’a pas participé à la réunion de Tunis
où des diplomates ont déclaré que le CNS – qui est dominé par des forces
islamistes de l’entourage des Frères musulmans – était un « interlocuteur
légitime. »
La réunion avait toutefois refusé d’appeler le CNS
un « représentant du soulèvement syrien, » comme certains l’avaient
initialement proposé. Ceci semble refléter l’espoir que des négociations
supplémentaires peuvent assurer une pleine participation du CCN aux projets
de Washington. Les responsables britanniques ont dit aux médias qu’ils
espéraient convaincre l’opposition « d’énoncer un ensemble commun de
principes qui soit aussi un fort message de rassemblement à l’adresse de
tous les groupes ethniques en Syrie. »
Le caractère de l’opposition souligne le caractère
politique criminel de l’intervention impérialiste en Syrie. Censée être
effectuée pour protéger des protestataires syriens, l’intervention est aussi
représentée comme l’extension des luttes révolutionnaires qui ont balayé le
Moyen-Orient. En fait, la politique américaine est une réaction contre
révolutionnaire contre les luttes de la classe ouvrière qui ont renversé
l’hiver dernier en Tunisie et en Egypte les dictateurs soutenus par les
Etats-Unis.
En Tunisie et en Egypte, les luttes de masse de la
classe ouvrière s’étaient propagées sur l’ensemble du pays, affaiblissant la
loyauté des forces armées envers le régime et obligeant des chefs d’Etat
haïs à démissionner. Washington avait soutenu Ben Ali en Tunisie et Moubarak
en Egypte et avait travaillé d’arrache-pied pour les maintenir au pouvoir.
En Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés ont agi
avec rapidité pour transformer les protestations régionales, localisées dans
les parties sunnites du pays et dirigées par des organisations ne disposant
d’aucune base parmi les masses, en une insurrection droitière n’ayant de
soutien dans aucune des deux grandes villes de Syrie, Damas et Alep. Ce
n’est pas une révolution, mais une campagne sous direction américaine pour
évincer un régime allié à l’Iran dans le but d’isoler davantage ce pays et
de renforcer l’hégémonie américaine dans un Moyen-Orient riche en pétrole.
(Article original paru le 25 février 2012)